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Une “réindustrialisation verte” : mirage ou réalité ?

Par Raphael Trotignon, Responsable Pôle Energie-Climat à l’Institut Rexecode

Le ministre de l’Economie a annoncé il y a quelques jours un projet de loi visant à faire de la France « la première nation de l’industrie verte en Europe ».

En filigrane, le gouvernement essaye de répondre à l’Inflation Reduction Act américain, qui associe des mesures incitatives pour l’adoption de technologies « vertes » à des critères de conditionnalité protectionnistes, afin de soutenir la compétitivité verte du territoire américain.

L’idée générale de ce projet de loi est qu’une « politique de l’offre verte » permettrait de mener à bien une réindustrialisation de la France, un objectif souvent invoqué dans le débat public mais qui a du mal à se concrétiser. Il faut rappeler qu’entre 1950 et 2021, la part de l’industrie manufacturière dans la valeur ajoutée de l’ensemble des branches est passée de 28 % à 10 %, et pour ce qui concerne l’emploi de 24 % à 9 %. Face à ce constat, l’idée d’une « réindustrialisation verte » est séduisante. Elle s’appréhende comme un double dividende, renforçant le tissu industriel tout en l’orientant vers le développement et la diffusion de technologies utiles à la décarbonation. Cette stratégie permettrait non seulement de trouver une source de croissance et d’emploi, mais aussi de contribuer efficacement à la résolution du problème climatique. La France, qui ne représente que 0,7 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, jouera un rôle bien plus important comme fournisseur de solutions technologiques, qui réduiront les émissions partout dans le monde, que par la réduction (évidemment nécessaire, mais non suffisante) de ses propres émissions.

Mais la tâche s’annonce ardue. Premièrement, ce volontarisme arrive à contre temps. Les politiques de subvention de la demande, qui ont délaissé le versant de l’offre, ont créé les conditions d’une fuite accrue à l’importation plutôt qu’une transformation du tissu productif, comme pour les tarifs de rachat de l’électricité photovoltaïque par exemple, qui remontent aux années 2000. A cette époque la Chine produisait 1 % des panneaux solaires dans le monde. Aujourd’hui, parmi les dix entreprises leaders mondiaux pour la production de ces modules, sept sont chinoises. Il n’y a aucun européen, et un seul américain. Rebelote quelques années plus tard avec la voiture électrique, alors que les pays européens multiplient les aides à l’achat. Aujourd’hui sept des dix plus gros producteurs de cellules de batterie sont chinois, avec une part de marché cumulée de près de 60 %. Les autres sont coréens ou japonais. Du côté des constructeurs, même si Tesla fait bonne figure, c’est encore un chinois qui est leader. Les européens sont à la traine, et parmi eux ce sont les allemands, et non les français, qui sont les plus dynamiques. Autant dire que sur un certain nombre de technologies déjà matures, la bataille semble perdue d’avance.

Un deuxième frein provient du choc énergétique que nous traversons. Même s’il est mondial, il frappe bien davantage l’Europe que le reste du monde et nuit à la compétitivité relative du territoire. La production de batteries ou d’hydrogène par exemple est fortement consommatrice d’énergie. L’accès à une énergie abondante et abordable est une condition nécessaire pour être compétitif sur le marché des technologies vertes. Cette condition est désormais bien moins satisfaite en comparaison de concurrents américains ou asiatiques. On pourra nuancer en rappelant que la notion de compétitivité dépasse largement la seule question du coût de l’énergie, et même du coût en général, puisqu’elle a également une composante « hors coûts ».

C’est justement le dernier point. Une politique de réindustrialisation ne peut avoir de sens que sur le long terme. Les décisions d’implantations et le développement de sites industriels dans la durée renvoient en réalité à des notions d’innovation, de recherche et développement, de formation de compétences, de constructions d’interrelations et de synergies industrielles, qui sont incertaines et prennent du temps. Ce sont ces dimensions qui devront être au cœur d’une politique de réindustrialisation au long cours, qui portera davantage sur des innovations nouvelles que sur des technologies matures. 

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