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“Mieux encadrer le recours aux consultants en rendant leurs missions plus transparentes et en renforçant leurs règles déontologiques”

Entretien avec Arnaud Bazin, sénateur du Val-d’Oise, président de la commission d’enquête du Sénat sur l’influence croissante des cabinets de conseil privés dans les politiques publiques

La proposition de loi semble faire l’unanimité… contre le recours aux cabinets de conseil par l’Etat. Quelle est finalement la philosophie de ce texte ? Quel est son périmètre d’action ?

Notre proposition de loi (PPL) est directement issue de la commission d’enquête du Sénat, qui a abouti à un constat documenté et partagé par tous les groupes politiques : les cabinets de conseil interviennent de manière croissante dans les politiques publiques, dans une grande opacité. Leurs prestations pour l’Etat et ses opérateurs ont foisonné tous azimuts : elles sont évaluées à au moins un milliard d’euros pour la seule année 2021.

Face à ce constat, ce texte transpartisan vise à mieux encadrer le recours aux consultants en rendant leurs missions plus transparentes et en renforçant leurs règles déontologiques. Aujourd’hui, les cabinets peuvent conseiller simultanément plusieurs clients sans que l’Etat ne le sache, ce qui soulève un risque majeur de conflits d’intérêts.

Ce n’est donc pas une PPL « contre le recours aux cabinets de conseil », mais une PPL pour un meilleur encadrement de leurs prestations, dans l’intérêt de l’Etat.

La PPL inquiète les cabinets de conseil qui pourraient se détourner des clients publics en se recentrant vers le secteur privé. N’y a-t-il pas alors un risque pour l’Etat de ne plus pouvoir recourir aux compétences nécessaires ponctuellement ?

Ne soyons pas naïfs : l’Etat aura toujours besoin de consultants, en particulier pour des missions très spécifiques. Cela ne doit pas l’empêcher de mieux mobiliser le savoir-faire de sa propre administration : des missions sont aujourd’hui externalisées « par réflexe », alors que des fonctionnaires pourraient très bien les assurer.

De même, les cabinets de conseil sont volontaires pour travailler dans le secteur public, même si ce dernier ne représente qu’environ 10 % de leur activité. Les commandes de l’Etat présentent au moins deux avantages : elles sont fermes car régies par les règles de la commande publique et elles sont appréciées des consultants, juniors comme seniors, car elles poursuivent des objectifs d’intérêt général.

Je ne pense donc pas que les cabinets de conseil « se détourneront » de leurs clients publics. Ils devront toutefois respecter les règles fixées par le législateur, comme toute entreprise, de la PME à la multinationale.

Parmi les points d’achoppements, le texte prévoit une obligation de déclaration des conflits d’intérêts à la fois pour la société et pour les consultants de la mission. Ce poids des procédures administratives, n’est-ce pas excessif et compliqué à mettre en œuvre ? Par ailleurs, cela ne va-t-il pas renforcer les grands cabinets par rapport à des plus petits qui n’auront pas forcément les ressources pour y répondre ?

Les déclarations d’intérêts sont une garantie de protection : l’Etat doit pouvoir connaître les autres clients de ses consultants, pour se prémunir contre tout risque déontologique.

Cet outil est bien connu de la sphère publique : les élus et les fonctionnaires remplissent des déclarations d’intérêts depuis 2013, sous le contrôle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATP). La première déclaration prend un peu de temps, puis il suffit de l’actualiser. C’est loin d’être insurmontable !

S’agissant de la concentration du marché, nous observons un tel phénomène avant même l’examen de la PPL : 20 cabinets de conseil ont concentré 55 % des missions confiées par l’Etat entre 2018 et 2020.

Ce phénomène s’explique par l’émergence de « méga-contrats » de l’Etat, que seuls de gros cabinets de conseil peuvent assumer. À titre d’exemple, il faut avoir dégagé un chiffre d’affaires compris entre 20 et 35 millions d’euros sur les trois dernières années pour se porter candidat au nouvel accord-cadre de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP). Ce n’est pas donné à tout le monde…

En rendant les prestations de conseil plus transparentes, nous espérons que l’Etat prendra conscience de cette difficulté et fera confiance à des cabinets de plus petite taille, qui peuvent disposer de compétences rares et donc recherchées. 

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