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Covid-19 : les défaillances du Ministère de la Santé pointée par l’Igas

Révélé par Le Parisien, un rapport de l’Igas accable le ministère de la Santé dans sa gestion de la première vague du Covid en 2020.

Ce rapport n’était pas classé « Secret défense » mais seulement « confidentiel ». Il a toutefois fallu à nos collègues du Parisien s’armer de patience – près de deux années - pour y avoir accès. Et parce qu’il se veut seulement « préparatoire à une décision administrative », cet audit de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) commandé en juin 2020 par Olivier Véran alors ministre de la Santé ne pouvait donc pas être rendu public a-t-il été expliqué aux journalistes. Rendu au gouvernement en novembre 2020, seule une poignée de destinataires a pu le consulter. Jusqu’à ce que Le Parisien le mette en lumière en publiant des extraits. L’audit avait pour mission d’identifier « les réussites, les difficultés et les lacunes » du ministère de la Santé dans sa gestion de la pandémie lors de la première phase de la pandémie. Après deux mois d’enquête et l’audition de quelques 375 personnes (élus, directeurs d’ARS, membres de cabinets ministériels, préfets, etc.), les enquêteurs de l’Igas font preuve d’une très grande sévérité dans les attendus du rapport. Manque de masques, maintien des élections municipales, délai d’activation des décisions, impréparation, désorganisation, circuit de décision « peu lisible », guerre intestine entre services, manque de compétences des personnels recrutés... La litanie des griefs contre le ministère et l’exécutif listée par l’Igas et reprise par Le Parisien est longue et étayée. « L’organisation de la gestion de crise a connu un éclatement tel qu’au cours de la mission, aucun acteur rencontré n’a semblé en avoir une vision claire et exhaustive, quel que soit son niveau hiérarchique. Ce manque de vision d’ensemble a conduit à des activités conduites en doublon, mais aussi à l’absence de prise en charge de certains sujets, en particulier par anticipation » assènent sans complaisance les inspecteurs de l’Igas. Une immense pagaille, c’est bien le sentiment que l’on a en lisant les extraits de ce rapport de 205 pages. Le rapport qui faisait 32 propositions pour pallier aux erreurs commises au cours de la première vague du covid ne semble pourtant pas avoir été prises en considération pour les vagues suivantes explique Le Parisien tant le chantier semblait « titanesque ». Interrogé sur le sujet lors de la conférence de presse du premier conseil des ministres de l’année, le 4 janvier dernier, Olivier Véran porte-parole du gouvernement et ex-ministre de la Santé a reconnu avoir était confronté « à une organisation qui n’était pas suffisamment préparée pour faire face à des crises de cette ampleur ». « Par définition, aucun pays au monde n’était prêt à faire face à cette crise d’une telle ampleur, puisque tous les pays ont été percutés par le même virus, dans des conditions à peu près analogues ». a-t-il ensuite ajouté pour se dédouaner.

Selon Le Parisien, l’audit de l’Igas a été transmis à la Cour de Justice de la République (CJR) qui instruit aujourd’hui une enquête sur la gestion de la crise liée au Covid-19 par l’exécutif et dans laquelle Agnès Buzyn a été mise en examen « pour mise en danger de la santé d’autrui » et Edouard Philippe a été placé sous le statut de témoin assisté. 


Le point de vue de Catherine Deroche, Sénatrice de Maine et Loire, Présidente de la Commission des Affaires sociales
À la différence du journal le Parisien qui en livre la teneur dans son édition du 4 janvier 2023, la commission des Affaires sociales du Sénat n’a pour l’heure pas été destinataire du rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) intitulé « retour d’expérience du pilotage de la réponse à l’épidémie de Covid-19 par le ministère des Solidarités et de la Santé ».
Le commentaire que je peux en livrer en ma qualité de rapporteure de la commission d’enquête du Sénat sur la gestion de la crise sanitaire se limite donc à la recension qui en a été faite par la presse. Il s’articule autour de trois remarques principales.
La première, c’est que les constats formulés par la mission de l’IGAS sont, sans surprise, assez largement les mêmes : le manque d’équipements de protection individuels résultant de choix antérieurs hasardeux et inadaptés, une organisation inadéquate et tardive de la cellule de crise et des remontées d’informations insuffisantes des établissements médico-sociaux, des relations difficiles entre l’Agence Santé publique France et sa tutelle au ministère de la santé, un défaut de pilotage de la recherche… Notre pays n’était pas prêt à affronter une crise sanitaire d’une telle ampleur et son organisation a mis quelques temps à s’adapter.
Ma deuxième remarque concerne les conséquences à en tirer. L’article du Parisien souligne que le rapport a été versé à l’enquête de la Cour de Justice de la République qui « devra dire si des membres du Gouvernement ont pu avoir une part de responsabilité dans la gestion du coronavirus et de sa propagation ». La question semble fort mal posée tant elle suppose que ladite responsabilité, évidente puisqu’il incombe au Gouvernement de veiller à la santé de la population, ne saurait être que pénale. Or cette responsabilité est avant tout politique. Elle interroge les choix faits par le Gouvernement et l’administration en termes de préparation, d’organisation et de réponse à la crise. Il est notable que l’article du Parisien se termine par la difficulté à pourvoir certains postes à responsabilité au sein du ministère de la santé. Nous devons être exigeants et demander des comptes aux gestionnaires publics mais trouver pour cela d’autres enceintes que les tribunaux. C’est le rôle des parlementaires dans leur fonction de contrôle de l’action publique. C’est celle que nous avons souhaité remplir avec la commission d’enquête du Sénat.
En troisième lieu, et surtout, nous devons être vigilants sur les suites à donner qui concernent surtout le ministère de la santé et son organisation face aux crises. Cela suppose de répondre à des questions structurantes comme le rôle et la place des agences et les capacités de pilotage de l’administration centrale. Des directions centrales appauvries, maltraitées, dépouillées de leurs forces vives et siphonnées de leurs compétences ne sauraient piloter de façon satisfaisante des agences aux missions et aux priorités multiples. C’est ce qui se joue avec la réforme du ministère et à quoi nous devons être attentifs.

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