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Interdiction des néonicotinoïdes, la betterave (presque) rassurée

Si le ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté alimentaire a renoncé à proroger d’une année les dérogations d’utilisation de l’insecticide « tueur d’abeilles » comme exigé par l’Union européenne, il a toutefois promis aux betteraviers une indemnisation déplafonnée en cas de jaunisse.

Le 19 janvier, la Cour européenne de justice jugeait illégales les dérogations autorisant l’usage d’insecticides néonicotinoïdes. Dans la foulée, la France confirmait renoncer à leurs utilisations. « Je n’ai aucune intention de balader les agriculteurs qui sont inquiets » admettait le ministre Marc Fesneau. Il n’y aura donc pas de « troisième année de dérogation sur l’enrobage des semences de betteraves, c’est terminé pour cet élément-là, la décision de la Cour de justice européenne est suffisamment puissante pour ne pas instabiliser encore plus le système » poursuivait-il. Mais au lendemain d’une manifestation à Paris réunissant des milliers d’agriculteurs et de betteraviers et surtout après des semaines de négociations, le ministère dévoilait un plan de sauvetage destiné à les rassurer à seulement trois semaines des semis.

Estimant ainsi qu’il n’y avait pas de raisons suffisantes pour poursuivre l’autorisation de dérogations des néonicotinoïdes, y compris dans des circonstances exceptionnelles pour protéger les betteraves sucrières, la Cour a mis brutalement fin aux espoirs de la filière et sans doute plus largement ceux de toute l’économie du sucre. Pourtant, sans alternatives crédibles aujourd’hui, l’utilisation de cet insecticide reste indispensable pour protéger les semences de betteraves sucrières. « Pas d’interdiction, sans solution » réclamaient à Paris les betteraviers. Pour comprendre le désarroi de la filière, il faut se rappeler qu’en 2020, les planteurs français de betteraves sucrières avaient dû faire face à une épidémie de jaunisse provoquée par un puceron qu’ils n’avaient pas pu éradiquer : 70 % de la récolte avaient été perdue !

La lutte contre les insecticides de la famille des néonicotinoïdes remonte à une vingtaine d’années. Elle a connu en Europe et en France de nombreux soubresauts faits d’autorisations, d’interdictions et de dérogations. En 2013, la Commission européenne choisissait d’interdire provisoirement certains insecticides en raison d’un risque possible pour les abeilles (qui ne butinent pas les betteraves sucrières puisque cueillies avant la floraison). En 2016, la France toujours prête à en faire plus votait la loi « de reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages » portée par Ségolène Royal, ministre de l’Ecologie et de sa secrétaire d’Etat à la Biodiversité Barbara Pompili interdisant toutes les substances de la famille des néonicotinoïdes utilisées en France, sans distinction. Cinq substances étaient concernées. L’interdiction prenait effet en 2018, avec certaines dérogations. A la même date, au niveau européen seulement 3 puis 4 produits étaient interdits. Sans parler des pays étrangers à l’UE qui continuaient à les autoriser. « Nos concurrents pourront pulvériser de l’acétamipride, un néonicotinoïde qui n’a pas été interdit par l’Europe et dont l’usage a été prolongé jusqu’en 2033 » s’étrangle Franck Sander, le président de la Confédération générale des planteurs de betterave (CGB) interrogé par Le Point. En 2020, face à la crise de la filière et les ravages de la jaunisse, Julien Denormandie obtenait pour les betteraviers la dérogation supprimée aujourd’hui. Avec ce sursis, scientifiques, agriculteurs, élus et ONG environnementales réunis dans un comité de surveillance de la betterave devaient en profiter pour trouver des alternatives… qui, en dépit de quelques avancées peu convaincantes, ne viendront pas.

La fin de la dérogation est un coup dur pour la filière betterave-sucre-alcool. Non seulement, les planteurs sont inquiets face à la menace d’une nouvelle épidémie de jaunisse - « il faut s’attendre à des attaques des pucerons porteurs de la jaunisse cette année. Elles devraient être plus fortes qu’en 2022 et qu’en 2021, mais moins graves qu’il y a trois ans quand les pertes de récolte ont été en moyenne de 30 % avec des pics à 70 % » a reconnu le ministère -, mais plus encore c’est toute une économie qui redoute les effets de cette décision. Car, au-delà, des agriculteurs, la betterave fait vivre près de 45 000 professionnels et notamment dans le sucre, l’éthanol mais aussi des transporteurs et des transformateurs (la pulpe sert d’aliment pour les animaux ou de fertilisant). Mais moins de betteraves c’est surtout moins de sucre. Le sucre pourrait finir par être importé directement d’Allemagne, de Belgique, d’Espagne ou même du Brésil, de Thaïlande, un sucre issu de cultures utilisant des produits phytosanitaires interdits chez nous depuis longtemps. Même chose pour l’éthanol (gel hydroalcoolique, parfum, bioéthanol)

Face au risque de déstabilisation de toute une filière, Marc Fesneau s’est voulu rassurant en promettant l’indemnisation des pertes que pourraient subir les exploitants en cas de jaunisse. « C’est une assurance créée spécifiquement. Beaucoup de détails restent à régler. Ce qui compte c’est que l’enveloppe soit garantie » s’est félicité Franck Sander avant d’ajouter : « à plus long terme, on doit sortir de l’impasse technique et juridique dans laquelle nous nous trouvons ». Le ministre veut également pousser à « l’accélération de la demande d’homologation à Bruxelles de produits utilisés en dehors de l’UE pour lutter contre la jaunisse de la betterave ». « Il faut synchroniser les solutions et les interdictions européennes. Il n’est pas question de rajouter de nouvelles distorsions entre pays membres à celles qui existent aujourd’hui » a fermement souligné le ministre. Enfin, il demande que les travaux menés dans le cadre du Programme national de recherche et d’innovation (PNRI) soit poussés en vue de trouver de nouvelles variétés de betteraves plus résistantes et des alternatives aux néonicotinoïdes comme c’est déjà le cas avec les expérimentations de l’Institut technique de la betterave (ITB). 


La France 1er producteur européen de sucre
2ème producteur mondial de sucre de betterave
4ème exportateur mondial de sucre (4,5 % de parts de marché)
(2019)

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