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Stade de France : le “carton jaune” des sénateurs

Début juillet, les sénateurs François-Noël Buffet (LR) et Laurent Lafon (UC) ont publié les conclusions de leur enquête sur les événements survenus au Stade de France le 28 mai dernier. Ils y soulignent en particulier la responsabilité de la préfecture ainsi que l’absence de coordination entre les différents organismes chargés de l’organisation de l’événement.

C’est le résultat de deux mois d’enquête mouvementés et très médiatisés qui sont désormais publics. Mais surtout, ce que souhaitent les deux sénateurs c’est que « ce rapport soit l’occasion de ne plus répéter les erreurs nombreuses commises dans la gestion des grands événements sportifs entre-autres » affirme le sénateur Laurent Lafon, co-rapporteur du rapport et président de la Commission des Affaires culturelles du Sénat. Aux côtés de François-Noël Buffet, qui est à l’initiative de l’enquête, il a auditionné de longues heures durant les différentes autorités concernées par l’organisation de la finale entre le Real Madrid et Liverpool. Du ministre l’Intérieur au préfet Lallement, à l’UEFA, en passant par les associations de supporters de Liverpool et de Madrid, chacun a pu être entendu et les différentes versions comparées. Cette enquête a débuté dans un contexte très polémique, dans la foulée des propos de Gérald Darmanin qui avait un peu trop rapidement rejeté la faute sur les « milliers de "supporters" britanniques, sans billet ou avec des faux billets [qui] ont forcé les entrées et, parfois, violenté les stadiers ».

Pour éviter qu’une telle situation ne se reproduise, François-Noël Buffet et Laurent Lafon ont émis quinze recommandations dans presque tous les domaines jugés « défaillants » le soir du match : la billetterie, la signalisation aux abords du stade, ou encore la sécurité sur les lieux du site. Autant de points qui ont été très largement visés pour leur mauvaise gestion, a posteriori, aussi-bien par les organisateurs privés – Fédération française de football (FFF), UEFA – que par la préfecture de police et le ministère de l’Intérieur, qui ont fini par reconnaître un « échec ».

Absence de coordination

Si les deux sénateurs souhaitent proposer des solutions plus que faire des reproches à l’administration, ils n’hésitent cependant pas à utiliser les mots justes pour qualifier son échec dans la gestion de l’événement : « les travaux menés par les commissions de la culture et des lois ont permis d’établir que les dispositifs mis en place comportaient des défaillances importantes concernant le renseignement [...] les voies d’acheminement des supporters, [...] et une communication insuffisante entre les acteurs ». Parmi les points soulignés, l’on trouve en particulier la mauvaise coordination des acteurs concernés par le sujet, en particulier le ministère de l’Intérieur, le préfet de police, la RATP et la SNCF, ou encore la Fédération française de football (FFF). Elle fut d’ailleurs défaillante à la fois pendant la préparation du match, mais aussi le jour même, alors que la situation commençait à se compliquer dès 12h00, soit neuf heures avant le coup d’envoi du match. Des délinquants étaient déjà en action, volant les supporters venus faire la queue très à l’avance. Les sénateurs jugent notamment que le plan de mobilité des supporters britanniques entre les RER B et D et le stade a été « défaillant », faute d’une anticipation des événements, en particulier la grève de cheminots du RER B, dont le préavis fut pourtant déposé une semaine avant le match. Les annonces de la RATP de se reporter sur RER D auraient entraîné un engorgement considérable des portes du stade proches de cette entrée et donc dépassé les services chargés du préfiltrage.

Le préfiltrage remis en cause

La gestion de la mobilité des personnes est au cœur de la controverse elle-aussi et a d’ailleurs fait l’objet d’une critique de Michel Cadot, délégué interministériel aux Jeux olympiques et paralympiques 2024 (Digoc) et auteur d’un rapport sur cette soirée du 28 mai au Stade de France. « Conçu pour prévenir les attaques terroristes débutent les sénateurs, le dispositif de préfiltrage mis en place par la préfecture de police a, dès lors qu’il s’est retrouvé combiné à un contrôle de validité des billets par les stadiers, créé un goulot d’étranglement au niveau de l’accès des spectateurs sortant du RER D ». Une situation justifiée par la préfecture de police, qui, dès le soir du 28 mai a mis en cause les nombreux supporters de Liverpool munis de faux billets, environ 10 000 à 15 000. Une version des faits très contestée, notamment sur l’ampleur de la fraude. Les sénateurs pèsent leurs mots, « ce sont les conditions mêmes créées par la préfecture de police et l’absence de réactivité suffisante qui sont les causes premières des incidents survenus lors du pré-filtrage ». Parmi les échecs pointés du doigt, François-Noël Buffet mentionne la mauvaise méthode de préfiltrage, expérimentée une seule fois auparavant et négligeant « le risque de délinquance sur le parvis entourant le stade ». Le retrait par ailleurs de la signalétique réorientant les supporters vers d’autres portes du stade en cas d’engorgement, le 23 mai – sur décision de la préfecture de police –, a rendu quasi inévitable l’engorgement aux portes X, Y et Z du Stade de France où devaient entrer les supportes de Liverpool. La présence de billets papiers pour les supporters de Liverpool – une décision de l’UEFA – a bien sûr accentué la lenteur des contrôles : « l’UEFA a involontairement contribué au blocage des points de contrôle » a regretté Laurent Lafon.

Une préparation qui a négligé les supporters

Au-delà du filtrage et du contrôle des billets, les rapporteurs dénoncent l’état d’esprit du ministère de l’intérieur dans la préparation de l’événement en amont et sa vision d’ensemble des supporters anglais souligne Laurent Lafon : « les auditions des associations de supporters ont mis en avant une organisation de sécurité du match fondée sur une vision datée des supporters britanniques, renvoyant aux hooligans des années 80 » déplore-t-il. Il va même plus loin en soulignant que « les responsables publics ont été presque exclusivement attachés à gérer sous l’angle du maintien de l’ordre les supporters sans billet », alors que ceux-ci « ont une habitude connue de venir soutenir leur équipe pour profiter de l’ambiance du match à l’extérieur ». Ces remarques vont dans le sens des propos des représentants des supporters de Liverpool, Ted Morris et Joe Blott, auditionnés au Sénat fin juin, qui s’étaient indignés du traitement infligé par la police aux supporters de Liverpool aussi-bien aux abords du Stade de France que dans la fan-zone de Vincennes. « L’analyse faite par le ministre de l’intérieur le soir et le lendemain du match n’était pas la bonne. C’était une analyse imprécise » ont sévèrement conclu les sénateurs.

Préparer les prochains Jeux Olympiques

Interrogés à plusieurs reprises sur leur désir de voir certains acteurs sanctionnés dans cette affaire, François-Noël Buffet a été clair : « ce n’est pas notre rôle, restons dans les prérogatives prévues par la Constitution ». Si l’objectif était de faire la lumière sur l’affaire et d’en définir les responsables, il y avait surtout une volonté d’éviter à l’avenir toute répétition d’un tel fiasco. Parmi les quinze recommandations émises par les sénateurs, il y a en particulier la nomination d’un responsable chargé de centraliser toutes les informations et de coordonner l’action des différents acteurs. « Nous serions favorables a plaidé Laurent Lafon à mieux distinguer les rôles de Diges et de délégué interministériel aux Jeux Olympiques et paralympiques (Digoc). Sinon, nous allons régulièrement nous retrouver dans la situation du 28 mai : impossible de trouver un responsable, chaque organisateur ayant une fonction différente et ne communication pas toujours avec les autres. Nous l’avons vu pendant l’enquête, personne n’a voulu se porter responsable à part entière des défaillances ». Ensuite, les sénateurs ont appelé le ministère de l’Intérieur à changer son regard sur les supporters et à accroître le dialogue avec leurs représentants. Enfin, parmi les autres mesures recommandées, l’imposition « au cas par cas » de la conservation des images de vidéosurveillance « dans les espaces accessibles au public », le jour des grands rendez-vous sportifs. Un moyen de faciliter les enquêtes en cas de nouveaux débordements et d’éviter l’écrasement trop rapide des images, comme cela s’est produit au lendemain des événements.

Interrogé en séance par Laurent Lafon lors des Questions d’actualité au Sénat, Gérald Darmanin s’est dit prêt à comparaître de nouveau devant les deux commissions et à prendre en compte toutes les recommandations du rapport. La Coupe du monde de Rugby de 2023 et les JO de 2024 seront certainement deux tests majeurs pour voir si le gouvernement et l’administration ont bien tiré les leçons du fiasco du 28 mai. 

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