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Les propositions du CAE pour combattre l’abstention

Le Conseil d’analyse économique (CAE), think-tank rattaché à Matignon, publie une analyse (1) sur les causes de l’abstention et avance des pistes pour lutter contre ce phénomène de grande ampleur.

“Notre premier devoir collectif est de faire reculer l’abstention” plaidait la première ministre Elisabeth Borne à l’issue du premier tour des élections législatives. Ce rapport du CAE, publié par les économistes Jean Beuve de l’université Panthéon-Sorbonne, Etienne Fize et Vincent Pons de Harvard, semble bien répondre à l’exhortation de la première ministre. Le taux d’abstention au lendemain des législatives est en effet historiquement haut : 52,49 % au premier tour, et 53,77 % au second.

Une abstention généralisée

L’abstention est un phénomène qui touche toutes les démocraties depuis la fin du XXème siècle. Le devoir civique du vote paraît concerner de moins en moins de personnes, même au niveau national. Le pays le plus touché par ce phénomène sont les Etats-Unis, où la participation aux élections n’a jamais excédé les 55 % et oscille depuis 1940 entre 50 % et 55 %. La Grande-Bretagne, dont le seul scrutin national est la General Election, se situe au même niveau que la France, avec une tendance ininterrompue à la baisse depuis 1940 jusqu’à 2020. Le taux de participation moyen est passé de 80 % environ il y a 80 ans à moins de 70 % en 2020. Enfin, en Italie et Allemagne, bien que les taux de participation soient encore massifs du milieu du XXème siècle à aujourd’hui – entre 80 et 95 % –, une baisse constante de la participation est enregistrée à partir des années 1970.

L’abstention et les jeunes

Les auteurs proposent une approche par tranches d’âge et de profession de l’abstention, qui est : « un phénomène concomitant de l’augmentation de l’abstention moyenne est le creusement des inégalités de participation ». Un objectif du rapport est de comprendre comment remobiliser les différentes catégories d’électeurs en France, les jeunes en particulier. Le premier constat est que les seniors (60-69 ans) sont ultra-majoritaires parmi les votants. Par exemple, au second tour les législatives de 2017, 90 % des seniors ont voté, alors que seulement 13 % des jeunes (18-25 ans) se sont mobilisés.

Crise de confiance

Sans surprises, le premier facteur à l’origine de l’abstention en France, est bien le manque d’intérêt pour le vote. En cause, « le fait que les dernières décennies aient été caractérisées par un contexte économique souvent déprimé [...] et par l’augmentation du nombre d’individus en situation précaire » souligne-t-il. La note s’appuie d’ailleurs sur une étude du CEVIPOF de janvier 2022, qui interroge plus de 10 000 personnes sur l’intérêt que portent les politiques pour eux. Vincent Pons, en commentant les données de l’étude, constate que « depuis la fin des années 2000, les Français pensent très majoritairement que les politiques se préoccupent « peu » ou « pas du tout » d’eux. C’est le cas de 77 % d’entre eux en 2022, contre 42 % en 1977. » Ce sentiment de désintérêt des politiques pour leur électorat se rajoute à celui de l’insuffisance de l’offre politique, ainsi qu’à l’impression que les gouvernants ont moins d’influence sur la vie des individus, « en raison de la mondialisation et de l’intégration européenne ». Nombreux sont en effet les sujets traités au niveau de l’UE, en particulier sur la question monétaire.

Coût du vote

L’autre analyse relativement nouvelle, est la relation entre l’abstention et le coût – en temps en particulier – que cela représente : « le coût de l’inscription est plus important en France qu’à l’étranger » soulignent les économistes. En France, l’inscription sur les listes électorales « doit être effectuée par les citoyens eux-mêmes et doit être actualisée après chaque déménagement ». A l’inverse, chez nos voisins, l’inscription sur les listes électorales « est réalisée par l’administration de façon automatique » Cette première complication, liée à la nécessité de se réinscrire sur les listes électorales en cas de déménagement, serait à l’origine d’un taux de « mal-inscrits » de « 40 % chez les 25-29 ans en 2017 contre 7 % seulement chez les plus de 65 ans. »

Simplifier et éduquer

Les auteurs préconisent de « simplifier les démarches d’inscription et de modification, en inscrivant automatiquement tous les Français de plus de 18 ans, quelle que soit leur situation particulière, et, surtout en réinscrivant automatiquement tous les Français après chaque déménagement, comme c’est le cas dans la plupart de nos pays voisins. » Ensuite, renforcer l’éducation civique dans les établissements, trop souvent étudiée en complément des matières d’histoire-géo. Enfin, ils mentionnent la mise en place du vote à 16 ans, qui « pourrait, faciliter l’apprentissage démocratique ». Cette mesure « mériterait au moins d’être débattue sérieusement » préconise Jean Beuve. L’option du vote obligatoire n’est pas retenue, malgré son intérêt financier. 

1. Jean Beuve, Étienne Fize et Vincent Pons, « Focus, Les absents ont toujours tort, Une analyse économique de l’abstention et de ses remèdes », N° 085‐2022, Juin 2022, CAE.

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