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Stocks de masques : l’Etat fautif

Une décision du tribunal administratif de Paris pointe la responsabilité de l’Etat dans la mauvaise gestion des stocks et l’utilisation de masques chirurgicaux dans la lutte contre le covid-19.

“L’Etat a commis une faute en s’abstenant de constituer un stock suffisant de masques permettant de lutter contre une pandémie liée à un agent respiratoire hautement pathogène” indique le tribunal administratif de paris dans sa décision du 28 juin. Saisi par trente-quatre requêtes émanant de personnes infectées ou d’ayants droit de personnes décédées du Covid-19, les juges administratifs dénoncent également une communication gouvernementale inaudible au début de la pandémie. « Les déclarations gouvernementales indiquant, au début de la crise sanitaire, qu’il n’était pas utile, pour la population générale, de porter un masque avaient un caractère fautif, compte tenu de leur caractère contradictoire avec les données scientifiques disponibles » jugent-ils sévèrement. Cette condamnation de l’Etat par la Justice n’est que la suite des vives critiques déjà énoncées par une commission d’enquête parlementaire en décembre 2020. Les élus avaient alors parlé « d’impréparation » (voir encadré).

Au début de la crise sanitaire, le stock d’Etat était constitué de 117 millions de masques chirurgicaux et de 1,5 million de masques FFP2. Un stock déjà sous-évalué par rapport à l’objectif fixé par l’Etat en 2009 d’un milliard de masques chirurgicaux et FFP2 – a été logiquement jugé « insuffisant » par le tribunal administratif pour répondre aux défis sanitaires de la pandémie. Le rapport de la commission d’enquête mettait déjà sur la sellette les choix gouvernementaux de réduction des stocks d’Etat : entre 2011 et 2016, le nombre de masques FFP2 était passé de 700 millions à 700 000 unités. Quand au stock de masques chirurgicaux, il est tombé à 100 millions d’unités en 2019 contre 754 millions en 2017. Il ne faut pas oublier que le directeur général de la santé (DGS), le Pr Jérôme Salomon que l’on verra beaucoup sur les plateaux de télévision tout au long de la pandémie est celui qui, à l’automne 2018, a choisi de ne pas renouveler le stock alors même que 600 millions de masques étaient dans le même temps déclarés non conformes. Une première faute à laquelle s’ajoute la faute de communication. Les discours contradictoires du gouvernement n’ont pas aidé. Le 24 février 2020, le ministre de la Santé, Olivier Véran cherchant à rassurer les Français expliquait que la France disposait de « stocks massifs de masques chirurgicaux, si nous avions besoin d’en distribuer ». Le 4 mars, le même ministre assure que « l’usage des masques est inutile » et qu’il doit être réservé aux professionnels de santé et aux personnes « contaminées » et « vulnérables ». « Il n’y a pas besoin de masque quand on respecte la distance de protection vis-à-vis des autres » indique à son tour le 25 mars, la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye. Ce flou a créé une incertitude et une incompréhension chez les Français et a eu notamment pour conséquence de les « dissuader » de porter le masque, ce que condamne la justice administrative. Ce n’est qu’au début de l’été 2020 que le masque est devenu obligatoire dans les lieux clos avant de se généraliser partout à la fin de l’été.

En dépit de ces multiples fautes, le tribunal administratif a choisi de ne pas répondre aux demandes indemnitaires estimant que le lien de causalité n’est pas établi entre les fautes et le préjudices invoqués par les requérants.

Rappelons enfin que Agnès Buzyn, ministre de la Santé avant Olivier Véran a été mise en examen en septembre 2021 pour « mise en danger de la vie d’autrui » dans le cadre de son action à la tête du ministère jusqu’en février 2020 dans le cadre d’une procédure devant la Cour de Justice de la République. Elle avait estimé, au début de la crise sanitaire que le port du masque était « totalement inutile » pour les personnes non contaminées. 


Après six mois de travaux et 56 auditions, la commission d’enquête parlementaire sur la gestion gouvernementale de la pandémie de Covid-19 rendait son rapport en décembre 2020. Son rapporteur, le député LR Eric Ciotti dénonçait alors un Etat « mal armé et mal préparé » allant jusqu’à parler de « gestion chaotique » de la crise. Le rapport mettait ainsi en lumière l’impréparation de l’Etat dans la gestion des stocks de masques « avec une baisse des stocks qui semble s’être opérée dans l’indifférence ou l’ignorance du pouvoir politique », les « retards » dans les tests et la gestion de l’épidémie dans les Ehpad, « grands oubliés de la première vague ».
« L’absence de pilotage unifié et la multiplication des instances ont entrainé confusion et perte d’efficacité » regrettait Eric Ciotti lors de la parution du rapport pointant le ministère de la Santé qui « a préempté la gestion de la crise alors qu’il n’était pas armé pour cela ».
« De manière générale, tout au long des premières semaines de la crise sanitaire, les Français ont assisté à une succession précipitée de décisions prises au pied du mur, alors qu’elles étaient indispensables » concluait le rapporteur.
Eric Ciotti proposait alors de nommer « un ministre délégué, placé auprès du Premier ministre, qui serait chargé de l’anticipation des crises, qu’elles soient sanitaires ou d’une autre nature ».

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