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Le chemin de croix des édifices cultuels

Un rapport sénatorial, une pétition de parlementaires, des tribunes dans la presse… l’état du patrimoine cultuel de France inquiète et suscite de nombreuses questions.

Interrogée en janvier dernier sur France 5, l’ex-ministre et chroniqueuse télé, Roselyne Bachelot en pleine promotion de son livre « 682 jours, le bal des hypocrites » (Plon) jetait un pavé dans la mare en indiquant un peu hâtivement qu’il allait falloir faire un choix dans les églises à sauver en France. « Il y a un patrimoine cultuel du XIXème siècle qui n’a pas grand intérêt » lâchait alors l’ancienne ministre de la culture sous-entendant qu’on pourrait (devrait) même raser ces édifices, faute notamment de pouvoir les entretenir. « Il faudra que les citoyens intéressés se prennent par la main et décident de sauver telle ou telle église [… ] On ne pourra pas demander à l’Etat [… ], il faut que l’Etat et les collectivités publiques se recentrent sur un patrimoine notoire » précisait-elle non sans raison.

Dans un rapport (1), les sénateurs Anne Ventalon et Pierre Ouzoulias de la commission des affaires culturelles s’étaient déjà emparés du sujet l’été dernier, inquiets de l’état de délabrement d’un grand nombre de « petites églises de nos campagnes ». Ils souhaitaient avec ce rapport susciter un regain d’intérêt général. Une alerte utile mais pas suffisante. Peu de temps après, si l’on lisait (très) attentivement la presse régionale, on apprenait qu’une église était mise à terre dans un village de France, non sans tristesse ni déception du maire résigné mais contraint par la charge financière et administrative insupportable pour sa commune (2). Une situation pourtant difficilement acceptable pour Edouard de Lamaze, le président de l’Observatoire du patrimoine religieux (OPR) pour qui « la destruction est inadmissible et devrait être interdite ». Certes mais il faut cependant relativiser : « les destructions des églises et chapelles paroissiales ou privées restent rares : on n’en dénombre que deux à sept par an depuis 2000 » souligne l’Institut Pèlerin du patrimoine.

« À chaque fois qu’une église s’efface, c’est un fragment d’âme de la France qui s’évanouit ». A l’initiative des sénateurs (LR) Henri Leroy, Valérie Boyer et Edouard Courtial et des députés (LR) Emilie Bonnivard et Philippe Gosselin, 131 parlementaires de la droite et du centre n’entendent pas se résigner et ont souhaité avertir le président la République dans une Lettre ouverte (le JDD du 19 février). « Nos églises ont un passé mais nous voulons aussi qu’elles aient un avenir. Cet avenir est menacé par les bulldozers, mais aussi faute de moyens, dans un silence assourdissant » ont-ils écrit avant d’appeler fermement Emmanuel Macron à « agir ».

En dépit d’un inventaire « incomplet », le dernier détaillé date de 1985, sur les plus de 42 000 édifices affectés au culte, 15 000 sont protégés au titre des monuments historiques, du fait qu’ils représentent « une valeur architecturale ou historique digne d’intérêt » rappelle le rapport sénatorial. Mais ce ne sont finalement pas ceux-là qui sont le plus à risque. D’après l’Observatoire du patrimoine religieux, 2 500 à 5 000 édifices sont menacés d’abandon, de vente ou de destruction et 500 seraient aujourd’hui fermés, sans aucune célébration du culte. Les édifices religieux les plus menacés se situent le plus souvent en « milieu rural plutôt qu’en milieu urbain » et sont ceux qui suscitent un intérêt moindre du fait de leur architecture jugée peu intéressante (néo-gothique ou néo-roman) ou parce qu’ils ont été construits avec des matériaux « médiocres » (béton, ciment, fer) qui se dégradent vite jugent les rapporteurs. « Certes, les églises du XIXème ne sont pas toutes belles, elles sont aussi particulièrement fragiles car construites rapidement et, souvent, avec des matériaux de moindre valeur, reconnaît Edouard de Lamaze. Devons-nous démolir pour autant ces témoignages de notre passé ? Sommes-nous sûrs de ne pas les trouver belles un jour, dans quelques siècles ? Pourquoi ne pas détruire, par la même occasion, les temples et synagogues construits, en grande partie, au XIXème siècle ? Par quelle arrogance mal placée, pourrions-nous nous octroyer le droit de rayer de notre patrimoine un pan entier d’histoire et d’architecture, supprimant un maillon précieux de celle-ci ? Notre-Dame de Paris, elle-même, n’est-elle pas riche de toutes les strates diverses de styles architecturaux, y compris ceux du XIXème siècle ? » s’emporte Edouard de Lamaze.

Désaffection, reconversion ? Quelles solutions pour les mairies et les diocèses ? La principale menace pour les édifices religieux est d’abord la faible fréquentation liée à une « sécularisation croissante de la société conjuguée à une désertification de certaines zones géographiques ». Aussi pour éviter un abandon qui pourrait se terminer en destruction, certains s’efforcent de trouver des solutions. La reconversion, après désacralisation du lieu – une demi-douzaine par mois estime l’OPR – apparaît comme un moindre mal. Ces dernières années, les exemples ont fleuri comme ces chapelles ou monastères transformés en logements, en hôtels, en théâtres ou en lieux parfois plus baroques. Ailleurs, on envisage plutôt l’avenir sous la forme d’un « usage partagé » pour garder les édifices ouverts autant que possible avec des concerts, des expositions, des visites guidées, des spectacles… « Les lieux doivent demeurer accessibles à tous, avec une vocation collective et un espace pour les fidèles, si possible. Il faut partager les lieux dans l’espace et dans le temps, marier le cultuel et le culturel plutôt que risquer la destruction » reconnaît Edouard de Lamaze.

Souvent démunis, les élus locaux n’ont alors que peu de solutions et aimeraient trouver un peu plus de soutien de la part des pouvoirs publics. C’est ce que proposent les sénateurs Anne Ventalon et Pierre Ouzoulias avec des mesures permettant d’accompagner les maires dans l’entretien de leur patrimoine religieux (carnet de suivi d’entretien, aides financières, techniques et juridiques) ou en permettant de recourir aux conseils d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) pour évaluer l’état du patrimoine religieux et identifier les solutions possibles pour chaque édifice.

Si le petit patrimoine religieux peut sembler oublié, l’Etat a annoncé mi-avril un investissement inédit de 220 millions d’euros dans la restauration et le renforcement des 87 cathédrales de France. En 2021 et 2022, le ministère de la Culture a consacré plus de 167 millions d’euros aux cathédrales, dont 25 millions d’euros pour leur sécurisation. Pour l’année 2023, le budget s’élèvera à 52 millions d’euros, sans compter les travaux effectués à Notre-Dame de Paris. « En trois ans, bien plus a été fait qu’en trente ans » a ainsi assuré la ministre de la culture Rima Abdul-Malak

1. Patrimoine religieux en péril : la messe n’est pas dite - Rapport d’information n° 765 (2021-2022), déposé le 6 juillet 2022

2. Les édifices du culte sont la propriété des communes pour un édification avant 1905. Ceux acquis ou construits après 1905 sont la propriété des seules personnes privées qui les ont acquis ou construits, celles-ci sont généralement des associations cultuelles (ou des associations diocésaines) ou des associations régies par la loi du 1er juillet 1901.

 

Par Mathieu Lours, Historien de l’architecture. Responsable de champ disciplinaire à l’Ecole de Chaillot
“La destruction sans reconstruction met en péril l’identité des paysages ruraux et urbains français”
Quand Notre-Dame brûle, le monde entier pleure, humbles et grands mécènes se mobilisent. Cette émotion que la France a vécu en voyant disparaître la toiture et la flèche de sa cathédrale emblématique était liée à l’instant paroxystique du désastre, de la catastrophe. Tous les ans, plusieurs fleurons de notre patrimoine religieux sont emportés par des tempêtes, des incendies, des glissements de terrains, figures tragiques et sublimes du destin qui frappe les monuments comme il peut frapper les êtres.
Mais que dire des agonies lentes et silencieuses de tant de nos églises ? Ce dépérissement qui n’attire pas le grand mécénat, faute de visibilité. Ce patrimoine qui s’efface, faute d’être protégé. Le verdict est sans appel. Sur les 45 000 édifices de culte catholiques présents en France, 2500 sont en état de péril, suivant les chiffres de l’Observatoire du patrimoine religieux, seule association qui, en France, dresse un recensement de ce type de patrimoine, toutes confessions confondues, et propose une veille et des statistiques liées à son état. En première ligne se trouvent les église bâties au XIXème siècle. A un moment où la pratique religieuse était la plus haute et où la population était essentiellement rurale. Ces « cathédrales des champs » sont souvent désertes aujourd’hui. Que faire ? Démolir, en reconstruisant ou pas un édifice de culte -la loi de 1905 oblige normalement à le faire - vendre, transformer ? La destruction sans reconstruction met en péril l’identité des paysages ruraux et urbains français, dépréciant immanquablement le lieu où le clocher disparaît. Privé de son ancrage historique et identitaire, le village ne devient plus qu’un groupe de maison, un corps sans âme. Comment éviter que des images aussi tristes que celles qu’on a vues à Abbeville en 2014, à Asnan en 2019 ou à la Baconnière en 2023 ne se reproduisent ?
Tout d’abord en portant le regard vers le principal problème. Il faut le reconnaitre : la plupart des églises ne disparaissent pas dans une catastrophe, mais parce qu’on a négligé de les entretenir. Ne pas curer des gouttières pendant des années, ne pas changer des tuiles tombées, c’est garantir qu’un édifice dépérisse en l’espace de dix ans. C’est en obligeant à assurer l’entretien, bien moins coûteux qu’une restauration -mais aussi moins visible - et grâce à une vigilance des élus, gestionnaire de ces biens communaux, du clergé affectataire exclusif, des fidèles et des citoyens que ce problème doit être surmonté. Quitte à penser, en effet, à des usages partagés, mais exclusivement compatibles avec la fonction première de ces édifices et en accord avec le clergé affectataire. Mais cela ne résout pas la question du financement des gros travaux parfois nécessaires. Il est du ressort de l’Etat, s’il ne souhaite pas classer monument historique l’ensemble des églises paroissiales de France, de créer le cadre législatif et administratif nécessaire pour inciter les grands mécènes à s’engager pour ce « petit » patrimoine, pourtant grand à l’échelle des communes qui l’abritent. Cela suppose aussi une approche typologique des édifices. Il faut pouvoir formuler une réglementation propre à la typologie « édifice religieux » et ne pas se contenter d’un tier des monuments par siècles. Il existait pour cela au Ministère de la culture, jusqu’en 2014, un Comité du patrimoine cultuel particulièrement actif. Depuis cette date, il n’a plus été réuni et plus personne n’a été nommé à sa tête.
Une des spécificités de la laïcité à la française est d’avoir fait à deux reprises, en 1790 puis en 1905, des édifices de culte, des édifices civiques. Il faut saisir la chance que cela constitue et qui donne aux églises de France, mais aussi aux Temples et aux Synagogues antérieures aux lois de Séparation des Eglises et de l’Etat, la dimension d’édifices nationaux. Et, en ce sens, les bâtiments religieux construits après cette date, par les diocèses catholiques et l’ensemble des associations cultuelles et qui leur appartiennent, constituent eux aussi, par leur diversité, une image du rapport actuel entre la France et les religions de ses citoyens.
Soyons bien conscients, en effet, que, pris dans son ensemble, le patrimoine religieux français, même non classé, datant essentiellement du XIXème siècle, constitue un corpus unique en son genre. Ne pas le protéger aujourd’hui, c’est risquer une hécatombe patrimoniale que nous risquons fort de regretter dans quelques temps, tout comme nous pleurons aujourd’hui les chef d’œuvres médiévaux perdus lors de la Révolution française et alors considérés comme économiquement non viables et esthétiquement superfétatoires.

 

“Que faire ?”
Face à la sécularisation de la société et à la désertification des lieux de culte, les communes cherchent des solutions pour entretenir leurs églises. Dans le Béarn, Jacques Pedehontaà, « prince » de Laàs a trouvé « sa » solution : transformer une chapelle en cabaret et proposer un « escape church » dans l’église du village.
Que faire de nos 42 000 clochers dont 2 500 à 5 000 sont en état de péril imminent, menacés de ruine ou de destruction parce que leurs propriétaires, les communes et notamment les petites communes n’arrivent plus à les entretenir ? Cette question, Jacques Pedehontaà, maire de Laàs depuis plus de trente ans se l’est posée comme de très nombreux autres maires de France incapables de faire face aux travaux. « Que faire ? » insiste l’édile de ce village de 140 âmes, érigé en principauté en 2014, qui compte une chapelle romane du XIème siècle, désacralisée et en ruine et une église du XIXème siècle ouverte au culte.
Pour la chapelle Saint Barthélémy qui ne tenait debout que par l’opération du Saint Esprit et qui a servi de carrière de pierres jusqu’à son rachat par la commune en 1992, le choix a été fait de la convertir « en une salle de spectacle de 150 places » - un cabaret ouvert tout récemment qui ne fait toutefois pas l’unanimité. Mais habitué aux critiques de ceux qui disent mais ne font rien, Jacques Pedehontaà rappelle que le lieu est « désacralisé et qu’il existe d’autres lieux cultuels à avoir connu le même sort dans le département ».
Pour l’église au centre du village, trouver un moyen de l’entretenir était plus complexe. Toujours ouverte au culte, l’église devait rester accessible sans droit d’entrée et la solution trouvée, respecter la sacralité du lieu. Après de longues tractations avec l’évêché et fort de l’histoire du village, il a été imaginé de proposer aux futurs visiteurs « un son et lumière » qui raconte Laàs de l’an 1000 à nos jours. Le « spectacle » pourra être déclenché grâce à un monnayeur. Ensuite, s’inspirant de ce qu’on réalisé des moines bénédictins de l’est de la France, il sera également proposé un « missio game », un jeu de rôle entièrement basé « sur les récits de la Bible » qui entraînera le touriste dans un parcours immersif d’une heure trente avec une douzaine d’énigmes à résoudre pour trouver… « la clé qui lui ouvrira les portes du paradis ». « Tout cela pour que l’église, toujours édifice sacralisé devienne un lieu à visiter qui raconte une histoire touristique et patrimoniale, notamment pour les visiteurs du château (une gentilhommière du XVIIème situé sur le territoire de la commune, Ndlr) ; qu’elle devienne un lieu incontournable pour les croyants comme pour les touristes » espère le maire qui juge son modèle reconductible. « A la taille de Laàs, on sauve deux lieux et on permet à une église sacralisée qui voit 3 messes par an, de nombreux enterrements, peu de baptêmes et de mariages de tenir encore debout, ce n’est pas rien » conclut non sans fierté Jacques Pedehontaà.

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