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Accès à l’eau et irrigation durable : conditions nécessaires à la souveraineté alimentaire française

Entretien avec Eric Frétillère, Président d’Irrigants de France*

On comptabilise en France environ 1.5 million d’ha irrigués soit environ 5 % des surfaces cultivées, pouvez-vous nous dire ce qui se cache derrière ce chiffre et nous expliquer les enjeux pour le monde agricole ?

Derrière ces hectares irrigués, on trouve un peu plus de 70 000 irrigants qui sont à la tête d’exploitations de plus petites tailles que la moyenne, et qui produisent des cultures souvent à forte valeur ajoutée comme les légumes, les fruits, les semences ou même les plantes aromatiques. L’irrigation permet d’avoir des fermes résilientes, ou autrement dit, l’eau limite la disparition des fermes sur nos territoires. C’est ainsi le maintien d’un tissu rural, d’une activité économique. Car la première chose à entendre, c’est qu’il ne pourra pas y avoir d’agriculture demain sans accès à l’eau. L’irrigation est un facteur déterminant face au changement, qui permet d’atténuer le risque climatique en réduisant la variabilité des rendements : elle est souvent considérée comme la meilleure assurance récolte. L’enjeu de l’irrigation pour le monde agricole, c’est celui de la durabilité : économique, mais également sociale et environnementale. Car maintenir une couverture végétale pendant l’été, c’est aussi assurer une vie dans nos sols et donc de la biodiversité.

Les Assises de l’eau en 2019, le Varenne de l’eau en 2022 et le Plan eau de la planification écologique aujourd’hui le disent, face au changement climatique nous devons faire des économies d’eau. Qu’en pensez-vous ?

Le changement climatique est déjà une réalité et le monde agricole est en première ligne : gels tardifs, violentes tempêtes, sécheresses records ou encore incendies. Il est donc nécessaire de préserver l’eau pour en garantir un accès durable aux différents usages dont celui lié à la production agricole. Comme d’autres, nous devons donc réaliser des économies d’eau mais le monde agricole n’a jamais cessé d’en faire et continuera dans cette voie. Nos techniques d’apport en eau ont évolué pour mieux optimiser les volumes : nous sommes passés de l’irrigation gravitaire de montagne par endroit, très consommatrice, à la micro-irrigation et jusqu’au goutte à goutte. Aujourd’hui, nous travaillons sur d’autres axes d’économie comme la génétique, l’utilisation du numérique, la connaissance toujours plus fine du fonctionnement des plantes et des sols. L’objectif du monde agricole est que chaque goutte d’eau puisse nourrir les plantes de la façon la plus efficiente qui soit. Mais cela demande des moyens et du temps pour que les outils les plus performants et innovants puissent être progressivement diffusés et utilisés dans nos exploitations.

Le stockage de l’eau vous semble-t-il incontournable malgré les situations de blocage rencontrées sur certains territoires ?

Le constat est unanime, il est fait par le GIEC et précisé par les simulations scientifiques de l’INRAE : le changement climatique en France, c’est une augmentation des températures et un volume d’eau qui va rester globalement constant mais avec de nouvelles répartitions dans le temps et dans le territoire : excès d’eau en hiver et périodes de sécheresse en été certainement plus longues et plus sévères, couplé à des températures élevées.

Il va donc falloir s’adapter et nous aurons besoin de solutions efficientes pour avoir accès à la ressource au moment adéquat pour les cultures. Cela peut passer par une meilleure mobilisation des retenues d’eau sur les territoires dont certaines ont pu être abandonnées, par la réutilisation des eaux usées traitées ou par la création de nouveaux stockages. Il faut rappeler, même si c’est une évidence, que la question de l’eau est une problématique locale. Chaque territoire devra donc trouver les solutions qui lui sont le plus adaptées. Cependant, le monde agricole est conscient que le stockage, indispensable aux besoins de souveraineté alimentaire et énergétique de notre pays, devra répondre aux enjeux et aux attentes sociétales et environnementales. Pour répondre à ces défis, nous travaillons au niveau européen, sur des projets innovants qui allient réalimentation des sous-sols, respect de l’environnement, accès à l’irrigation et usage des énergies.

Face aux besoins des irrigants, quelles sont vos attentes à l’égard des pouvoirs publics ?

Nous avons, avant tout, besoin de cohérence entre les politiques publiques. C’est absolument indispensable. Nous avons aussi besoin de faire reconnaître l’agriculture comme étant d’intérêt général majeur.

Aujourd’hui la gestion administrative de l’eau est rattachée au ministère de la Transition écologique. Or, l’eau est aussi un sujet agricole et alimentaire central. Lors du Varenne de l’eau, nous avions proposé la création d’un secrétariat général à l’eau qui aurait regroupé les ministères de la Transition écologique, de l’Agriculture, de l’Industrie et celui de la Santé. Cela n’a pas été fait, et je reste convaincu que cette approche est cruciale pour un meilleur partage de la ressource. Les travaux actuels sur la planification écologique dans lesquels la profession agricole s’investit pleinement illustrent bien la transversalité des enjeux autour de l’eau. Nous devons avoir une vision politique partagée pour permettre à l’agriculture de se transformer et de s’adapter au changement climatique, en tenant compte de ses besoins et de sa responsabilité à l’égard des milieux. Il nous faut une irrigation au service des agriculteurs, des filières alimentaires et donc, au service de nos concitoyens d’aujourd’hui et de demain. 


*Agriculteur irrigant installé en Dordogne sur une exploitation de 100 hectares, Maire de la commune de Saint-Rémy de Lidoire et Conseiller départemental de Dordogne ; Président d’Irrigants de France et vice-président d’Irrigants d’Europe.

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