Print this page

Transparence de la vie publique : la Haute Autorité à l’offensive

Dix ans après sa création, la Haute-Autorité pour la transparence de la vie publique présidée par Didier Migaud a publié son rapport de travail sur l’année 2021. L’axe sur lequel elle souhaite insister en cette année d’élections, est l’encadrement des reconversions professionnelles des élus, alors que nombre d’entre eux quittent la vie publique, souvent, pour se rendre dans le secteur privé.

L’envie de l’ancien ministre des Transports, Jean-Baptiste Djebbari de rejoindre la CMA-CGM a rapidement fait réagir la HATVP, qui a rapidement émis un avis négatif. En cause, ses accointances avec le PDG de l’entreprise : « le nombre de rencontres [...] a été important » affirme Didier Migaud au quotidien L’Opinion. « Le fait qu’ils se soient vus souvent peut créer un doute quant aux conditions dans lesquelles le ministre a exercé ses fonctions » poursuit-il. Jean-Baptiste Djebbari a présenté au total trois projets de reconversion, deux ont été validés par la HATVP, avec quelques réserves toutefois, notamment en ce qui concerne sa volonté de rejoindre la start-up Hopium, spécialisée dans la construction de véhicules à hydrogène. Le cas Djebbari intervient après celui d’Eléonore Leprettre, ancienne directrice de cabinet de Marc Fesneau, qui est devenue directrice du lobby des entreprises agrochimiques Phyteis, alors-même que le premier venait d’être nommé ministre de l’Agriculture. Une nomination qui aurait été signée avant l’annonce du nouveau gouvernement s’est-elle pourtant défendue. Après leur reconversion dans le privé, les ministres ont aussi interdiction d’entrer en contact avec leur ancienne administration pour une durée de trois ans.

Cabinets de conseil et lobbies, destinations privilégiées

Le rapport de la HATVP a émis au total 86 avis sur des reconversions, dont 58 de conseillers ministériels et trois de membres du gouvernement, dont Jean-Baptiste Djebbari. Une occasion de revenir sur la pratique, très courante, de reconversions des élus – députés et ministres – dans le domaine du lobbying ou encore du conseil. Un phénomène très répandu, tous bords politiques confondus. Le journal Le Monde a répertorié une vingtaine de députés français de la XIVème législature (2012 - 2017) dans le répertoire des représentants d’intérêts de la HATVP. Ce répertoire recense l’ensemble des lobbyistes français, qui sont tenus de s’inscrire sur ce registre numérique publique. Parmi les députés concernés, on trouve l’ancien socialiste Mathias Fekl, successivement secrétaire d’Etat au commerce extérieur puis ministre de l’Intérieur sous François Hollande, qui a rejoint la Fédération des brasseurs de France. Celle-ci lutte entre-autres pour conserver les avantages fiscaux des brasseurs. Mentionnons encore le départ de Dominique Bussereau (LR), encore président du conseil départemental de Charente-Maritime en 2018, et qui dans le même temps avait commencé à travailler pour le cabinet de conseil allemand, Roland Berger, via sa société Charbus Conseil. D’autres exemples de reconversion dans les cabinets de conseil peuvent être soulignés, tels Christophe Sirugue (PS), Sébastien Pietrasanta (PS) et Georges Fennecs (LR).

La question des députés-consultants

Sans mentionner les députés qui exercent des activités de conseil en parallèle de leur mandat parlementaire. Cette pratique, théoriquement interdite par les lois de moralisation de 2017, est encore autorisée pour les députés travaillant pour des cabinets dont la création date de plus d’un an avant leur élection à l’Assemblée nationale. C’est ainsi que Pierre-Alain Raphan, ancien député du Val-de-Marne (LREM), a pu poursuivre ses activités pour Accia Consulting, entre 2017 et 2020. Enfin, il y a le cas de l’ancien député Jean-Michel Fauvergue (LREM), qui a pu poursuivre ses activités de formation et de conseil en toute légalité pendant tout son mandat, via sa société Fauhestia.cons, qu’il a créée au début de son mandat. Petite subtilité : elle était enregistrée comme entreprise de formation et non pas comme société de conseil. L’ancien patron du RAID a donc pu facturer ses services.

Une solution pour éviter les risques de collusion entre les élus et leur ancienne activité professionnelle serait de déporter de certains dossiers les élus concernés. Une mesure que Didier Migaud souhaite bien amplifier dans les années à venir : « Je trouverais utile que l’on raccourcisse le délai de dépôt de la déclaration d’intérêts : plus vite nous pouvons la contrôler, plus vite nous pouvons recommander, voire enjoindre à un ministre de se déporter dans certains cas » affirme-t-il. Il l’assure, elle n’empêchera la reconversion dans le privé des anciens ministres : « si vous prenez les bonnes décisions de déport, la personne peut retourner dans son secteur d’activité » tranche-t-il. Des décisions qui nécessitent dans tous les cas un vrai travail de discernement. « Nous essayons d’être objectifs dans notre appréciation » poursuit le directeur de la Haute autorité.

Des déclarations patrimoniales en règle

Les cas limites soulignés entre-autres par le rapport de la HATVP ne doivent pas pour autant semer excessivement la méfiance à l’égard des élus. Sur les 15 574 déclarations de situation patrimoniale et d’intérêts en 2021, seules 1 550 ont conduit à des mesures de prévention d’un conflit d’intérêts. Enfin, 55 dossiers ont été transmis à la justice pour non dépôt de déclaration. Et sur les 3150 qui ont subi un examen approfondi, plus de la moitié ont eu des lacunes mais « mineures » selon Didier Migaud et seuls 11 d’entre eux ont été transmis à la justice, « dont 8 pour prise illégale d’intérêt ». Parmi ces dossiers, il n’y a « pas de parlementaires en exercice en défaut de déclaration » assure-t-il, ni « de grands élus ». Le directeur de la Haute autorité se dit satisfait que dans l’ensemble, il y ait un « réflexe déontologique » plus fort « que par le passé » chez les élus. Commentant les chiffres, il nuance toutefois : « c’est une faible proportion, mais c’est encore trop ».

Renforcer les moyens de contrôle

Le président l’autorité ne se contente pas de souligner les résultats de l’année écoulée. Il souhaite qu’il y ait des effets concrets pour les années a venir, pour améliorer le contrôle de la déontologie des députés et des ministres. En particulier, il serait favorable à la mise en place d’un déontologue du gouvernement en plus de celui qui existe déjà pour les députés. Une fonction créée en 2011, dont le garant n’a qu’un pouvoir de conseil auprès des élus et ne peut s’opposer sur le projet de reconversion d’un député. « Tout ce qui peut contribuer à la prévention, au conseil, à l’accompagnement, me paraît utile » insiste Didier Migaud. Le rôle de ce futur déontologue serait certainement très semblable à celui de l’Assemblée nationale.

Didier Migaud aimerait que la HATVP puisse également exercer son contrôle à la Bpifrance, à l’Ugap (Union des groupements d’achats publics), à La Poste, à la Solideo (Société de livraison des ouvrages olympiques) ou encore à la Caisse des dépôts et consignations : « Il serait important que la sortie de ces responsables » ayant travaillé avec des entreprises privées « ne soit pas passible d’une prise illégale d’intérêts » explique-t-il. Et pourquoi ne pourrait-il pas non plus étendre son contrôle « aux maires d’arrondissements » de Paris, Lyon, Marseille et « aux adjoints de grandes communes ». Il souhaiterait enfin que la Haute autorité ait aussi un pouvoir de sanction, « dans certains cas précis », en particulier les « infractions simples qui encombrent les parquets, empêchant une sanction rapide ». Une mesure qui nécessiterait des moyens supplémentaires pour les années à venir, qu’il ne craint pas d’obtenir : « pour le moment, à chaque fois que j’ai demandé des moyens supplémentaires, j’ai été suivi. ».. conclut-il avec optimisme. 

533 K2_VIEWS