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“Le gouvernement français agit sur plusieurs fronts pour faire face aux différents enjeux portés par les câbles”

Par Camille Morel, Chercheuse associée à l’Institut d’Etudes de Stratégie et de Défense (IESD) et au Centre d’Etudes Stratégiques de la Marine (CESM)

Depuis les années 2010, les câbles de communication qui parcourent le fond de nos océans suscitent un regain d’intérêt de la part des Etats. Dès 2013, Edward Snowden révélait au monde que des captations massives de données étaient réalisées par les services de renseignement américains et britanniques à partir des câbles sous-marins, faisant craindre l’existence d’une « surveillance mondiale » [1].

Depuis 2014, c’est la présence régulière de bâtiments océanographiques russes à proximité de câbles sous-marins qui inquiète les pays membres de l’organisation du traité de l’atlantique nord (OTAN), qui voient ces agissements comme une menace potentielle pour l’intégrité et la sécurité de leurs infrastructures vitales [2]. En avril 2022, une attaque informatique survenue sur l’île d’Hawaï, qui visait des équipements nécessaires à la transmission du flux de données par câbles sous-marins et aurait été stoppée à temps par le Département de la sécurité intérieure américain [3], a rappelé la vulnérabilité de ce réseau, tant du point de vue physique que cyber.

Appartenant à la fois au domaine maritime et numérique, les câbles sous-marins se trouvent en effet pris en étau entre, d’un côté, la montée de la compétition maritime entre les Etats et, de l’autre, la place grandissante des questions technologiques et cyber au sein des relations internationales. Ainsi, la pression qui s’exerce sur les câbles et conduit à leur politisation croissante sur la scène internationale devrait s’accentuer dans les prochaines années : la militarisation des fonds marins et la diffusion de technologies capables d’agir en profondeur renouvellent en effet la menace d’une action offensive sur le câbles et l’immixtion des Etats dans ce secteur économique.

Le gouvernement français, de son côté, agit sur plusieurs fronts pour faire face aux différents enjeux portés par les câbles. Sur le volet juridique, la loi n° 2019-810 du 1er août 2019 visant à préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale de la France dans le cadre de l’exploitation des réseaux radioélectriques mobile a permis d’alourdir les sanctions pénales applicables aux dommages causés aux câbles sous-marins [1]. Une instruction émanant du secrétaire général de la Mer, publiée en 2020, visait par ailleurs à améliorer l’attractivité du territoire national – métropolitain et Outre-mer – dans le but de renforcer la résilience de la société et de l’économie française. Grâce à un décret de 2017, relatif à la mobilisation de la flotte stratégique [2], les navires câbliers sont considérés comme des bâtiments susceptibles d’assurer, en temps de crise, la sécurité des moyens de communications, services et travaux maritimes indispensables, ainsi que de compléter les moyens des forces armées [3]. Dès lors, les communications par câbles constituent une « filière stratégique » dont il est nécessaire d’assurer l’intégrité, la sécurité et la continuité pour les besoins généraux de la Nation

Du point de vue économique, la France assure un suivi de ses leaders sur le marché, dont son fleuron industriel, Alcatel Submarine Networks (ASN), à la fois fabricant et poseur de câbles. Elle met également en œuvre une politique de financement de nouveaux câbles par projet, au travers d’appels d’offre, dans l’optique de mieux connecter ses territoires isolés. Le plan d’investissement France Très Haut Débit avait dans ce sens donné lieu, en 2017, à un appel à projet visant la continuité territoriale numérique dans les Outre-mer. Piloté par l’Agence du Numérique, il attribuait 50 millions d’euros pour améliorer la connectivité internationale des habitants des territoires ultra-marins, y compris par câbles sous-marins [4].

Enfin, la récente stratégie ministérielle de maîtrise des fonds marins marque un tournant dans la prise en compte par l’Etat de la protection des câbles. Elle officialise la nécessité pour le ministère des armées de se doter d’équipements et matériels lui permettant de sécuriser les infrastructures présentes dans le fond, à la lumière des autres grands compétiteurs. Si la France dispose aujourd’hui de moyens d’intervention limités, détenus par la CEPHISMER, l’IFREMER et le SHOM, et que des programmes sont en cours (capacité hydrographique et océanographique future et système de lutte anti-mines du futur), la stratégie ministérielle veille à accroître les capacités de recherche, de surveillance et d’intervention sous la mer pouvant aller jusqu’à 6000 mètres de profondeur [5]. 

[1] Observatoire du monde cybernétique, Rapport trimestriel, 2013, p 30.

[2] OTAN, Secretary General Press Conference Jens Stoltenberg following a meeting of the North Atlantic Council with the National Security Advisers and Hybrid Points of Contact, 2020.

[3] HawaiiNewsNow “HSI Agents Stop Cyberattack on Hawaii Submarine Cable”, Subtel Forum, 13 avril 2022, accessible en ligne : https://subtelforum.com/hsi-agents-stop-cyberattack-on-hawaii-submarine-cable/.

Et la France ?

[1] Article 2 de la loi n° 2019-810 du 1er août 2019 visant à préserver les intérêts de la défense et de la sécurité nationale de la France dans le cadre de l’exploitation des réseaux radioélectriques mobiles : Le livre II du code des postes et des communications électroniques.

[2] Décret n° 2017-850 du 9 mai 2017 relatif à la composition et à la mise en œuvre de la flotte à caractère stratégique, pris pour l’application de l’article L. 2213-9 du code de la défense.

[3] Article L. 2213-9 du code de la défense.

[4] Ministère des Outre-mer, « L’Etat mobilise 50 millions d’euros pour la continuité territoriale numérique des Outre-mer », publié le 19/06/2017.

[5] En particulier, la technologie devra aider à la détection et la classification d’objets de faibles dimensions situés par grands fonds (engin offensif, dispositif d’écoute, senseur déporté), par des moyens sous-marins (AUV, ROV) dotés de capteurs.

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