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D’une industrie optimisée à une industrie hyper fragilisée

Par Arnaud Pichard, Président de l’association, le Retour de l’Industrie en France (RIF)

L’industrie est la mise en place de processus pour produire de grandes quantités afin de répondre à la demande d’une grande population. Ce n’est donc ni de l’artisanat, ni des starts-up.

Le premier concurrent historique de l’industrie était l’artisanat (ce qui ne les oppose pas forcément, nous verrons après pourquoi), et pour que l’industriel puisse vendre, il fallait qu’il produise moins cher, c’est-à-dire en optimisant ses matières premières, en étant ingénieux concernant les procédés de fabrication, dans de grandes quantités et plus rapidement que l’artisan, ce qui amenait du travail, en adressant d’abord des marchés locaux puis, parfois, en étendant sa zone commerciale.

3 exemples palpables pour avoir des ordres de grandeur d’échelles industrielles : 65 millions de jeans vendus en France/an et 2,3 milliards/an dans le monde. Production : 73pièces/sec, le temps de lire ce document en 5 min : 21.900 Jeans produits ; 200 Millions/an de brosses à dents rien que pour la France, enfin, pour le seul site de Villers-Ecalles, 2,4 millions de barres Kinder Bueno / jour et 600.000 pots de Nutella/jour.

Comme chacun le sait aujourd’hui, l’industrie Française a perdu 2 millions d’emplois directs et 11 % du PIB en une génération (250 Milliards/an) ; il reste 3 millions d’emplois directs et 4,5 millions d’emplois indirects.

L’industrie est tellement sortie de notre paysage, que les gens sont surpris en voyant ce qu’est devenue l’industrie alors que dans l’imaginaire collectif sont juxtaposés : artisanat, Germinal, accident nucléaire et Chaplin. Ce sans savoir quels procédés hautes technologies sont utilisés, dépôt de couches minces, résistances de matériaux, batteries, écrans tactiles, software, cloud… pour cet objet qui est dans chaque poche des Français, et souvent en occultant les bénéfices essentiels : nourriture, chauffage, construction, médical…

A quoi sert l’industrie ? Que sont les PIV ?

Aujourd’hui, à part ce que vous avez décidé d’acheter chez un artisan, tout ce qui vous entoure vient de l’industrie et on pourrait même interroger l’artisan pour savoir d’où viennent ses matières premières, en général il y a une chaîne d’industriels derrière.

Les 4 piliers historiques sont : l’Energie, les Matières Premières, l’Agro-Alimentaire, l’Eau.

Les Produits ou Productions d’Importance Vitale viennent de la lecture de la pyramide de Maslow, ce à quoi nous avons ajouté les réalités de notre vie actuelle pour obtenir les 15 segments suivants : Energie, Eau, Cybersécurité, Transports, Chimie, Constructions, Agroalimentaire, Défense et Sécurité, Médical, Textiles, Traitement des déchets et efficacité énergétique, Minéraux & Métal, Numérique, Engineering & Machines et enfin, Formation à mi-vie Professionnelle.

D’où viennent les faiblesses de l’industrie mondialisée ?

Les producteurs font appel à des fournisseurs très spécifiques (performances techniques, prix…) venant de différents pays avec des différents intérêts. Il en découle une grande complexité de l’arborescence des fournisseurs et une hyper dépendance créant des fragilités sur la capacité à obtenir un produit fini si un seul des fournisseurs fait défaut. Rappel, dans l’automobile par exemple, il s’agit d’une chaîne de milliers de fournisseurs.

Raréfaction des matières premières et de l’Energie. Augmentation des salaires dans les principaux pays producteurs. Nouvelles contraintes géopolitiques, aujourd’hui on parle de tensions voir de guerres. Capacité de couper à distance les installations/productions (software). Cyber-attaques. Disparition des maitrises techniques locales. Fluctuation des flux (matières premières, monnaies…) Etc.

Ce qui produit 2 effets majeurs concernant les approvisionnements :

• Nous subissons les prix. Or, les prix « bas » d’aujourd’hui ne sont pas garantis du tout d’être constants.

• Nous pouvons subir des pénuries de deux types : raréfactions des produits, et/ou, décision d’un ou plusieurs pays/entreprises de ne plus nous vendre.

Or il y a une énorme différence. D’un côté votre repas vous coûtera peut-être plus cher si nous avons des tracteurs et des semences français (Peut-être, car nous ne contrôlons pas les prix des marchés internationaux qui peuvent augmenter), d’un autre côté, si nous ne maîtrisons pas un maximum d’éléments de la chaine de production, on parle de pénuries alimentaires qui vont bien au-delà de la moutarde (d’où les PIV).

La dimension prix est importante, mais elle pourrait devenir secondaire en cas de pénuries. Par ailleurs, concernant la hauteur de prix, si nous produisons en France, nous aurons moins de chômage, donc moins de besoin de taxes…

L’industrie, ça pollue forcément ?

Oui l’industrie pollue. En physique, toute action a un effet. Quand l’industrie transforme des matières plastiques avec de l’énergie pour vous procurer votre brosse à dent, il y a forcément des impacts.

Mais, d’une part il est de la responsabilité de chacun de vérifier si sa propre consommation est en ligne avec nos « besoins réels » (Voir nos armoires pleines des paires de chaussures).

D’autre part, l’industrie est la formule la plus optimisée dans un cadre légal local pour produire ce qui est acheté (matière première, énergie…) et donc la moins polluante concernant le ratio « pollution générée/objet produit ».

Nous attirons votre attention sur LES formes de pollutions, il n’y a pas que le CO2, l’épandage, les produits chimiques toxiques, les radiations, la chaleur générée, la destruction des écosystèmes pour aller chercher les matières premières et l’énergie, les surfaces de production… sont à considérer.

Le RIF fait 3 propositions sur ce sujet : 1/ Produire local pour pouvoir agir (aucun pouvoir sur les sites de l’autre côté de la planète), 2/ agir sur la R&D (quantité de matière, consommation d’énergie, packaging, matière dégradables ou réutilisables), 3/ Imposer progressivement le « ReUse-by design » pour que les industriels pensent dès la conception à la réutilisation des matières.

Que disent les « anti », les « résignés » ? Voici les Verbatims

« Produire en France coûte trop cher. La France est trop petite. Les Français ne veulent pas travailler. Trop de taxes. Création d’une entreprise & gestion trop compliquées. Climat social et relation aux syndicats impossible. Les Français ne veulent pas véritablement acheter Français. L’industrie pollue. Trop tard ! On ne peut rien faire avec les 35 heures. Trop de normes. Nous n’avons ni pétrole, ni uranium, ni matières premières. Il faut viser la high tech ! le digital et le web ! L’état est le plus mauvais payeur. Nous n’avons plus confiance, nous n’investirons pas car il n’y a aucune vision à long terme. C’est fini les usines pour la France. Il faut se concentrer sur la R&D et produire ailleurs. Il faut renforcer les services. Vous êtes des naïfs, les industriels et le pouvoir (l’état) ne vous laisseront jamais faire ! Les grandes entreprises Françaises n’ont que faire du marché Français. Même la mascotte des JO 2024 à Paris sera fabriquée en Chine ! … ».

Nous pourrions répondre point par point, mais nous n’avons pas l’espace ici. D’ailleurs tout n’est pas faux, et affronter certaines de ces réalités, ce n’est pas forcément être « anti » ni « résigné », il faut prendre ces paramètres dans l’équation à résoudre. Nous pourrions présenter l’état de la Chine en 1980, la taille de la Corée (plus petite que la France) et ses problèmes politiques, la montée et la descente du Japon, le cas des Etats-Unis… Mais en réalité ce n’est pas la question. Quand Didier Deschamps sélectionne ses joueurs en 2018, il ne prend pas « les meilleurs », ni de France, ni du monde, il rassemble les forces qui sont capables de jouer ensemble pour gagner, l’un des sélectionnés ne jouera pas une seule minute mais Deschamps pensait qu’il était important pour le groupe. Tous les pays ont leurs problèmes, leur points faibles et leurs points forts. Il est impensable que dès demain la France redevienne au top mondial de l’industrie, il faut comprendre cela comme une course de fond, avec des projets structurants (transports ferroviaires, production d’énergie…) qui matérialiseront nos avancées et qui diminueront notre dépendance, car chaque jour que nous laissons passer nous éloigne de la ligne de départ que nous aurions pu prendre l’année d’avant. Les américains, les chinois, les allemands… ne sont ni nos amis, ni nos ennemis, ils défendent leurs intérêts « business is business ».

Que faut-il faire pour relancer notre industrie ? Que propose le RIF ?

La taille des investissements doit nécessairement être en centaines de milliards minimum (le RIF travaille actuellement avec d’autres groupes tels que EconomiX sur cette question). Il y a des effets de seuil minimums pour relancer les filières qui sont interdépendantes, ex : voiture=>métal=>verre=>plastiques=>énergie=> formation… il faut reconstruire les bases pour que l’ensemble fonctionne.

• Les PIV : déclarer une liste de Produits d’Importance Vitale.

• Pour nos PIV, comprendre les liaisons/interdépendance entre les segments conduisant à un niveau de maitrise des productions et multi-sourcing de nos dépendances (On ne maitrise jamais entièrement, il s’agit de diminuer les risques)

• Ne pas investir à tort et à travers, ne pas céder aux « fausses bonnes idées », établir un bilan complet des implications : il faut cibler les investissements, définir des projets d’envergure nationale qui redonneront autonomie et compétitivité à la France.

• Orienter la commande publique avec pour objectif de privilégier la fabrication Française pour diminuer le risque qui pèse sur nos approvisionnements concernant nos besoins essentiels (PIV).

• Avoir des fers de lance.

• Avertir les Français de l’origine de toute leur consommation sur 5 niveaux (voir Livre du RIF).

• Penser l’écologie sur/pour plusieurs générations.

• Relancer les filières de formations d’ouvriers et de techniciens, la France n’a pas besoin que d’ingénieurs.

• Il faut un ministère de l’industrie qui retrouve (lui aussi) son autonomie sans être sous tutelle, un ministre d’état avec le pouvoir d’agir, avec une vision.

• Il faut aller rapidement.

Conclusion : il faut AGIR à Grande Echelle, focus sur les sujets totalement clefs, libérer les énergies (normes, gestion), avec une vision et conscience du temps long, avec une stratégie à deux étages : un % de nos productions en local, pour garantir qu’en cas de besoin nous ayons les savoir-faire, les fournisseurs et être capable de multiplier nos capacités de productions en local. Il faut défiscaliser les PIV, avec un engagement à long terme de l’état sur les commandes publiques orientées « productions locales ». Et avoir un deuxième étage ouvert, qui permette de recevoir (et d’envoyer) nos besoins de consommation venant d’autres pays et nos productions.

Les entreprises (françaises ou non) doivent comprendre qu’il s’agit de marchés importants et durables à gagner en plaçant leurs sites en France.

Finalement, Avons-nous le choix ?

L’exécutif et le législatif peuvent décider de ne rien faire. Dans l’état ou nous sommes, ne rien faire sera un choix, une décision, une responsabilité, or c’est le rôle de l’état de protéger et d’avoir un plan B tout en espérant que le pire n’arrive pas, bien sûr !

Sans promettre que tout ira bien, que tout sera parfait, au contraire il faut prévenir que, nous allons parfois devoir faire des choix difficiles pour que des moments pires n’arrivent pas.

Certains disent que pour que les Français acceptent ça, il faudra que le pire arrive, que des évènements suffisamment graves nous étreignent si fortement que les gens comprendront que les 30 glorieuses sont finies pour tout le monde à l’échelle mondiale. Nous craignons que si le pire arrive, sans avoir suffisamment amorcé notre réponse à cette nouvelle donne mondiale, nous n’ayons ni le temps ni les moyens pour nous en remettre.

Nous vous invitons à relire « Ravage » de Barjavel (1943) ; « Black-out » de Marc Elsberg (2012) et « La France Sous-traitée » du RIF (2022).