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Du plomb dans l’aile

Un règlement de l’UE prévoit d’interdire l’usage du plomb au sein de l’Union européenne. Un risque sérieux et réel pour les métiers du patrimoine en France. Le Sénat inquiet adopte une proposition de résolution européenne.

Les maîtres verriers et facteurs d’orgues sont inquiets : la révision du règlement européen « Reach » qui concerne l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des substances chimiques au sein de l’Union européenne désigne très clairement le plomb comme étant une « substance » « particulièrement préoccupante ». A la manœuvre, la Suède qui cherche à l’interdire depuis 2018. Or pour ces métiers comme pour le secteur du patrimoine culturel, le plomb est consubstantiel à leurs métiers. « La fabrication et la conservation du vitrail sont indissociables de l’usage de plomb » affirme la sénatrice Catherine Morin-Desailly (UC, Seine-Maritime), rapporteure devant la commission des affaires européennes du Sénat qui a été saisie par les maitres verriers et la chambre syndicale nationale du vitrail (1). L’inquiétude monte aussi chez les facteurs d’orgues et organistes également concernés par le risque d’interdiction. En effet, malgré de nombreux essais de substitution depuis le XIXème siècle, la sonorité de l’orgue est indissociable de la part de plomb qui forme l’alliage de ses tuyaux, dans une proportion variant de 10 % à 95 % environ (2). La procédure d’autorisation très lourde puis à terme l’interdiction qu’impliquerait la révision de la réglementation européenne représenterait donc « un coût prohibitif pour les entreprises (TPE et PME) françaises du secteur du patrimoine culturel » explique la rapporteure. « L’impact le plus lourd porterait sur l’ensemble des professions liés à la restauration et à la conservation des monuments historiques » ajoute Louis-Jean de Nicolaÿ, (LR, Sarthe) co-rapporteur qui rappelle que la malléabilité et la durabilité du plomb concourent aussi à la conservation de long terme des bâtiments anciens. Le choix européen d’interdiction entraînerait les filières du patrimoine « à péricliter ou à se délocaliser » finissent par asséner les deux élus. On estime alors à 450 le nombre d’entreprises artisanales qui pourraient être menacées en cas d’interdit.

Pour autant, il n’est pas dans leur intention de nier la toxicité du plomb sur la santé et l’environnement. Mais ils ne peuvent que relever qu’il n’existe à ce jour « aucune donnée épidémiologique fiable mettant en question en France et en Europe la santé des travailleurs exposés au plomb dans le domaine du patrimoine culturel ». « La prévention du risque plomb est une préoccupation de longue date de tous les secteurs du patrimoine, souligne encore le co-rapporteur, toutes les entreprises concernées y sont sensibilisées et ont pris les mesures de prévention indispensables ».

Plutôt qu’une révision de ce règlement « Reach », les sénateurs proposent que des études scientifiques soient lancées et qu’un protocole national et européen de prévention du risque plomb sur les chantiers de monuments historiques soit mis en oeuvre. Ils suggèrent par ailleurs et surtout l’instauration d’une exception patrimoniale en faveur des métiers concernés. « Des précédents d’exception relatives à l’interdiction de recourir au plomb pour un secteur déterminé ont déjà eu lieu dans certains domaines », notamment le cristal tient d’ailleurs à préciser Jean-François Rapin (LR, Pas-de-Calais), le président de la commission des affaires européennes du Sénat.

Avec cette proposition de résolution, un avis politique identique a été adressé par le président Jean-François Rapin à la Commission européenne, dans le cadre du dialogue entre celle-ci et les parlements nationaux indique le communiqué de la commission européenne du Sénat. 

(1) La France concentre plus de 60 % du patrimoine de vitraux européens et abrite la plus grande surface de vitraux du monde.

(2) Sur près de 10 000 orgues recensés en France, près de 1600 sont classés au titre des monuments historiques.

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