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Irrigation en France, quels leviers pour économiser de l’eau ?

Par Sami Bouarfa, Directeur adjoint au département AQUA à l’INRAE

Face au changement climatique, la ressource en eau s’amenuise. Avec l’augmentation des températures et la baisse prévue des précipitations estivales, certains territoires français seront au cours du XXIème siècle plus durement et plus fréquemment touchés par des épisodes de sécheresse, en particulier l’été.

Quand on parle d’agriculture en France, on parle essentiellement d’agriculture pluviale : la plupart de nos cultures utilisent seulement de l’eau de pluie. Ce n’est pas le cas pour d’autres régions de la planète, puisque l’agriculture irriguée produit plus de 40 % de l’alimentation mondiale sur moins de 20 % des terres. Avec le réchauffement climatique, les besoins en eau pour l’irrigation augmentent, y compris dans les pays tempérés : les cultures nécessitent plus d’eau car elles en perdent davantage par évapotranspiration et peuvent moins compter sur la pluie en raison de la plus forte occurrence de sécheresses.

Historiquement, l’agriculture irriguée en France s’est tout d’abord développée en zone méditerranéenne. Elle s’est progressivement étendue aux autres régions, principalement entre les années 1970 et 2000 grâce notamment aux aides européennes. Depuis lors, les tendances sont moins marquées et les deux derniers recensements agricoles 2010 et 2020 ont tout d’abord témoigné d’une légère baisse (entre 2000 et 2010) puis d’une remontée des surfaces irriguées (entre 2010 et 2020). La dernière période est en cours d’analyse pour identifier plus précisément ce qui a causé la hausse la plus récente des superficies irriguées.

Les principales productions irriguées sont tout d’abord les céréales (70 % des surfaces irriguées), suivies par les fruits et légumes (environ 20 %) et les oléagineux (un peu plus de 10 %). Au total aujourd’hui environ 5 % de la surface agricole utile est irriguée et prélève entre 10 et 15 % de l’eau consacrée aux usages humains, ce qui correspond à environ 50 % de l’eau douce consommée. En effet, contrairement aux autres prélèvements (refroidissement des centrales, alimentation en eau potable), une faible partie de l’eau prélevée en irrigation est restituée aux rivières et aux nappes puisque celle-ci repart dans l’atmosphère par évaporation ou transpiration.

Face à ces chiffres et à l’évolution du climat, que faire ? Et quels sont les leviers d’économie de l’eau à usage agricole ?

Des marges d’économie d’eau sont encore possibles !

Les agriculteurs ont déjà fait des efforts en matière d’économie d’eau, mais des marges de progrès sont encore bien réelles à l’échelle de la parcelle agricole. En effet, environ 80 % des irrigants utilisent l’aspersion, parfois avec un matériel ancien, alors qu’il existe désormais des systèmes plus économes en eau : matériels équipés de contrôleurs électroniques ou systèmes localisés (micro-aspersion, goutte-à-goutte de surface ou enterré). Il existe aussi des possibilités d’économie en « pilotant » l’irrigation au plus près du besoin des cultures à l’aide d’outils d’aide à la décision qui permettent d’apporter la bonne quantité d’eau au bon moment. Ces outils sont basés sur des logiciels couplés à des mesures d’état hydrique des plantes et des sols, le plus souvent via des capteurs au sol, voire même en faisant appel aux outils de la télédétection.

L’Union européenne et les agences de l’eau proposent des aides pour encourager les économies d’eau. Il est dès lors important pour l’agriculteur d’estimer a priori les économies d’eau qu’il va réaliser en améliorant le matériel ou le pilotage de l’irrigation, ce qui n’est pas chose facile car tout dépend de l’état du matériel existant, du sol, du climat et du type de culture. C’est pourquoi, à la demande du ministère en charge de l’Agriculture, les scientifiques d’INRAE ont établi un référentiel pour évaluer les économies d’eau potentielles en compilant de nombreuses données, région par région, situation par situation (1). Les économies d’eau varient de 15 à 25 % en améliorant le matériel, et de 10 à 40 % en perfectionnant le pilotage de l’irrigation. Les deux types d’économie peuvent être associés. Il est important que ces économies d’eau à la parcelle ne se traduisent pas par un effet rebond et permettent bien des économies d’eau à l’échelle territoriale.

L’irrigation et l’agroécologie peuvent-ils faire bon ménage ?

Du fait de son utilisation possible pour maximiser les rendements, l’irrigation est souvent associée en France à l’agriculture intensive, particulièrement dans le cas de la maïsiculture. Pourtant, des chercheurs ont documenté dans certaines régions du sud de la Méditerranée des pratiques agroécologiques en systèmes irrigués. De telles pratiques existent également en France et commencent à être documentées par la recherche, telles que, par exemple, l’agriculture de conservation des sols pour des cultures irriguées. De plus, l’irrigation peut être un levier pour la diversification des cultures, qui est l’un des piliers de l’agroécologie. Le mouvement amorcé pour la transition agroécologique de l’agriculture française doit en conséquence intégrer une forme d’irrigation que l’on peut qualifier d’irrigation de résilience (2). Celle-ci se définit comme une irrigation de sécurité, à la différence d’une irrigation qui vise à maximiser les rendements qui exige une consommation importante en eau et en intrants. S’orienter vers une irrigation de résilience, c’est chercher à éviter les pertes économiques les années sèches plutôt qu’à atteindre chaque année des valeurs maximales. Dans un contexte où l’eau sera rationnée, il est important d’aller vers une gestion de l’irrigation qui minimise la vulnérabilité des territoires et des agriculteurs à la sécheresse.

La réutilisation des eaux usées pour l’irrigation, la solution miracle ?

Réutiliser les eaux issues des usages domestiques, puis traitées via des stations d’épuration (STEP), est souvent présentée comme une solution prometteuse. L’argument principal est que le taux de réutilisation des eaux directement prélevées aux sorties des stations d’épuration est aujourd’hui très faible, moins de 1 % du volume des eaux domestiques traitées, en France, notamment à des fins agricoles. Au-delà d’un volume d’eau supplémentaire pour l’agriculture, de cette réutilisation directe permet la réutilisation des éléments fertilisants, azote phosphore et potassium, présents dans les eaux usées. Cette réutilisation d’éléments nutritifs pour les cultures peut ainsi d’une part permettre de limiter l’achat de fertilisants de synthèse dont la production s’effectue à partir d’énergie fossile et d’autre part réduire le risque d’eutrophisation des rivières. L’amélioration des procédés de traitements des eaux usées permet également de garantir l’innocuité vis-à-vis des risques de contamination microbiologique ou chimique des cultures irriguées.

Mais l’eau rejetée par les STEP dans les rivières fait aujourd’hui partie des eaux partagées à l’aval, sauf en zone littorale, en respectant les besoins des milieux. En dehors de cette frange littorale, qui présente un potentiel indéniable de réutilisation directe, récupérer directement les eaux en sortie de STEP le long des cours d’eau obligera à revoir les règles de ce partage entre l’environnement et les autres usages préleveurs à l’aval. D’autres usages urbains seront en concurrence : espaces verts, nettoyage de voirie, îlot de fraîcheur, voire à terme des usages domestiques hors consommation (toilettes par exemple). Il est également coûteux sur le plan économique de distribuer de l’eau sur de longues distances. Des usages agricoles n’auront donc de sens qu’à proximité relative des stations d’épuration.

Comment aller au-delà ?

Véritable bien commun et indispensable aux activités humaines, l’eau est également indispensable à l’équilibre des écosystèmes. Il faut donc la préserver en qualité, la protéger en quantité, et la partager entre les usages humains et les besoins de la nature. L’agriculture doit faire sa part et agir sur les différents leviers évoqués plus haut pour être plus sobre en eau. Mais pour aller plus loin, il faudra sans doute, en concertant tous les acteurs, redéfinir des règles de partage de l’eau et construire ensemble un nouveau modèle agricole pour faire face à l’ampleur des changements annoncés. La recherche à INRAE y contribue, notamment en s’associant à diverses structures dont la Chaire partenariale Eau, Agriculture et Changement Climatique (www.chaire-eacc.fr) et l’Association française pour l’eau agricole, une irrigation et un drainage durables (www.afeid.org). 


1. http://www.g-eau.fr/index.php/fr/umr-geau/actualites/item/758-etude-irstea-2017-sur-l-evaluation-des-economies-d-eau-potentielles-a-la-parcelle-realisables-par-la-modernisation-des-systemes-d-irrigation-c-serra-wittling-et-b-molle

2. Changement climatique, eau, agriculture. Quelles trajectoires d’ici 2050 ? Rapport de la mission interministérielle CGEDD-CGAAER. Juillet 2020. https://agriculture.gouv.fr/rapport-du-cgaaer-cgedd-changement-climatique-eau-et-agriculture-dici-2050

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