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A vos rangs fixe !

En amont de la discussion parlementaire sur la Loi de programmation militaire (LPM), les sénateurs Joël Guerriau (LIRT, Loire-Atlantique) et Marie-Arlette Carlotti (SER, Bouches-du-Rhône) rendaient un rapport sur le modèle de ressources humaines des armées. Ils y expliquent notamment que « le recrutement et la fidélisation des personnels constituent un défi majeur pour les armées ».

Ces derniers temps, le retour dans notre voisinage immédiat de la guerre de haute intensité (Ukraine mais aussi Haut-Karabagh) « renforce la nécessité de mettre en cohérence le format de ressources humaines des armées avec nos ambitions stratégiques » expliquent avec insistance les deux rapporteurs. Au cours de leur mission, les élus ont pu constater que nos armées connaissent aujourd’hui un seuil critique menacé par des difficultés de recrutement et de fidélisation. « Malgré l’inversion de la courbe des effectifs des forces armées décidée en 2015, la remontée progressive est loin de compenser les réductions brutales d’effectifs depuis la suspension de la conscription » ajoutent-ils non sans inquiétude. Depuis la suspension de la conscription, au fil du temps et de la volonté de l’exécutif d’aller vers un modèle d’armée professionnelle et expéditionnaire correspondant à la situation géopolitique née de la fin de la guerre froide, le ministère des armées a supprimé plus de 200 000 postes en vingt-cinq ans.

Or, aujourd’hui le contexte sécuritaire exige une montée en puissance. « L’objectif de préparer l’armée française à une guerre de haute intensité, consacré en novembre 2022 par la Revue nationale stratégique, ne pourra être tenu qu’à la condition que la trajectoire en ressources humaines des armées soit à la hauteur des ambitions stratégiques affichées par la France » écrivent-ils encore. Et chaque année, le ministère des armées doit être en capacité de recruter environ 40 000 personnes et de les garder dans ses rangs. Or, très clairement, rapport après rapport, resurgit le problème d’attractivité des métiers des armées et de fidélisation. Dans un précédent rapport paru en février et consacré au bilan de la LPM passée, les députés Yannick Chenevard (RE, Var) et Laurent Jacobelli (RN, Moselle) pointaient déjà les départs anticipés des engagés de leur fait mais aussi par choix de l’institution qui estime parfois qu’ils ne sont pas à la hauteur. Auditionné, le ministère des armées avait alors reconnu qu’entre 2019 et 2022, il avait fallu faire face à une augmentation de près de 6 % des départs (+ 2,5 % pour les militaires et + 25 % pour les civils). Une situation qui touche toutes les composantes de nos armées mais plus particulièrement l’armée de terre et surtout les hommes du rang. La question de la fidélisation dans la marine et l’armée de l’air se pose quant à elle essentiellement pour les sous-officiers et gradés dont les métiers souvent spécifiques sont en concurrence frontale avec le civil (nucléaire, électronique, mécanique, cyber…).

Si la situation est loin d’être catastrophique, il importe toutefois de rester attentif préviennent les élus qui rappellent fermement que la fidélisation des personnels est « un enjeu déterminant pour permettre aux armées de disposer des effectifs et des compétences en adéquation avec leur contrat opérationnel » et que la future LPM devra y veiller. Aujourd’hui, si le taux de renouvellement des primo engagés n’est pas forcément mauvais, l’institution constate que la durée des contrats dans l’armée de terre par exemple est souvent moins longue avec une nette diminution des contrats de cinq ans. Quant aux contrats longs, ils sont aussi en forte diminution. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce désamour. Dans les métiers techniques, on l’a dit, la concurrence avec le civil est très forte notamment dans les domaines prioritaires du renseignement et de la cyberdéfense mais pas seulement. Il existe aussi pour les militaires, un « sentiment diffus de déclassement » lié à l’évolution de la perception de la fonction militaire dans la société comme reconnu par le Haut Comité d’évaluation de la condition militaire (HCECM). Si le militaire se sent valorisé dans son rôle de combattant en Opex, il l’est moins dans sa place liée à l’opération « sentinelle ». Beaucoup reprochent aussi à l’institution le manque de munitions et d’entraînement, la qualité du matériel mais aussi la vétusté des locaux (l’EMA reconnaît que seul « un quart » du parc immobilier est considéré comme dans un état neuf ou bon). Les rapporteurs constatent aussi un nouveau rapport au métier avec les nouvelles générations d’engagés et ce quel que soit le grade. « Sans remettre en cause leur engagement au sein de l’armée, une proportion croissante des militaires envisagent désormais leur passage au sein de l’institution militaire comme une étape de leur parcours professionnel, voire comme un tremplin vers une activité civile plus rémunératrice » expliquent-ils. La vie de famille est aussi un enjeu crucial à prendre en compte, ce que l’ancienne ministre Florence Parly avait intégré en développant des « plans famille ». « De nombreux départs des forces armées s’expliquent moins par la volonté de quitter l’institution militaire que par le poids que les sujétions militaires font peser sur la vie personnelle et familiale des militaires indiquent les sénateurs. L’exigence de disponibilité et la fréquence des mobilités associées au statut militaire - la Marine nationale estimait en 2017 que le taux de chômage était de 32 % pour les conjoints de marins dans l’année qui suit sa mobilité - sont un facteur important dont il est impératif de tenir compte dans la politique de fidélisation du ministère des armées ».

Enfin, bien évidemment, la question de la rémunération est au cœur du sujet. Or, les rapporteurs ont pu relever à la suite de plusieurs des personnes auditionnées que l’évolution des grilles indiciaires des militaires depuis plusieurs années « s’est traduite par un phénomène de tassement qui limite les incitations à la progression et, partant de là, fragilise la fidélisation des militaires ». « Il s’agit d’être mieux payé » a résumé face à ses collègues Marie-Arlette Carlotti. La prochaine programmation devra donc veiller à fixer « un cadre et une trajectoire budgétaire cohérente avec la nécessité d’actualiser les grilles indiciaires pour permettre de préserver le caractère d’escalier social et professionnel des armées » ajoutent les rapporteurs qui promettent d’être attentifs sur le sujet. 


Le format actuel de ressources humaines du ministère des armées est de 272 571 postes en 2023.
Les effectifs ont été réduits de 29 % en cinq ans entre 1997 et 2002 dans le cadre de la professionnalisation des armées.

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