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Covid et exode urbain, le vrai du faux

Légende urbaine. Contrairement à ce qu’on a pu lire et entendre, le « déferlement massif de populations urbaines dans les campagnes » pendant la pandémie n’a pas eu lieu explique une équipe de chercheurs pluridisciplinaires.

“Largement et bruyamment annoncé à la suite des premières mesures de confinement (pour l’espérer ou le craindre), l’exode urbain ne semble pas, pour l’instant, revêtir un caractère massif” indiquent en préambule de leur étude (1), les chercheurs de la POPSU (plateforme d’observation des projets et stratégies urbaines) qui ont enquêté de longs mois sur la question. Des propos étayés par l’exploitation et l’analyse de données de navigation internet du groupe leboncoin mais aussi du groupe SeLoger-MeilleursAgents sans oublier une enquête de terrain. « Les premiers travaux montrent, que la pandémie de Covid-19 n’a pas bouleversé de fond en comble les structures territoriales françaises qui restent marquées par la centralité des grands pôles urbains » constatent les rapporteurs. On est donc bien loin d’« un déferlement massif de populations « urbaines » dans les « campagnes », sorte de retour de bâton d’un exode rural qui aurait marqué les mobilités résidentielles au XXème siècle » comme ont pu le laisser croire et entendre les médias qui n’ont effleuré que l’écume du sujet. Pour autant, cela ne veut pas dire qu’il ne s’est rien passé non plus, soulignent les chercheurs qui ont pu repérer ici et là « des signaux faibles » venant « renforcer et accélérer des phénomènes déjà présents dans les territoires » (processus de périurbanisation, de métropolisation et de littoralisation). Et par ailleurs, si « départs de population il y a, ils sont loin de concerner toutes les catégories de villes » insistent-ils. Ainsi, l’étude montre que le rêve de campagne pour les urbains ne date pas de la crise mais que les grandes tendances existaient déjà auparavant et que « la France post-Covid qui se dessine reste marquée par la force des pôles urbains, la périurbanisation et l’attractivité des littoraux » comme l’attestent l’analyse des données de la plateforme de recherche immobilière en ligne leboncoin.fr pour les années 2019, 2020 et 2021, soit avant, pendant et après la pandémie. « On note une très forte similarité » notent les chercheurs. « Loin d’un renversement territorial majeur, nous retrouvons là la structure territoriale « classique » de l’hexagone, ainsi qu’une confirmation de tendances lourdes pré-existantes au Covid » : attractivité des grands pôles urbains et attractivité des façades littorales. « On ne trouve pas les traces d’une réorientation géographique massive des populations à venir, et donc pas de recomposition majeure des flux vers des espaces isolés, hors des aires d’attraction des villes. Il n’y a donc, a priori, pas de grande rupture territoriale dans les intentions de mobilité avant et après la crise, si l’on considère l’ensemble des aspirations des internautes » concluent les chercheurs.

Autre point saillant de l’enquête, l’idée qu’il n’y a pas eu un exode urbain massif mais plutôt de « petits flux » quittant essentiellement les grands pôles urbains « qui participent d’un renforcement de la dynamique – déjà en cours – d’attractivité de certaines zones périurbaines et rurales ». Si l’« effet covid » a concerné les villes petites et moyennes, les espaces périurbains, ou communes « de couronne » (les espaces pavillonnaires), conséquence d’un phénomène de « desserrement urbain », les littoraux (façade atlantique) et certains espaces ruraux, le phénomène n’est pas nouveau. D’aucuns estiment que cela existe depuis une quarantaine d’années et que l’on serait même à la « cinquième génération de néo-ruraux ». Toutefois, « loin d’annoncer une revitalisation de toutes les campagnes, l’exode urbain peut tendre à accentuer les différences territoriales, entre les territoires attractifs – parfois en « surchauffe » - et des territoires qui le sont moins » pointent prudemment les rapporteurs.

Qui sont finalement les acteurs de cet exode urbain ? Les profils sont multiples et les raisons de ce départ volontaire souvent variées. Il y a d’une part les ménages qui pratiquent le télétravail même s’il faut en relativiser l’effet. « Il ne concerne qu’une faible partie de la population active (30 % tout au plus) et la corrélation entre accueil de télétravailleurs et développement territorial n’est pas prouvé » souligne Hélène Milet, directrice du programme POSU Territoires. « Les cadres en télétravail avec enfants quittent rarement l’Île-de-France pour s’installer dans un petit village » ajoute-t-elle dans un entretien au Monde. Viennent ensuite les ménages en transition professionnelle, porteurs de nouveaux projets en général tournés vers les métiers du bien-être, la production agricole (micro-entreprise) ou l’artisanat. Plutôt bien accueillis par les maires de petites communes, la question de la pérennité de l’entreprise ou de la nouvelle activité créée se pose toutefois assez vite, surtout lorsque les revenus de ces ménages sont peu élevés. Autre profil « surmédiatisé » mais « quantitativement peu nombreux », celui de (pré)retraités qui ont des projets de villégiature mais qui ont tendance à privilégier des territoires déjà « en surchauffe » (présence d’équipements sanitaires et médicaux notamment). Enfin, on trouve aussi « des populations à la précarité plus ou moins choisie en quête d’un mode de vie alternatif, dans des modes d’habitat légers ou mobiles, dans des territoires plutôt éloignés et très proches d’espaces de nature ». Filtrant parfois avec l’illégalité (squat), ces populations peu accueillies et accompagnées se caractérisent par un certain turn over.

Quant aux hausses constatées des prix de l’immobilier dans les territoires périurbains ou ruraux sensés prouver l’existence d’un exode urbain, il s’avère que si cela a bien existé, la tendance tend déjà à s’inverser – la hausse moyenne n’a été que de 5 %. Sans compter qu’entre la volonté d’acheter un bien, les visites virtuelles et le passage à l’acte de l’achat, il y a très souvent un pas qui n’est finalement pas franchi. On a aussi beaucoup glosé autour des baisses du nombre d’élèves dans les grandes villes. Le phénomène existe mais il est aussi dû à un vieillissement de la population et au coût prohibitif pour se loger dans les grandes villes obligeant à s’éloigner.

Enfin, l’étude met en exergue des pratiques immobilières dites « opportunistes ». Pour un acheteur souvent déjà propriétaire l’achat de biens anciens « à la campagne » est vu comme un placement. « Ces investissements sont alors réalisés suivant plusieurs objectifs : placer son épargne et la valoriser grâce à la création de gîtes ou la location de courte durée ; disposer, à court terme, d’une résidence agréable pour les vacances ou le télétravail ; se doter d’un refuge en cas de resserrement des contraintes sanitaires et en vue de l’accélération du dérèglement climatique » jugent les chercheurs. 


(1) « Exode urbain : impacts de la pandémie de COVID-19 sur les mobilités résidentielles »

(2) en l’occurrence Paris, Marseille, Lyon, ainsi que les autres métropoles régionales - Lille, Strasbourg, Grenoble, Toulouse, Bordeaux, Nantes, Rennes, Brest, Nice - qui concentrent, outre la population, de nombreux emplois et services

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