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La guerre nucléaire de deux anciens présidents

Nicolas Sarkozy et François Hollande ont été auditionnés à l’Assemblée nationale par la commission d’enquête sur la « perte de souveraineté et d’indépendance énergétique de la France ». Un duel à distance entre les deux anciens présidents qui n’ont pas ménagé les critiques.

“Le nucléaire n’est ni de droite ni de gauche, il est l’intérêt supérieur de la France” a voulu rappeler Nicolas Sarkozy en préambule de son audition. « Vouloir détruire la filière nucléaire française, c’est trahir l’intérêt français » s’est ensuite agacé l’ancien président visiblement remonté. Tout au long de son audition, Nicolas Sarkozy n’a à aucun moment ménagé son successeur qui devait être auditionné à son tour dans l’après-midi. Une première pour deux anciens présidents.

Après avoir défendu sa politique énergétique et rappelé son soutien à la filière nucléaire au cours de son quinquennat, Nicolas Sarkozy a habilement fait le distinguo entre « ceux qui ont voulu détruire la filière et ceux qui l’ont promue » tout en se donnant le bon rôle et en visant sans le nommer à ce moment-là François Hollande. « Aujourd’hui, c’est facile d’être pour le nucléaire, j’en vois qui font des doubles et triples saltos arrière (…). Le nucléaire a fait l’objet d’une campagne de dénigrement digne des chasses aux sorcières du Moyen Âge. Irrationnelle, mensongère » a encore tancé Nicolas Sarkozy multipliant tout au long de l’audition les coups de griffes. Et l’ex-président de s’interroger sur le projet de Penly (réacteur de 3ème génération en Seine-Maritime) qui « a été arrêté par François Hollande. Pourquoi ? Personne n’en sait rien » ; une décision prise « sans aucune raison valable ». Fessenheim ? En 2012, François Hollande évoquait déjà la fermeture des deux réacteurs de la centrale alsacienne (ils le seront en 2020). Cette fermeture faisait l’objet d’un accord avec les écologistes qui voulaient fermer vingt-quatre réacteurs sur les cinquante-huit en fonctionnement à l’époque pour réduire de 74 % à 50 % la part du nucléaire. « Un accord de coin de table » comme l’a présenté l’ancien ministre du Redressement économique, Arnaud Montebourg auditionné le 2 mars. De quoi agacer Nicolas Sarkozy qui s’est amusé à rappeler que François Mitterrand n’avait jamais remis en cause le nucléaire. « Le revirement du corpus idéologique des socialistes, c’est le moment où ils se sont dit que pour gagner il fallait une alliance avec les écologistes. Mais c’est vraiment de l’opportunisme ! » dénonce-t-il. Et « si le nucléaire est dangereux, pourquoi ne fermer que Fessenheim ? [… ] Il ne faut sauver que les Alsaciens ? » embraye faussement naïf Nicolas Sarkozy. « Mais si le nucléaire est dangereux, ferme tout ! » s’emporte l’ex-président feignant de s’adresser à son successeur. Il a fallu attendre l’après-midi, pour avoir les répliques aux mises en accusation. « J’ai cru comprendre que vous aviez reçu mon prédécesseur et qu’il a toujours cette facon de qui le rend particulièrement attractif, au moins auprès de ses amis » a ironisé François Hollande avant de répondre point par point aux remarques acerbes de son prédécesseur. Sans chercher à s’excuser de son choix de fermer Fessenheim, l’ancien président socialiste a toutefois tenu à atténuer la portée de sa décision rappelant que la centrale ne représentait « qu’un dixième » des capacités nucléaires françaises dans la production d’électricité. Quant à l’accord, c’était « un objectif politique » de réduction sans compter que l’on parlait « des 24 réacteurs les plus vieux ». « La baisse de production d’électricité nucléaire en 2021 et 2022 n’est en aucune manière la conséquence d’une décision politique ou d’un arrangement électoral remontant à plus de dix ans » a estimé François Hollande. Elle est liée, juge-t-il à une « une addition d’incidents », de problèmes techniques « inquiétants » et au retard du lancement de l’EPR de Flamanville. « Tout au long de mon mandat, j’ai défendu la filière nucléaire tout en travaillant pour qu’elle puisse être complétée par une montée des énergies renouvelables. Il ne s’agissait pas de réduire la capacité de production du nucléaire, mais de favoriser le renouvelable en plus du nucléaire » a-t-il finalement expliqué cherchant à convaincre la commission d’enquête.

Les deux auditions qui ont duré plus de cinq heures en tout concluent les travaux de la commission d’enquête présidée par Raphaël Schellenberger, député (LR) du Haut-Rhin et dont le rapporteur est Antoine Armand (RE, Haute-Savoie). Depuis octobre 20222, la commission d’enquête a auditionné 88 personnalités (chercheurs, hauts fonctionnaires, ministres sortants, responsables d’EDF…) et a rassemblé plus de 5000 pages de documents. Elle devrait rendre ses travaux en avril. 

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