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Les néo-industriels – l’avènement de notre renaissance industrielle

Par Olivier Lluansi, Associé chez PwC Strategy&, Senior Fellow ESCP Business School*

Nous sommes en train de changer de paradigme. La guerre sur les terres d’Europe et les risques de conflit ailleurs replacent la notion de souveraineté au cœur de l’actualité. Le dépassement de six des neuf limites planétaires questionnent fondamentalement les paramètres de nos économies financières.

Aussi ne pouvons-nous pas faire l’économie de réfléchir à ce futur désirable pour que nous soyons les acteurs de notre destin collectif comme individuel, pour créer une symbiose entre les activités humaines et la nature, pour faire face aux tensions géopolitiques croissantes, pour reconstruire une cohésion sociale ou territoriale.

Bien qu’on l’écartât pendant 40 ans de notre récit économique et même national, l’industrie a toute sa place dans cette réflexion. Hier, les compétences industrielles furent mises au service d’un projet de confort matériel et d’équipement, poussé à l’extrême par la société de consommation de masse Elles inventèrent un outil de production de masse avec ses chaînes d’approvisionnement qui font le tour de la terre.

Aujourd’hui, notre espérance est certainement celle d’une société décarbonée, circulaire, sobre et pour autant souveraine. Ces mêmes compétences industrielles seront à nouveau mobilisées, dans ce contexte différent et avec d’autres finalités : celles de nous assurer une forme de souveraineté économique, de permettre un partage de la création de richesse entre territoires et métropoles, de proposer une partie des réponses aux défis environnementaux.

Il n’y a nul paradoxe, nulle contradiction à affirmer que l’industrie fut à la fois, du XVIIIème au XXème siècle, la source d’une des plus grandes déprédations de la nature et qu’elle sera au XXIème le creuset des solutions adaptées à la finitude des ressources naturelles.

Ce n’est qu’une parenthèse de deux siècles de notre histoire économique, durant laquelle le génie industriel fut mis au service de la domination de la nature, qui se referme. C’est cela que nous nommons « renaissance industrielle ».

Alors projetons-nous en 2040, imaginons que nous avons réussi cette réinvention... Qui aura pris la place des « grands capitaines d’industrie » qui incarnèrent et portèrent le développement de notre outil productif, du début du XXème siècle jusqu’aux Trente Glorieuses ? Car les femmes et les hommes de cet outil productif renouvelé, ont un rôle central sur le chemin de notre renaissance industrielle.

Ceux qui pensent que ce sont les chiffres du déficit commercial, du nombre d’emplois industriels ou du nombre d’ouvertures et de fermetures d’usines qui permettront d’attirer l’attention du public sur les enjeux industriels se trompent. L’heure n’est plus aux experts, mais aux faiseurs et aux influenceurs. On ne convainc plus par des chiffres, mais par l’émotion. C’est donc un récit qu’il nous faut.

Un récit qu’il faut raconter, mais qu’il n’est pas nécessaire d’inventer : il est déjà là. Ce sont les femmes et les hommes de cette nouvelle industrie qui l’écrivent tous les jours, d’ores et déjà. Ils l’incarnent, la font vivre et lui donnent une dimension humaine propre à émouvoir nos concitoyens, lesquels n’hésiteront pas, à leur tour, à partager ces expériences avec leurs proches. C’est ainsi que se rebâtira un imaginaire autour de notre industrie.

C’est pour cela que cet ouvrage vous invite à découvrir ces « néo-industriels » grâce aux portraits croisés d’une quinzaine d’entre eux, totalement impliqués dans ce nouveau défi que représente notre renaissance industrielle.

Indéniablement, ces femmes et ces hommes sont mus par de profondes convictions. Leurs témoignages en sont une preuve tangible, de même que leurs produits, leurs équipes et leurs entreprises.

Ils sont en quelque sorte de nouveaux alchimistes de la matière, pas forcément des ingénieurs ou des scientifiques, mais habités par de « grandes causes ». Epris de liberté et d’esprit entrepreneurial, ils se consacrent à réinventer, reconcevoir, repenser des objets. Avec un sens du business, intuitif, disruptif parfois, ils se battent contre les interdits de la pensée et aussi contre les conservatismes économiques, « les acteurs installés et leurs parts de marché » et même la réglementation plus que tatillonne. Ni Elon Musk, ni Bernard Arnault ne sont leurs modèles, mais ils ont en eux une force aux ressorts parfois secrets, qui les engage sur ce chemin original. Ils rêvent de constituer, non des empires, mais des grappes d’entreprises gravitant toutes autour d’une grande cause.

Les néo-industriels sont probablement en train de combler une génération d’absence de modèles industriels et de désertification de nos territoires, résultats de notre abandon collectif de l’industrie. Ils forment l’embryon de ceux qui font la renaissance industrielle française, ils en sont les artisans, il leur faut encore gagner en nombre et en ampleur dans leurs projets pour répondre aux besoins du plus grand nombre puisque là aussi réside la finalité d’un outil productif.

En effet ce n’est qu’un début : entre le mythe des grands capitaines d’industrie et celui de la nation « start-up » qui s’évalue principalement en levées de fonds, les néo-industriels n’ont pas encore leur place dans le débat public.

Ils en conviennent, ils se connaissent peu entre eux. La plupart du temps, ils restent dans leurs territoires, semonçant les mauvais payeurs, inventant les produits de demain, arpentant leurs ateliers dont ils sortent pour visiter un client ou un financeur.

Ils ne font pas non plus levier sur les décisions publiques. Les banques restent rétives aux projets industriels. Les incubateurs actuels sont bien démunis face aux défis de la pré-industrialisation. L’administration, elle aussi, peine à trouver la case dans laquelle mettre leurs innovations et devient un frein voire une barrière à leurs développements.

Et pourtant ce sont eux qui renouvelleront notre industrie, tant par leurs succès que par leurs échecs. Ce sont eux qui sans doute seront invités dans les mois et les années à venir dans les écoles pour incarner ce renouveau. Ils n’y feront pas de long discours avec des diaporamas, des chiffres et des concepts, il leur suffira de dérouler leur parcours, leurs envies, leurs motivations, leurs convictions comme ils l’ont fait dans leurs témoignages.

Qui d’autres nos enfants suivront-ils pour prendre la relève, pour rétablir notre souveraineté économique, la sécurité de trouver demain dans nos magasins, dans nos pharmacies, les produits du quotidien dont nous avons besoin, pour inventer les réponses aux défis environnementaux ?

Ils ont entre leurs mains une part évidente de notre avenir. Ils portent aussi en partie la responsabilité des territoires qui les accueillent et celle de leur développement.

Depuis dix ans nos politiques publiques cherchent le nouveau logiciel de notre réindustrialisation. Nous avons démultiplié d’abord les déclarations politiques, les grand’messes, les financements publics et même les appels à projets. Nous savons que les solutions gaullo-pompidoliennes ne s’appliquent plus à un monde nettement plus ouvert où la compétence technologique est passée du côté des entreprises… En dix ans, nous avons posé une nouvelle grammaire de notre renaissance industrielle autour des enjeux de souveraineté, de sécurité d’approvisionnement, d’environnement et encore de cohésion territoriale et sociale, sans véritablement parvenir à faire éclore notre réindustrialisation. Et si les néo-industriels disposaient finalement des clefs ? Comment ne pas percevoir à travers cette nouvelle génération, un espoir, et peut-être même l’espoir ?

Aujourd’hui nous n’en présentons qu’une poignée, mais sur le territoire national, ils sont sans doute déjà des centaines, peut-être plus, des chefs de commando qui, produit après produit, prennent la relève et reconquièrent notre outil productif abandonné pendant quarante ans. La mobilisation de notre communauté nationale autour de notre réindustrialisation ne se fera pas seulement avec des objectifs de ruptures technologiques, d’emplois ou même de balance commerciale. Nous gagnerons la bataille de la renaissance industrielle, en faisant envie, en parlant aux émotions, en nous s’exprimant avec les mots de ces néo-industriels.

C’est à l’entrée de cette communauté dans la maturité, celle de l’amplification, celle de la reconnaissance à laquelle cet ouvrage souhaite participer. 


*auteur de « Les néo-industriels – L’avènement de notre renaissance industrielle », Editions Les Déviations, Paris, 2023,

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