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Planification écologique et finances publiques

Par David Amiel, Député de Paris

Pendant longtemps, la taxe carbone la plus transversale possible était l’instrument privilégié par la plupart des économistes pour stimuler l’innovation, orienter l’investissement et susciter la modification des comportements. Son recours est aujourd’hui rejeté par l’opinion, paradoxalement pour les raisons mêmes qui la rendaient désirable aux yeux des économistes.

La taxe carbone était supposée s’appliquer de la même manière à tous, afin de constituer un « signal-prix » qui entraînerait l’ensemble des acteurs à ajuster leurs choix à hauteur de leurs coûts carbone : « neutralité et efficience » pensait l’économiste, « aveuglement et injustice » protestait le citoyen, qui voyait bien que certains demeuraient sans solutions alternatives. Le prix (implicite) du carbone doit donc continuer à croître mais par une combinaison entre différents instruments, où la subvention publique jouera un rôle important pour réduire le prix des technologies propres et corriger les effets redistributifs.

Il convient de tirer toutes les conséquences pour les finances publiques de cette nouvelle donne. En particulier, c’est à l’aune de la transformation écologique que nous devons repenser notre architecture budgétaire et celle de la régulation des prix de l’énergie.

Un tournant est amorcé dès le budget 2023, avec une intensité inédite de l’effort en faveur de la transition écologique. A titre d’exemple, les crédits du programme « Energie, climat et après-mines » augmentent de 52 % par rapport à l’an dernier. Les acquis de la réponse à la crise sanitaire sont donc conservés, et leur effet est même amplifié. Le défi reste pour autant considérable : rien que pour les bâtiments, les transports et la production d’énergie, l’institut I4CE estime que les investissements annuels supplémentaires, d’ici à 2030, à la fois publics et privés, devraient s’élever jusqu’à 30 milliards d’euros (1). Il faudra continuer en tout état de cause continuer à accroître notre effort budgétaire dans les prochaines années. Par ailleurs, il ne suffit pas de dépenser davantage d’argent, il faut aussi l’annoncer, pour permettre aux acteurs économiques d’ajuster leurs décisions en fonction. Cet enjeu clef de la visibilité et de la crédibilité, afin d’éviter que les acteurs privés ne sous-investissent dans les technologies vertes, est souligné par Jean Pisani-Ferry et Selma Mahfouz dans une note récente(2). Loin de « rigidifier » à mauvais escient la dépense publique, je suis convaincu que l’introduction d’une programmation budgétaire en articulation avec la loi de programmation énergie climat permettra au contraire de la rendre plus efficace. Enfin, nous devons continuer à orienter nos efforts pour structurer les dispositifs de « tiers financement », notamment dans le domaine de la rénovation thermique. Les besoins de soutien de la demande dans ce domaine sont considérables, mais il serait à la fois impossible et injuste de les faire supporter entièrement par le contribuable, en utilisant exclusivement la subvention budgétaire. De nombreux ménages ou collectivités subissent en effet des contraintes de liquidité davantage que de solvabilité : les travaux de rénovation peuvent être rentables à long terme, mais c’est l’avance de fonds à court terme qui est difficile. La remontée des primes de risque, dans la conjoncture économique actuelle, justifie d’autant plus l’intervention des pouvoirs publics pour mettre en œuvre des dispositifs de « tiers financement » et orienter l’épargne vers ces projets indispensables.

Le second élément sur lequel je voudrais insister est la transformation de notre architecture de régulation des prix de l’énergie. Face à la crise, des actions fortes ont été prises par le Gouvernement, autour de quelques principes-clefs : d’une part, atténuer le coût de l’énergie pour les consommateurs, grâce au bouclier tarifaire, dont l’effet macroéconomique vertueux a été démontré (3), mais aussi grâce à l’amortisseur d’électricité, l’ARENH et les différentes aides aux entreprises ; d’autre part, limiter les rentes pour les producteurs, 26 milliards d’euros environ étant attendus dans le budget de l’Etat en 2023 à l’heure où cet article est écrit (à la fois par le jeu des mécanismes contractuels pour les énergies renouvelables et par la taxe supplémentaire de récupération des « superprofits » des producteurs d’énergie). Nous devrons en tirer les conséquences pour le long terme.

Il est illusoire en la matière de s’en remettre simplement au libre jeu du marché : la planification écologique nécessite une régulation importante des prix de l’énergie. Il s’agit de de construire un cadre pérenne pour soutenir le développement industriel du nucléaire et des énergies renouvelables, en incitant à l’investissement, tout en assurant la disponibilité d’une énergie décarbonée peu onéreuse pour les ménages et les entreprises. L’enjeu est à la fois écologique et économique car, si la compétitivité était perçue dans les années 2000 comme une question d’abord liée au coût du travail, elle sera de plus en plus liée au coût de l’énergie. Comme nous l’avons écrit avec mon co-rapporteur Emmanuel Lacresse dans le cadre de notre rapport spécial pour le projet de loi de finances, « les objectifs prioritaires à se fixer, tant dans le cadre de la réforme européenne du marché que des dispositifs appelés à succéder à l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH), sont : la décorrélation des prix de l’électricité et de ceux des énergies fossiles, dans un contexte où les seconds sont appelés à croître structurellement ; la réduction de la volatilité des cours, alors que des investissements massifs sont nécessaires, tant du côté de la production que des usages ; la limitation des rentes, au regard d’une demande d’électricité appelée à augmenter fortement ; la résilience des approvisionnements par leur diversification ; l’autonomie de territoires aux stratégies différenciées ; le recours à l’économie circulaire ; la construction de filières industrielles, à la fois pour le nucléaire et pour les énergies renouvelables ».

En conclusion, je veux souligner que nous ne sommes qu’au début d’une grande transformation de nos finances publiques au regard de la transition écologique. Nous devons y faire face en évitant les raccourcis. La nécessité de réduire la « dette climatique » ne se substitue pas à la nécessité de réduire la « dette budgétaire » : elle s’y ajoute. Susciter une crise financière, en multipliant les dépenses inconsidérées, n’aiderait en rien la planète. Nous devons investir davantage dans la transition énergétique, tout en assurant la bonne tenue des comptes publics. Cette dimension devrait être intégrée dans la réflexion nécessaire sur la manière de présenter les comptes nationaux ainsi que sur la manière de fonctionner des règles budgétaires européennes. Elles devraient traiter différemment les dépenses en faveur de la transition écologique, qui réduisent notre exposition à des crises futures et aux risques associées pour notre dette, et les autres dépenses, que nous devons continuer à réduire. Une méthodologie précise pour aborder ce partage sera indispensable, l’Inspection générale des finances, dans un rapport récent, établissant d’ailleurs des analyses très riches pour la nourrir (4). 


1. Ledez, Maxime, Hainaut, Hadrien, « Panorama des financements climats », I4CE Institute for Climate Economics, octobre 2022.

2. Pisani-Ferry, Jean, Mahfouz, Selma, « L’action climatique : un enjeu macroéconomique », France Stratégie, novembre 2022.

3. Langot, François, Tripier, Fabien, Malmberg, Selma, Hairault, Jean-Olivier, « Soutien à l’économie, maîtrise des finances publiques et lutte contre les inégalités : le bouclier tarifaire est-il un bon instrument ? », CEPREMAP, 17 novembre 2022.

4. Mahfouz, Selma, Murciano, Charles, Brand, Thomas, Costa de Beauregard, Aude, « Enjeux macroéconomiques et budgétaires de la neutralité carbone », Inspection générale des finances, août 2022.

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