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“La maîtrise des fonds marins est un des nouveaux domaines d’intervention prioritaires pour notre ministère”

Entretien avec le capitaine de vaisseau Eric Lavault, porte-parole de la Marine nationale

Avec la guerre en Ukraine, la menace russe de couper l’internet en s’attaquant aux câbles sous-marins est-elle une hypothèse prise en compte par nos armées ? Avec quelles conséquences ? Et comment y répondons-nous aujourd’hui ?

La Russie, comme d’autres puissances, était déjà déterminée à investir ce nouvel espace de compétition. Le contexte ukrainien n’a pas spécifiquement renforcé cette dynamique. Les câbles font évidemment partie des installations sensibles à surveiller et protéger notamment aux points d’atterrissement à terre.

En février 2022, nous avons mené une démonstration de capacité consistant en la surveillance d’un câble sous-marins au large des côtes françaises à l’aide des moyens de la Marine nationale et de notre partenaire de confiance, l’Institut Français de Recherche pour l’Exploitation de la MER (IFREMER). Cette démonstration a été l’occasion de conforter nos savoir-faire par grande profondeur et d’affirmer notre position face à nos compétiteurs.

Y’a-t-il eu des précédents et/ou des menaces déjà traitées par la Marine ?

La présence d’un bâtiment océanographique suspect au large des côtes irlandaises à l’été 2021 n’est pas passée inaperçue.

Il ne faut cependant pas généraliser, les atteintes aux câbles sous-marins ne sont pas toutes intentionnelles et malveillantes. Un câble peut par exemple être endommagé par un éboulement sous-marin ou un engin de pêche.

La véritable difficulté réside dans l’attribution d’actions potentiellement malveillantes dans un environnement, les fonds marins, particulièrement propice aux actions hybrides. La multiplicité des acteurs en mer et la dissimulation de leurs intentions au sein d’actions au demeurant non offensives comme la pêche ou la recherche océanographique est un véritable sujet.

Pouvez-vous nous rappeler en quoi un câble sous-marin est stratégique et comment pouvons-nous les protéger ?

Après plusieurs décennies de croissance exponentielle, les échanges de données numériques sont devenus incontournables dans le quotidien de nos sociétés modernes. Les câbles sous-marins représentent la couche physique du cyberespace. Un câble sous-marin est stratégique car il constitue une véritable « autoroute de l’information numérique ».

La redondance des réseaux permet à internet d’être particulièrement résilient, il convient cependant de prévenir des coupures à des points stratégiques qui pourrait amener à l’isolement numérique d’un ou plusieurs territoires, pensons notamment à nos territoires ultra-marins.

La surveillance de ces installations dans le cadre de la défense maritime du territoire (DMT) passe avant tout par une surveillance faisant appel à l’humain. Prochainement, elle sera complétée par des drones sous-marins autonomes faisant appel à des capteurs performants et à l’intelligence artificielle.

La DMT mobilise de nombreux acteurs dont la chaîne sémaphorique, les aéronefs de patrouille, surveillance, et intervention maritime (PATSIMAR), des unités de fusiliers marins et bien évidemment notre force navale. La CEllule Plongée Humaine et Intervention Sous la MER (CEPHISMER) de la Marine est capable d’opérer à de grandes profondeurs, elle concentre l’expertise opérationnelle et des moyens d’intervention robotisés (robots sous-marins télé-opérés).

Comment la nouvelle stratégie ministérielle de maîtrise des fonds marins a pris en compte cette dimension et sur quoi vont porter les efforts ?

La maitrise des fonds marins (Seabed Warfare) est un des nouveaux domaines d’intervention prioritaires pour notre ministère. La stratégie ministérielle de maîtrise des fonds marins annoncée par la ministre le 14 février dernier prend acte de la montée en puissance des actions de nos compétiteurs, notamment autour des installations sous-marines sensibles que sont les câbles sous-marin.

L’émergence de technologies nouvelles (robotique sous-marine, énergie embarquée, intelligence artificielle, etc.) a nécessité l’adaptation de notre approche opérationnelle, nous appréhendons ces menaces selon le triptyque « connaître, surveiller, agir ».

Ce changement de portage s’adosse à une feuille de route capacitaire à même de conforter notre capacité à maîtriser les fonds marins, selon une logique d’efficacité opérationnelle et de juste besoin en tirant parti des ruptures technologiques permettant d’atteindre 6000 m de profondeur. Cette capacité donne accès à la quasi-totalité des fonds marins, en effet la profondeur moyenne des océans est de 3 800 m.

Cet effort devra s’accompagner du développement d’une Base industrielle et technologique de défense (BITD) française capable d’honorer le besoin. Elle permettra de garantir notre autonomie stratégique en continuant à développer souverainement, et/ou avec nos partenaires de confiance et alliés, des moyens novateurs. 

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