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Guerre en Ukraine : le casse-tête chinois des relations avec la Russie

Refusant de condamner l’intervention russe en Ukraine, la Chine maintient une position en demi-teinte sur les sanctions économiques.

“La Chine n’est pas partie prenante à la crise ukrainienne et veut encore moins être affectée par les sanctions”. Le message délivré par le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, lors d’une entretien téléphonique avec son homologue espagnol José Manuel Albarès et relayé par l’agence Chie nouvelle ne laisse que peu de place aux interprétations. La Chine joue d’abord et avant tout la carte… chinoise. « La Chine a le droit de sauvegarder ses droits et ses intérêts légitimes » a-t-il insisté. Des propos qui inquiètent les Etats-Unis qui scrutent jour après jour les réactions chinoises de peur de voir afficher un trop grand soutien à la Russie, ce qui pourrait mettre à mal l’efficacité des sanctions économiques imposées à la Russie par le camp occidental. « La position d’alignement de la Chine avec la Russie » dans le conflit ukrainien est « extrêmement préoccupante » a estimé une haute responsable de la Maison Blanche après les entretiens qui se sont tenus à Rome le 14 mars dernier entre le conseiller à la Sécurité nationale américain Jack Sullivan et Yang Jiechi, le plus haut responsable de la diplomatie du PCC.

Depuis le début du conflit ukrainien, les Chinois ne cessent de souffler le chaud et le froid sur leurs intentions, créant une incertitude troublante à l’opposé de la détermination occidentale. Mais peut-il en être autrement au vu des relations économiques solides établies entre les deux pays depuis des décennies. Selon les données du ministère chinois du Commerce, la Chine est le premier partenaire commercial de Moscou depuis une douzaine d’années. La Russie n’est elle que le 18ème partenaire commercial de Pékin. En 2021, la Chine a acheté pour 79,3 milliards de dollars de biens et produits russes, soit 3 % des importations chinoises. La République populaire a dans le même temps vendu à Moscou pour 67,6 milliards de dollars, soit 2 % des exportations chinoises. La Chine a acheté essentiellement à la Russie des hydrocarbures et des matières premières comme du bois et des métaux et des céréales. Moscou livre en moyenne et par jour à la Chine 1,59 million de barils, soit 16 % du pétrole chinois. Le gaz naturel russe représente 5 % de la consommation chinoise. Dans ce domaine, la Russie et la Chine n’ont eu de cesse, ces dernières années de développer leurs échanges. Depuis 2019, un important gazoduc (Sila Sibri, « Force de Sibérie ») construit dès 2014, après l’invasion de la Crimée, relie les deux pays. En 2021, via ce gazoduc, 16,5 milliards de m3 ont été livrés à la Chine. Un nouvel accord et un nouveau pipe-line (Sila Sibri 2) qui devrait entrer en activité en 2030 et qui passera cette fois-ci par la Mongolie prévoit la livraison de 10 milliards de m3 supplémentaires par an pendant 20 à 30 ans. A noter encore que Rosneft, deuxième plus grand producteur de pétrole russe après Gazprom a signé un accord avec le chinois CNPC pour la livraison de 100 millions de tonnes de pétrole brut sur 10 ans. Pour autant et selon plusieurs économistes, les livraisons au monde asiatique ne devraient pas suffire pour compenser les pertes liées aux exportations avec l’Europe. Il semblerait même que Poutine espérait plus.

La Chine ne commerce pas seulement avec la Russie, elle est également le premier partenaire commercial de l’Ukraine qui se trouve être sur l’itinéraire des nouvelles routes de la soie lancées par Xi Jinping et auxquelles elle participe depuis 2017. L’Ukraine fournit elle aussi essentiellement des matières premières comme des métaux et des céréales (orges, huile de tournesol, maïs). Selon les chiffres des douanes chinoises, 29 % des importations chinoises de maïs viennent d’Ukraine. Elles servent à nourrir les porcs, dont la viande est très largement consommée en Chine. Pour faire face à cette rupture d’approvisionnement, la Chine cherche à diversifier ses sources d’approvisionnement. Elle a notamment annoncé avoir levé les restrictions aux importations de blé russe mises en place jusque-là pour des raisons phytosanitaires. Une mesure tout aussi vitale que symbolique. « La Chine et la Russie continueront à mener une coopération économique et commerciale normales dans un esprit de respect mutuel d’égalité et de bénéfice » a donc confirmé Zhao Lijian, porte-parole du Ministère des Affaires étrangères chinois le 14 mars dernier tout en avertissant les Etats-Unis « de ne pas nuire aux intérêts de la Chine ». Des propos qui ont fortement déplu aux Américains qui ont « très clairement » fait savoir à Pékin qu’ils « ne resteraient pas sans rien faire ». « Nous ne laisserons aucun pays compenser les pertes subies par la Russie » en raison des sanctions occidentales a réaffirmé le porte-parole du département d’Etat américain. La prudence reste de mise. 

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