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Sommet AUKUS : et si, finalement, c’était une opportunité pour la France ?

Par Cédric Perrin, Sénateur du Territoire de Belfort, vice-Président de la commission des Affaires étrangères, de la Défense et des Forces armées

Le sommet trilatéral AUKUS tenu en mars dernier est venu raviver de douloureux souvenirs, sapant les efforts déployés par les diplomates français pour restaurer une bonne entente avec l’Australie, partenaire incontournable de la stratégie nationale pour l’Indopacifique.

Entre l’annulation du contrat des sous-marins conventionnels par Canberra et l’accord anglo-saxon excluant a priori la France, AUKUS n’est pas, en apparence, la plus grande des réussites diplomatiques française. S’il n’est plus temps de distribuer les bons et les mauvais points dans cette affaire, ni de revenir sur la passivité de notre diplomatie, à commencer par celle du Président de la République, force est de constater qu’il y a eu là un notable affaiblissement de la France.

Cependant, après 18 mois d’existence, AUKUS atteint une phase de maturité qu’il est nécessaire d’analyser.

La dimension industrielle tout d’abord. Ne nous leurrons pas, c’est un échec lourd pour les acteurs de la défense. L’annonce des deux phases pour les sous-marins destinés à l’Australie, avec les Virginia américains, puis les SSN AUKUS australo-britanniques, est un rappel douloureux du destin des Barracuda et des opportunités – notamment financières perdues pour notre industrie de défense (10 milliards d’euros). Les SSN AUKUS n’entreront toutefois en service qu’à la fin des années 2030. Ils seront sans doute une mauvaise surprise pour le contribuable australien, surtout en comparaison de l’option française initialement choisie. Il n’est d’ailleurs pas interdit de s’interroger sur lequel des trois pays apparaît le plus gagnant dans cet accord : il n’est pas certain que ce soit l’Australie étant donné que le renouvellement des SNA britanniques semblait jusqu’ici très complexe à financer. La question de la gestion des systèmes nucléaires des futurs sous-marins pose également question, étant donné le haut niveau d’enrichissement du carburant des sous-marins anglo-saxons, comparé à la pratique française. Si la lettre du traité de Rarotonga n’est pas violée - l’Australie ne disposant pas d’armes nucléaires - l’esprit quant à lui semble mis à mal.

D’un point de vue stratégique et opérationnel ensuite. L’appréciation n’est sans doute pas la même. Face au renforcement de la compétition interétatique en Indopacifique, le renforcement des capacités australiennes est une bonne nouvelle, de même que l’implication assumée des Britanniques dans la région. La France, qui est longtemps restée le seul pays européen à vouloir se projeter résolument dans cette zone incontournable, se retrouve moins seule. Le retrait des Etats-Unis du golfe arabo-persique pour se tourner toujours plus vers le Pacifique et la mer de Chine, induit la nécessité de disposer de partenaires fiables et efficaces afin de gérer les multiples crises qui pourraient survenir dans l’océan Indien. À ce titre, une Australie renforcée et un Royaume-Uni plus présent appuieront les pays européens qui, autour de la France, accomplissent la mission Agenor de sécurisation du Golfe. Réunissant 9 pays, elle constitue un vrai succès de coopération européenne, même si elle se trouve pour le moment hors de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC).

Le sommet AUKUS semble désormais induire un partage des zones de responsabilité : l’ouest de l’océan Indien pour les Français et leurs partenaires européens, la zone centrale pour l’Inde, le sud-est et le Pacifique pour AUKUS.

Avec une structuration de multiples alliances et partenariats bi et multilatéraux, les pays de l’espace euro-atlantique, peuvent ainsi mieux contribuer à la sécurité régionale et globale. AUKUS peut se lire, malgré ses prémices houleuses, comme un accord de réassurance solide face aux Etats opposés aux fondements de l’ordre international.

Alors que la boussole stratégique de l’Occident était en panne jusqu’à l’invasion de l’Ukraine par la Russie, ce sommet AUKUS contribue également - un peu - à la réparer.

Du côté des pays de l’Indopacifique, la question demeure sans doute plus complexe. Si AUKUS se présente comme une alternative, voire un rempart, à la puissance chinoise, la présence de sous-marins nucléaires propulsés n’est certainement pas pour certains de ces pays un gage de tranquillité dans la région. 

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