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“Il n’y aura pas de transition écologique et de sauvetage de la planète sans le nucléaire”

Par Bernard Accoyer, Président de PNC-France, ancien Président de l’Assemblée Nationale*

L’énergie, c’est la vie. Pendant les dizaines de milliers d’années, l’humanité a vécu chichement, avec une consommation d’énergie extrêmement modeste.

Des conditions de vie qui seraient aujourd’hui caractérisées par un Indice de Développement Humain inférieur à celui des pays les moins développés. Puis l’homme a utilisé l’énergie de la biomasse pour gagner en confort et pour multiplier sa force. La population mondiale était modeste et l’impact sur l’environnement négligeable. L’utilisation des combustibles fossiles s’est fortement développée au 19ème siècle, marquant le début de l’ère industrielle, pour le plus grand bien de l’humanité : conditions de vie améliorée, accroissement de l’espérance de vie et du niveau d’éducation, etc.

Il a fallu attendre la fin du 20ème siècle, 1987 précisément, pour que les alertes des scientifiques sur les conséquences environnementales de ce mode développement soient entendues par les politiques, et que le Dr Brundtland ose proposer à l’ONU d’adopter un mode de développement durable, celui qui permet de répondre aux besoins actuels, sans compromettre la capacité des générations futures à satisfaire les leurs. L’utilisation à grande échelle par une population mondiale croissante des combustibles fossiles était déjà suspectée d’être responsable du dérèglement climatique dont on commençait à percevoir les effets. Ce qui n’était encore qu’une préoccupation entraîna la création du GIEC l’année suivante.

Depuis bientôt 35 ans, les scientifiques du GIEC confirment que la cause première du dérèglement climatique se trouve dans l’utilisation excessive de combustibles fossiles. La prise de conscience par la classe politique de la nécessité d’agir a été lente, très lente, trop lente. Alors que la plupart des dirigeants rivalisaient de lyrisme, discours après discours, en proposant des objectifs inatteignables de réduction des émissions de gaz à effet de serre, la concentration du CO2 dans l’atmosphère ne cessait de croître !

La France, sous l’impulsion initiale du Général de Gaulle, a choisi d’exploiter l’énergie nucléaire, alors que le climat n’était en rien dans les motivations. La violence du premier choc pétrolier amène le gouvernement à décider en 1973 de l’engagement d’un programme massif de construction de réacteurs nucléaires. C’est le plan Messmer qui va provoquer un développement industriel de haute technologie très important, assurer à nos concitoyens et à notre économie la garantie de disposer d’une électricité fiable et à coût modéré, et assurer à notre pays un taux d’indépendance énergétique inconnu jusqu’alors. La construction des 58 unités réacteurs à eau pressurisée (REP) en un temps record a été une performance exceptionnelle, reconnue dans le monde entier. La France est alors l’un des rares pays à maîtriser totalement l’ensemble des étapes du cycle du combustible. Dans le petit univers de l’énergie, la France apparaît comme le modèle à suivre.

Ce brillant parcours ne fut pas un chemin semé de roses ! Il a fallu l’exceptionnelle performance de nos techniciens et ingénieurs et une vision politique stable, au-delà des échéances électorales. C’est ainsi que François Mitterrand a maintenu pendant ses deux mandats le développement de cette énergie comme l’avaient voulu ses prédécesseurs. Le mouvement écologiste s’est développé en France dans sa dimension politique au cours des années 1970 et s’écartant de son idéal premier, c’est-à-dire la défense de la nature, il se renforce avec le rejet du nucléaire qui devient sa valeur de référence. Au fil du temps, la présence des « verts » dans la vie politique est de plus en plus marquée. Leur influence dans les choix politiques est grandissante, l’entrisme de leurs affidés leur donne accès à de hautes responsabilités dans les services de l’Etat, puis leur notoriété grandissante leur apporte l’onction du suffrage universel. Les petits arrangements partisans conclus entre le Parti socialiste et les écologistes avant l’élection présidentielle de 2012 sont lourds de conséquence, en confiant à des idéologues anti nucléaires des responsabilités ministérielles et parlementaires, et en actant le sabordage de Fessenheim.

Alors que la filière électronucléaire française faisait l’admiration de tous les pays, elle est aujourd’hui au bord du naufrage. En une dizaine d’années, sous la pression des soi-disant « écologistes », les gouvernements successifs ont mis en œuvre une politique anti-nucléaire qui, sans surprise, se révèle contraire à tous égards aux intérêts de la France. Car où trouver un résultat positif de cette politique ?

Dans la réduction des émissions de gaz à effet de serre ? A l’évidence non, remplacer une énergie décarbonée par une autre ne change rien à l’affaire.

Au redressement industriel du pays ? Au contraire. D’ailleurs, comment imaginer que les 2500 entreprises de la filière nucléaire auraient pu conserver leurs qualifications sans aucune commande pendant plus de 20 ans ?

Dans la santé des finances publiques ? Le fantasme des ENR a conduit à dépenser plus de 150 milliards de subventions pour obtenir la fourniture de quelques pour cent de notre consommation. Un résultat pitoyable mais attendu.

Dans l’équilibre de la balance du commerce extérieur ? Hélas, l’essentiel des équipements pour la production ENR est importé.

Dans une meilleure garantie d’approvisionnement en électricité ? Le caractère intermittent de l’éolien et du solaire déstabilise le réseau. RTE et l’AIE ont établi début 2021 qu’imaginer une électricité 100 % ENR relevait de l’utopie dans l’état actuel des connaissances et des techniques.

Dans la protection de l’environnement et de la biodiversité ? Là non plus, le compte n’y est pas : emprise au sol, impact sur la biodiversité et sur les paysages, conditions d’extraction des métaux rares nécessaires aux ENR, conditions de démantèlement recyclage, etc.

Je veux croire que ceux qui ont organisé cette déroute industrielle, économique, environnementale, pensaient le faire pour l’intérêt du pays, de l’environnement et de nos concitoyens. Il est affligeant de constater que, encore aujourd’hui, alors que le constat est flagrant, quelques responsables des ministères ou des administrations concernées s’obstinent dans leur aveuglement. Comment, sur un sujet éminemment technique et aussi stratégique pour l’ensemble de la Nation, une idéologie sans fondement scientifique peut-elle prendre une telle place ?

Nous vivons dans un monde de plus en plus technologique et le Parlement est amené à se prononcer sur des sujets faisant appel à des connaissances très spécifiques. En aucun cas, l’idéologie ne devrait remplacer la science. Pourtant, des lois aussi Ubuesques (pour ce qui touche à l’énergie) que la LTECV en 2015 ont été adoptées par le Parlement. Il fallait une force de conviction magistrale pour faire croire que l’on pouvait sans dommage arrêter 14 réacteurs nucléaires en 10 ans ! Et pourtant, la loi a été votée…

Comment aider nos parlementaires, les guider dans leurs choix, en leur apportant une information complète et objective sur des sujets ardus qu’ils connaissent mal, voire pas du tout ? L’OPECST fait un travail remarquable d’évaluation et on peut regretter que ses travaux ne soient pas mieux mis en valeur. La France est riche d’Académies scientifiques qui pourraient aussi être davantage sollicitées. Il existe à l’Assemblée et au Sénat suffisamment d’élus ayant une formation scientifique suffisante pour s’impliquer dans les dossiers les plus complexes. Une Commission parlementaire permanente dont l’objet serait les sciences, la recherche et l’innovation et dont une partie des membres constitueraient l’OPECST apparaît nécessaire au moment où la place des sciences devient essentielle face à la montée du relativisme et du post modernisme. La constitution fixant à 8 le nombre maximum de commissions permanentes dans nos assemblées, il n’y aurait aucune modification du règlement à conduire au Sénat mais, à l’Assemblée, il conviendrait de fusionner les commissions de la défense et des affaires étrangères ce qui a déjà été souvent évoqué. Une telle commission inclurait au mieux les connaissances scientifiques dans le travail législatif parlementaire.

Légiférer engage le pays tout entier. Je crois pouvoir le dire : c’est un art difficile. Seul l’intérêt général doit guider les décisions, et non les petits calculs partisans. L’histoire juge les responsables d’une politique à l’aune des résultats obtenus dans sa mise en œuvre. Avec l’exemple de la politique énergétique, certains sont condamnés d’avance ! 


*Vient de publier : Une affaire d’état - La tentative du sabordage du nucléaire français – Avec Chantal Didier - Hugo Doc – 135 pages