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“Derrière l’expression d’exode urbain, il y a beaucoup d’imaginaires”

Entretien avec Hélène Milet, Responsable du programme POPSU Territoires

On a beaucoup débattu d’un effet covid sur un supposé déménagement massif des Français, allant jusqu’à parler d’exode urbain. L’avez-vous constaté ? Les Français ont-ils déménagé ?

Derrière l’expression d’exode urbain, il y a beaucoup d’imaginaires, notamment celui d’arrivées massives, nombreuses, généralisées de populations « urbaines » dans les « campagnes », comme un miroir de l’un exode rural qui a marqué les mobilités résidentielles au XXème siècle. Or le travail mené par les équipes de recherche sur les données de la plateforme Leboncoin et du groupe LaPoste vont à l’encontre de cette hypothèse : ils montrent, d’abord et avant tout, une grande stabilité des structures territoriales françaises, avant comme après la crise.

Très concrètement, cela veut dire que la géographie des déménagements en France est principalement marquée par des phénomènes ancrés sur le long terme :

• Le succès des (grandes) villes d’une part, qui concentrent l’écrasante majorité des flux de mobilité en France – ce sont des pôles d’emploi, de services, de logement, de formation, et cette concentration des fonctions se maintient malgré la pandémie

• La périurbanisation : les espaces périurbains, ou communes « de couronne », enregistrent presque tous un « effet Covid » positif sur leurs soldes migratoires. Cette attractivité des communes périurbaines, en cours depuis quelques décennies maintenant, est une conséquence du phénomène de desserrement urbain, qui désigne le départ des populations des centres urbains au profit de leurs couronnes.

• L’attractivité des façades littorales, en particulier atlantique, qui attirent de plus en plus de ménages – es géographes appellent cela « l’haliotropisme », le pouvoir d’attraction des littoraux

• La « renaissance rurale », dans une toute moindre mesure, qui, depuis les années 80 (Recensement de 1982), signale que les soldes migratoires des espaces ruraux à l’échelle nationale sont redevenus positifs

Le télétravail a -t-il eu et a-t-il encore des effets sur la géographie résidentielle des Français ?

Les effets du télétravail sur les territoires sont encore relativement mal connus et gagneront à être observés de plus près dans les années à venir. Néanmoins, le travail de terrain mené par l’équipe de recherche permet d’apporter quelques éléments de réponse sur les liens entre télétravail et mobilité résidentiels. En effet, l’enquête permet de dessiner différents profils de personnes qui ont pu déménager dans des territoires ruraux depuis le début de la pandémie : des personnes (pré)retraitées, des cadres supérieurs, des ménages avec des projets de transition rurale, des ménages en situation en précarité. Ce n’est que pour certaines profils que le télétravail peut jouer un rôle déterminant, et notamment : (1) les cadres supérieurs, qui (ré)investissent des résidences plus éloignées de leur bureau, et entrent dans des logiques de bi ou de tri-résidentialité, (2) des ménages de professions intermédiaires, qui accèdent depuis la pandémie à des conditions de télétravail élargie, et saisissent une opportunité pour déménager dans des logements ou des territoires répondant mieux à leurs attentes, (3) des ménages avec des projets de transition rurale, qui, souvent, garde un pied dans un emploi en télétravail tout en développant une nouvelle activité (bien-être, soin, agriculture, etc.). Pour les autres profils, le télétravail a relativement peu d’impacts dans les décisions de déménager.

Quelles ont été les conséquences de cet « exode urbain » sur les prix de l’immobilier ?

L’enjeu du lien entre prix immobilier et mobilité résidentielle est, une fois encore, complexe, car il n’y pas d’équivalence entre le nombre d’achats et le nombre de déménagements dans un territoire : un achat peut être fait pour de multiples raisons – la résidence principale en est une, mais aussi l’investissement locatif, l’achat d’une résidence secondaire, ou encore l’investissement de précaution dans la pierre. 

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