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2022-2023 : un pouvoir d’achat entamé par l’inflation (1)

Par Pierre Madec, Mathieu Plane et Raul Sampognaro, Observatoire français des conjonctures économiques

Les chocs inédits, sanitaires et énergétiques, traversés depuis 2020, les réponses budgétaires massives pour limiter les conséquences économiques et sociales et les variations exceptionnelles de certaines composantes du revenu des ménages ont marqué l’évolution du pouvoir d’achat au cours des trois dernières années.

En 2020, dans un contexte de crise sanitaire, la baisse de pouvoir d’achat a été limitée (-100 euros par unité de consommation (2)) par les mesures liées au « quoi qu’il en coûte », notamment le chômage partiel et les mesures fiscales mises en place (réforme du barème de l’impôt sur le revenu et baisse de la taxe d’habitation). Les pertes de pouvoir d’achat ont d’ailleurs été rapidement effacées. En 2021, la forte reprise de l’emploi (+630 000 emplois en moyenne annuelle) en sortie de crise Covid accompagnée d’une sortie progressive du chômage partiel ont permis une hausse significative du pouvoir d’achat (+ 660 euros par UC).

Si en 2022 le pouvoir d’achat est encore soutenu par le dynamisme de l’emploi (près de 600 000 en moyenne annuelle), la nette réduction des mesures d’aides directes aux ménages liées à la fin de la crise Covid diminue l’ampleur des prestations sociales dans le revenu. Mais avec la crise énergétique et les conséquences de l’invasion de l’Ukraine par la Russie, l’année 2022 est avant tout marquée par le retour de l’inflation et de la mise en place d’un bouclier tarifaire sur l’énergie. Selon l’Insee, l’IPC a augmenté de 5,2 % en 2022 par rapport à 2021 en France hors Mayotte, un niveau inédit depuis près de quatre décennies.

Il faut noter que ce choc inflationniste a été subi par les ménages de façon hétérogène. La place des ménages dans la distribution des niveaux de vie n’apparait pas comme le principal déterminant du choc subi. Celui-ci semble particulièrement corrélé à deux variables : l’âge de la personne de référence du ménage et la taille de l’unité urbaine de résidence.

Plus l’âge de la personne de référence est élevé, plus forte est l’exposition aux prix de l’électricité, du gaz et des produits alimentaires. Selon nos calculs, un ménage dont la personne de référence est âgée de plus de 65 ans connaît un taux d’inflation supérieur de 0,6 point par rapport à l’inflation moyenne. L’ampleur du choc inflationniste diminue avec la taille de l’unité urbaine mesurée par la population. Deux facteurs expliquent le gradient d’inflation : les dépenses en carburant sont supérieures dans les petites communes tout comme les dépenses énergétiques pour le logement. L’inflation moyenne subie par un ménage en zone rurale serait supérieure de 1 point à la moyenne tandis qu’elle est inférieure de 0,8 point en agglomération parisienne.

En 2022, l’indexation des prestations sociales et du SMIC ont permis de soutenir les revenus nominaux mais cela permet tout juste de compenser la montée de l’inflation. D’ailleurs, la revalorisation anticipée des prestations sociales et des pensions intervenues en juillet 2022 n’aurait permis une compensation intégrale du choc inflationniste. En 2023, sous l’hypothèse d’une revalorisation de 1,7 % des prestations sociales en avril, les prestations sociales devraient de nouveau contribuer négativement à l’évolution du pouvoir d’achat des bénéficiaires.

Selon nos estimations, le pouvoir d’achat par UC baisserait de 150 euros en 2022 (soit -0,4 %) malgré la mise en place d’un bouclier tarifaire sur les prix de l’électricité et du gaz et d’une remise carburant limitant la hausse des prix. Si l’on tient compte des prévisions disponibles actuellement (3), le pouvoir d’achat par unité de consommation se réduirait donc entre -1,2 % et -2,0 % entre la fin 2021 et la fin 2023, sous l’effet notamment d’une contribution négative des revenus du travail avec la baisse du salaire réel anticipée. Cette baisse effacerait quasiment la hausse cumulée entre 2020 et 2021 dans le cas du scénario le moins favorable, le pouvoir d’achat par unité de consommation revenant à la fin de l’année 2023 peu ou prou à son niveau d’avant-Covid.

Bien évidemment, la baisse anticipée du pouvoir d’achat en 2022 et 2023 aurait été plus marquée sans la mise en place d’un bouclier tarifaire et une remise carburant. Sans ces mesures, la baisse de pouvoir d’achat entre fin 2021 et fin 2023 aurait pu atteindre près de 5 % dans le scénario le moins favorable. Le bouclier tarifaire et la remise carburant ont ainsi permis de soutenir le pouvoir d’achat par unité de consommation à hauteur de 790 euros en moyenne en 2022 avec des effets très différents selon la place de ménages dans la distribution des niveaux de vie. Selon nos estimations, ces mesures auraient soutenu le niveau de vie du premier quintile de 5,1 % et de 2,2 % celui des ménages les plus aisés. Selon nos calculs, près de 60 % du choc énergétique aurait été compensé pour les ménages grâce à ces dispositifs ayant un effet direct sur les prix au consommateur.

Outre les mesures « d’urgence » énergétiques (bouclier tarifaire, remise carburant), de nombreuses mesures sociales et fiscales, plus pérennes, sont également entrées en vigueur ou ont monté en charge au cours des dernières années.

Le premier quinquennat d’Emmanuel Macron a été marqué par la mise en place de nombreuses mesures fiscales ayant un impact sur le niveau de vie des ménages. La fin de la taxe d’habitation pour 80 % des ménages dans un premier temps, la « bascule » CSG / cotisations sociales, la réforme de la fiscalité du capital (PFU, ISF), l’augmentation de la fiscalité indirecte ou encore les mesures prises à la suite du mouvement des Gilets jaunes (baisse de l’impôt sur le revenu, revalorisation de la prime d’activité, …) sont autant de mesures qui ont eu des impacts significatifs sur la distribution des niveaux de vie (4).

Au cours de l’année 2022, bien que réduit par la montée en charge de la réforme de l’assurance chômage, le revenu disponible des ménages les plus modestes a été soutenu par les mesures d’urgence. Selon nos estimations, les ménages appartenant aux 5 % les plus pauvres auraient vu leur revenu disponible s’accroitre en moyenne de 110 euros (de 2021) par la revalorisation anticipée des prestations sociales intervenue en juillet 2022, de 120 euros par le versement de l’aide exceptionnelle versée aux ménages modestes et de 170 euros par le versement du chèque énergie exceptionnel. Au total, le revenu disponible des ménages appartenant aux 5 % les plus modestes aurait cru (hors inflation et autres dynamiques de revenu) de 400 euros en 2022.

Ce gain est comparable à celui enregistré par les sept premiers déciles de la population (70 % des ménages) qui, selon nos estimations, auraient gagné entre 280 et 400 euros grâce à la mise en place des mesures pérennes et des mesures d’urgence. Bien évidemment, en proportion de leur niveau de vie, les ménages les plus modestes sont les plus soutenus (4,5 % de hausse de niveau de vie pour les 5 % les plus modestes contre 1,5 % en moyenne pour les autres ménages).

De leur côté, les 30 % des ménages les plus aisés ont vu leur revenu disponible s’accroître principalement sous l’effet de la revalorisation anticipée des pensions de retraite et de l’abattement de la taxe d’habitation. Celui-ci représente d’ailleurs à lui seul un gain moyen de 650 euros pour les 5 % de ménages les plus aisés, soit 0,6 % de leur niveau de vie. Á titre de comparaison, les ménages du centre de la distribution ont connu un gain de revenu disponible de l’ordre de 500 euros du fait de la suppression de la taxe d’habitation intervenue entre 2018 et 2021 et le gain enregistré par les 10 % de ménages les plus modestes a été lui de 100 euros.

Au-delà de l’évolution de l’emploi, l’année 2023 risque d’être marquée une nouvelle fois par la vigueur de l’inflation. En ce début d’année, celle-ci reflète essentiellement le dynamisme des prix alimentaires (+14,5 % sur un an, au mois de février 2023) et les perspectives restent haussières sur ces produits. Dans ce contexte, l’inflation pourrait affecter encore plus fortement les ménages les plus pauvres. Reste à voir si des nouvelles mesures de politique économique viendront atténuer les conséquences d’un choc de nouveau massif sur un tissu social déjà fragilisé par les conséquences de la pandémie et de la crise énergétique. 


1. Cet article est basé sur la publication de l’OFCE de P. Madec, M. Plane et R.Sampognaro « Une analyse des mesures budgétaires et du pouvoir d’achat en France en 2022 et 2023 » Policy Brief de l’OFCE, n°112, février 2023

2. Usuellement, pour comparer les niveaux de vie de ménages de composition différente, on divise le revenu par le nombre d’unités de consommation (UC) suivant l’échelle d’équivalence dite de l’OCDE.

3. Elliot Aurissergues, Anissa Saumtally, 2023, « L’économie française en 2023 selon le panel des prévisionnistes de l’OFCN », OFCE Policy brief 111, 10 février.

4. Voir les résultats détaillés dans Madec, Plane et Sampognaro, « Une analyse macro et microéconomique du pouvoir d’achat. Bilan du quinquennat mis en perspective », ETUDE OFCE n° 02/2022.