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Armée de terre : “Le recrutement et la fidélisation sont des sujets d’attention permanents”

Entretien avec le général de corps d’armée Marc Conruyt, Général directeur de la DRHAT

L’armée de Terre est l’un des plus gros employeurs de France mais peine à attirer et à fidéliser. Pouvez-vous nous donner quelques chiffres ?

Pour assurer la jeunesse nécessaire à la nature de ses missions, l’armée de Terre doit recruter chaque année environ 15000 soldats dont près de 11000 militaires du rang. Elle y parvenait jusqu’à présent faisant figure d’exception au sein des armées occidentales. Nous faisons face cette année à des difficultés en termes de recrutement et de fidélisation. Nous avons en particulier besoin de perdre moins d’effectifs avant 5 ans de service, sachant que la fidélisation au-delà de cette durée de service est très positive (8 sur 10). C’est ainsi de l’ordre de 32 % des militaires du rang nous rejoignant qui ne continuent pas l’aventure à la fin de la formation initiale de 6 mois.

Quels sont les facteurs qui, selon vous, font obstacle au recrutement et à la fidélisation des soldats ?

J’identifie 3 facteurs principaux qui concernent le recrutement. Tout d’abord un vivier qui se contracte : le nombre de jeunes aptes à l’engagement baisse. Ensuite, une possible évolution des comportements à l’égard du travail, avec une moindre acceptation de toute forme de contrainte. Enfin et surtout, un marché de l’emploi dynamique et une très forte concurrence face à laquelle il nous faut consolider notre attractivité. Nombre d’entreprises ou d’administrations relèvent ces mêmes tendances.

La fidélisation relève d’une autre problématique. Le taux de turnover est aussi un enjeu RH crucial pour tous les employeurs aujourd’hui, conséquence d’une versatilité plus forte des jeunes générations et d’un rapport employeur-employé qui a évolué. Le turnover n’est d’ailleurs pas toujours synonyme de désaveu. Au-delà du 1er contrat, nombre de nos soldats souhaitent mettre à profit ce que l’armée de Terre leur a offert (maturité, expertise technique, expérience professionnelle, rigueur …) et en même temps bénéficier d’opportunités financières supérieures ou d’une stabilité familiale différente.

Nous gardons néanmoins des atouts que notre jeunesse recherche : exercer un métier porteur de sens à travers un collectif fort qui offre une place à chacun, des opportunités fondées sur la méritocratie et surtout la perspective d’aventures uniques.

Le métier a-t-il perdu de son attrait avec moins d’Opex et plus de « Sentinelle » ?

Les opérations restent au cœur du métier de soldat de l’armée de Terre et c’est un critère fondamental d’attractivité.

Je rappelle que l’armée de Terre est une armée d’emploi avec plus de 25000 soldats, en posture opérationnelle au quotidien, c’est-à-dire déployés en opération ou prêts à l’être sur très court préavis. C’est elle qui permet d’être engagé du Sahel à la Roumanie, de l’Indopacifique à la Guyane ou au golfe Persique.

Sentinelle n’a pas le caractère repoussoir que vous avancez. Elle est appréciée des soldats qui y trouvent beaucoup de sens.

La situation est-elle inquiétante ? Comment l’institution répond-t-elle à ces défis ? La prochaine LPM peut-elle aider à infléchir la tendance ?

Le recrutement et la fidélisation sont des sujets d’attention permanents. L’armée de Terre en a fait un sujet central cette année. Nous faisons effort sur l’ensemble des paramètres avec une approche holistique du sujet : de la campagne de recrutement à la reconversion, en passant par l’hébergement, la formation, la rémunération, les équipements, le soutien aux familles, les capacités d’entrainement, le style de commandement, le travail sur les valeurs constitutives de notre culture (fraternité d’armes, sens du service et de la mission etc). Nous ne cessons de perfectionner notre modèle d’accueil, d’orienter au mieux les candidats au regard de leurs ambitions, de limiter le choc lorsqu’ils découvrent leur nouvel environnement, de leur apporter une formation progressive fondée sur une pédagogie qui les aide à réussir. Tous les leviers d’action à notre disposition sont utilisés pour s’assurer que les jeunes nous rejoignent … et qu’ils décident de rester parce qu’ils s’épanouissent en vivant des expériences uniques. Il s’agit in fine de bien vivre son métier et bien vivre de son métier.

La LPM aborde bien entendu le sujet général des RH, en particulier à travers les questions d’attractivité et de fidélisation. Des ressources budgétaires y sont consacrées (rémunérations, plan Famille, plan hébergement …) et des mesures nouvelles de politique sont proposées.

La difficulté de recrutement a-t-elle un effet sur la qualité et le niveau des engagés ?

Il y a effectivement un effet mécanique entre attractivité et sélectivité. La situation est en particulier difficile dans les métiers très concurrentiels, comme ceux du numérique. De façon générale, nos jeunes soldats sont solides et motivés et font admirablement bien leur travail. Ce qui me semble essentiel est que nous accueillons tous les jeunes Français qui veulent nous rejoindre en nous appuyant sur un système de formation interne et de commandement de contact très performant qui leur offre la possibilité de s’épanouir et de progresser. C’est ainsi que plus de la moitié de nos officiers se sont engagés comme simple soldat ou sous-officier. Cette capacité à s’élever au sein de l’institution, quel que soit son bagage initial, reste unique. 

DFHAT : Direction des Ressources Humaines de l’Armée de Terre

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