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Développer les énergies nucléaires et renouvelables sans les opposer

Par Myrto Tripathi, présidente et fondatrice de l’association « Voix du nucléaire »

Dans le débat public sur le mix énergétique français, nucléaire et renouvelables sont souvent opposés les uns aux autres. Le scénario TerraWater récemment publié par l’association les Voix du Nucléaire s’affranchit de cette dialectique en abordant la question des modes de production du point de vue de leur contribution technique aux enjeux du système électrique. Ils y sont positionnés, non les uns par rapport aux autres, mais chacun en fonction de ses propriétés physiques et opérationnelles.

Cette approche a mis en lumière une conclusion peu intuitive, mais que beaucoup espéraient : une exploitation de ces énergies selon leurs points forts respectifs, sans chercher à leur faire remplir le même rôle, permettrait non seulement l’atteinte de nos objectifs de décarbonation, mais également de protection environnementale, de souveraineté et de solidarité.

L’électricité, vecteur le plus versatile, efficace, incontournable, et le plus simple à décarboner, s’est rapidement et largement imposée. TerraWater table ainsi sur l’électrification de tous les usages qui peuvent d’ores et déjà l’être (industrie, chauffage, transport terrestre) et donc recherche une production d’électricité très supérieure à celle d’aujourd’hui.

Le scénario TerraWater est aussi l’occasion de distinguer les énergies renouvelables selon la nature de leur impact sur le système électrique. D’un côté les intermittentes (ENRi), dont on ne contrôle pas la production, solaire, éolien, hydraulique au fil de l’eau et énergies marines, et d’autre part les pilotables, dont la production peut être ajustée à la hausse ou à la baisse en fonction de la demande, barrages, biomasse et géothermie.

Pourquoi pas un scénario 100 % renouvelable ?

Chaque source d’énergie a son lot d’avantages et d’inconvénients. Concernant les ENRi, leur limite consiste à pénaliser la capacité du réseau à répondre à la demande des consommateurs. Cette limite inhérente à leurs propriétés physiques rend illusoire aujourd’hui l’idée de faire reposer sur elles plus de 40 % de n’importe quel système électrique d’envergure, soutenant les fonctions vitales d’une population, et, comme la pratique nous l’enseigne à l’échelle mondiale, rend nécessaire le recours majoritaire à des énergies pilotables souvent fossiles.

A mesure que la proportion d’ENRi augmente, leur intermittence pose des problèmes croissants au réseau auquel elles s’intègrent. Leur production ne s’adapte pas à la demande, leurs pics de production nécessitent des modifications importantes (sur-dimensionnements) pour éviter la saturation des lignes, leur instabilité menace la fréquence du réseau lors d’événements perturbateurs.

Pour pallier ces inconvénients les ENRi peuvent être déployées en parallèle de moyens de stockage capables d’absorber puis de restituer rapidement leur charge. Ils peuvent aussi être associés à des technologies smart grids pour, à l’inverse, aider les consommateurs à s’adapter à la production des ENRi. Ces technologies s’appuient sur des compteurs et autres appareils intelligents capables de répondre aux ordres de l’opérateur du réseau, de baisser ou d’augmenter l’appel de puissance électrique de nos appareils, afin que la stabilité du réseau soit maintenue. Ces appareils, gourmands en ressources minières dont l’extraction cause des dommages irréversibles, engendrent à leur tour des émissions de gaz à effet de serre. Leur installation requiert une démarche individuelle de la part des ménages et des industriels, et accroît la complexité du système, diminuant ainsi sa résilience en cas de défaut même transitoire (cas de certains réacteurs nucléaires à l’été 2022), ou de cyberattaque (11 GW éolien piraté début 2022).

Le scénario TerraWater cherche aussi à minimiser l’empreinte environnementale au sol des moyens de production pour limiter la pression exercée sur la biodiversité et ne pas empiéter sur les surfaces cultivables ou vivables. Vent, soleil et matière organique, les combustibles de l’éolien, du solaire et de la biomasse, sont des sources d’énergies très diluées, requérant de larges surfaces de déploiement. L’utilisation de biomasse énergie (biocarburants ou biogaz) ayant pour autres conséquences la déforestation (pour servir de combustible ou par réquisition de terres cultivables), la pollution de l’air et les émissions, TerraWater choisit volontairement de cantonner le recours à la biomasse aux usages strictement non électrifiables.

Les renouvelables au front contre les énergies fossiles

Les ENRi sont une source de production d’électricité bas carbone rapidement déployable. Etant donné l’urgence à réduire nos émissions, la trajectoire du scénario TerraWater prévoit une augmentation de la puissance solaire et éolienne installée jusqu’en 2050. À cet horizon, ce sont à minima 55 GW de photovoltaïque, et autant d’éolien terrestre et en mer, qu’il est proposé de déployer suivant un rythme d’installation moyen de 2,5 fois celui de 2019.

Cet investissement dans les ENRi est l’étape indispensable au développement rapide d’une production d’électricité bas carbone, qui, en base, ne pourra être assumée de manière pérenne que par les capacités de production bas carbone, stable, constante et dense du nucléaire. Ce socle de production électrique devra être plus important qu’aujourd’hui afin d’assurer en continu la réponse aux besoins en électricité des populations, tout en intégrant l’électrification de nouveaux usages.

Pour évaluer notre capacité à traduire ce besoin, nous nous appuyons sur les hypothèses de constructions conservatrices annoncées par EDF, nous contentant de prolonger la trajectoire, et mettant les capacités de production destinées à l’export à profit au niveau national, jusqu’à la mise en service de 22 nouveaux EPR2 d’ici 2050.

Afin que l’utilisation de chaque source d’énergie soit optimisée, le scénario TerraWater modifie l’ordre d’appel des moyens de production sur le réseau. Aujourd’hui, structuré en fonction du coût de la matière première sans considération pour l’ensemble de ce que nécessite la distribution de l’électricité aux utilisateurs, l’ordre d’appel force les ENRi à contribuer au socle, et le nucléaire à supporter les variations journalières de la demande, a contrario de leurs contributions physiques réelles respectives. Ainsi, les ENRi ne peuvent assurer leur fonction que soutenues par des énergies pilotables, souvent fossiles, et les réacteurs nucléaires doivent faire du suivi de charge avec pour conséquences des maintenances plus lourdes, des règles de sûreté plus strictes et un risque de sous-utilisation du combustible.

Enfin, une solution de stockage d’électricité massive, pérenne et souveraine met pleinement à profit les ENRi dans leur rôle de décarbonation, et s’affranchit d’une dépendance excessive aux interconnexions frontalières. Le pompage turbinage hydraulique (STEP) est seul en mesure de répondre aujourd’hui à ces exigences. Sur la base de travaux extensifs d’identification du potentiel réalisable sur le territoire, TerraWater donne toute sa place à cette technologie robuste, en capacité de bénéficier autant au réseau électrique qu’à la gestion de la ressource en eau. Ce choix, auquel doit s’ajouter le développement d’une industrie ENRi nationale, rendrait la France énergétiquement autonome et souveraine, ne se limitant plus, sous cet angle, au quart de nos besoins énergétiques, ceux couverts aujourd’hui par l’électricité.

A travers ce rapport, nous entendons donner une vision la plus complète possible des avantages comme des limites posées par la physique à la volonté politique, et des moyens concrets de s’en servir. Nous repoussons les paris, qu’ils soient technologiques, sociétaux ou géopolitiques. Sans dénigrer l’importance de changer profondément nos habitudes de consommation, nous choisissons intentionnellement de ne pas nous appuyer sur cette donnée pour atteindre nos objectifs. Et assumons entièrement notre vision “service public” de l’électricité. 

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