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Vin : une filière en danger ?

La consommation de vin en France baisse régulièrement depuis les années 60. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce phénomène qui inquiète la filière en quête de remèdes.

“La filière est en danger”. Le président du Comité national des interprofessions à vins d’appellation contrôles (CNIV), Bernard Farges n’y va pas par quatre chemins pour décrire une situation qu’il juge préoccupante et qui pourrait mener à « un plan social massif dans la filière ». En France depuis les années 60, la consommation de vin a ainsi baissé de 70 % ! Les volumes de vin sont passés de 120 litres par an et par Français à moins de 40 litres en 2020. Une baisse continue qui ne semble pas prête de s’arrêter à en croire un Bernard Farges très inquiet : « Nous allons perdre encore 60 % de la consommation au cours des dix prochaines années » alerte-t-il.

Cette déconsommation s’explique par plusieurs facteurs à la fois conjoncturels et structurels. Les enquêteurs de la filière pointent d’abord une fracture générationnelle dans la consommation de vin couplée à une perte de la transmission. Aujourd’hui les consommateurs de vin sont essentiellement des personnes de plus de 50 ans qui s’autorisent un verre de vin (rouge, blanc ou rosé) plus d’une dizaine de fois par mois indique l’Institut Wine Intelligence. Mais dès que l’on franchit la barre des moins de 40 ans, on ne parle plus que de 7 verres par mois. « Nous avons perdu 9 % de parts de marché dans la tranche d’âge de 18 à 35 ans au cours des dix dernières années au profit d’autres alcools » précise Samuel Montgermont, négociant en vallée du Rhône et président de Vin & Société. Selon l’Institut Kantar, en 2021, la bière comptait pour 39 % des achats d’alcool chez les moins de 35 ans contre 27 % pour les vins tranquilles et effervescents. « Le vin n’est plus une évidence » déplore Samuel Montgermont. Les acteurs de la filière s’inquiètent notamment d’un problème de transmission qui se faisait traditionnellement au sein des familles. « Les connaissances sur le vin constituent une culture, et la transmission de cette culture s’avère fondamentale pour faire perdurer à terme la consommation de vin. Historiquement, en France, la transmission de la culture du vin passe par le père » expliquait déjà en 2021 pour Vin & Société, Thierry Lorey, Enseignant-Chercheur en Marketing à Kedge Business School. « Or, pour la génération du Millenium (1977-1995), on constate un amoindrissement du rôle du père, et parallèlement, un accroissement de celui des pairs. Pour cette génération, l’intérêt lié à la culture du vin est assez faible » soulignait encore le chercheur. « Les générations plus âgées ne transmettent plus leurs connaissances sur les terroirs, les millésimes… la conséquence, c’est que l’on est passé de la modération qui est une excellente chose à l’abstinence » note amèrement Bernard Farges. Mais bien au-delà de cette perte de transmission, la filière de la vigne et du vin constate qu’un tel recul fait aussi écho à d’autres transformations profondes de notre société : déritualisation des repas, mutation de la composition des familles, avec accroissement du nombre de personnes vivant seules, « alors que le vin est le produit du partage par excellence », sans oublier « une certaine forme de stigmatisation du produit lui-même, largement alimentée par une mouvance « antivin » minoritaire mais active ».

Si la filière a su, au fil du temps, s’adapter à cette baisse de la consommation en misant sur une montée en gamme, le choc générationnel et son corolaire la déconsommation se font toutefois sentir dans les restaurants, les brasseries, les festivals mais aussi dans les supermarchés qui perdent en volume chaque année.

Or, jusque-là, la déconsommation française bien qu’inquiétante était compensée par de belles exportations. Sauf que le marché français doit également faire face ces dernières années à de sérieuses difficultés comme la chute des importations chinoises. Avec la pandémie et la politique « zéro covid » imposée par Xi Jingpin et l’instauration d’une taxe de 12 %, les importations chinoises de vins ont fortement baissé, en passant de 750 millions de litres en 2017 à 400 millions aujourd’hui. La consommation chinoise est passée dans le même temps de 1,9 milliard de litres à un milliard en cinq ans. Et l’année 2022 ne présage rien de bon, sur les sept premiers mois de l’année, la chute de la consommation avoisinerait les 27 % en volume et 7 % en valeur selon les informations du journal Le Monde. En Chine, le vin reste un produit de luxe qui a encore du mal à plaire aux couches populaires qui se tournent plus volontiers vers la bière et le whisky. Pour autant le marché chinois reste intéressant, surtout pour les vins hauts de gamme se rassure-t-on comme on peut du côté de la filière.

Il faut encore ajouter les effets d’une taxe de 25 % imposée par Donald Trump en 2019 en mesure de rétorsion dans le conflit opposant Boeing à Airbus. Et même si le décret a été annulé par Joe Biden, les exportations françaises n’ont jamais retrouvé leur niveau d’avant.

Signalons encore pour certains cépages, des productions trop morcelées, des entreprises mal préparées au marché mondial et les aléas climatiques… Voilà autant de défis à relever pour la filière confrontée à un rétrécissement du marché. « La somme de la déconsommation, du covid et de la rude concurrence internationale a fait se rapprocher le mur. D’autant que nous avons continué à produire avec moins de débouchés » indique Bernard Farges qui redoute de voir des producteurs abandonner prochainement le métier. « On est en train de procéder à un des plus gros plan social du siècle, à petit bruit ! » conclut-il alarmiste. 

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