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L’invasion de l’Ukraine annoncée par deux députés

L’invasion de l’Ukraine était prévisible. Elle avait été prédite par les autorités estoniennes à deux députés de la commission de la défense en mission dans le pays fin novembre. Le rapport* de Jean-Charles Larsonneur et Charles de la Verpillère qui faisant alors état de plusieurs foyers de tensions dans la région a été publié seulement quelques heures avant l’offensive russe.

Tout était donc écrit. « Une intervention en Russie aura lieu en février ». L’invasion de l’Ukraine avait été annoncée à Jean-Charles Larsonneur et Charles de la Verpillière, tous deux députés (1) par leurs collègues parlementaires et le ministre de la défense d’Estonie lors d’un déplacement à Tallin fin novembre. Pour ces voisins de la Russie, il ne faisait aucun doute que cela arriverait. Les indices concordants étaient trop nombreux pour ne pas déboucher sur un conflit armé, constateront à leur tour les deux députés français qui s’étaient vu confier par la commission de la défense une mission d’information sur « les enjeux géopolitiques et de défense en Europe de l’Est ». « Le 22 novembre, tous nos interlocuteurs estoniens nous ont annoncé que la Russie attaquerait en février, après les jeux olympiques d’hiver ! Un peu surpris, nous avons, bien entendu, rendu compte à Paris. Puis les évènements se sont précipités : crise migratoire déclenchée par la Biélorussie ; menaces de plus en plus pressantes de la Russie à l’encontre de l’Ukraine… » racontait Charles de la Verpillière dans un entretien qu’il avait accordé à la Revue parlementaire en début d’année. Et si les tensions étaient déjà vives à la frontière russo-ukrainienne lors de la création de la mission, les élus expliquaient avoir « eu le sentiment, un peu frustrant de courir en permanence derrière les événements ».

Les événements, annonciateurs d’orage, qui ont concourus à la guerre russo-ukrainienne étaient donc bien identifiés par le rapport parlementaire. Il en est ainsi de la crise migratoire orchestrée par la Biélorussie. Une provocation d’Alexandre Loukachenko qui était « sa » réponse aux menaces de sanctions européennes contre son pays. L’objectif du dirigeant biélorusse était de susciter un débat sur les sanctions à l’encontre de la Biélorussie et de créer une scission entre membres de l’UE. Pour Jean-Charles Larsonneur, « ces deux objectifs n’ont pas été atteints ». Mais si la situation s’est stabilisée, « elle n’est en réalité que gelée » insiste-t-il. « Cette épée de Damoclès continue de peser sur nos têtes, et le jour où Alexandre Loukachenko voudra relancer la crise en faisant venir des migrants en masse, il n’hésitera pas à le faire » avertit-il.

Un autre foyer de tensions se situait en mer Noir et en mer d’Azov, zone de transit stratégique, au cœur des enjeux énergétiques (environ 3 millions de barils de pétrole en provenance de Russie, d’Ukraine et du bassin caspien y transitaient chaque jour). Plusieurs incidents ont opposé les forces ukrainiennes aux forces russes dans la zone décrivent les élus. Pour Charles de la Verpillière, « la remontée en puissance de la Russie en mers Noir et d’Azov s’inscrivait dans la volonté de Vladimir Poutine d’un renouveau national intégrant un volet naval ». Il fallait aussi noter l’empreinte militaire russe dans la région qui n’a cessé de grandir ces dernières années : doublement des effectifs militaires en Crimée (28 000 soldats) et l’arrivée de chars et d’avions en nombre. Clairement, la Russie souhaitait faire de la mer d’Azov une mer russe tout en renforçant sa domination sur la mer Noire. Et « la remilitarisation de la Crimée » l’aidait « évidemment dans cet objectif ».

Le troisième foyer de tension décrit dans le rapport est celui de la crise dans le Donbass qui est pour les rapporteurs « directement liée au contenu des accords de Minsk » allègrement violé par les deux parties et qui ont fini par voler en éclat après la reconnaissance par Vladimir Poutine de l’indépendance des deux républiques autoproclamées de Donetsk et de Lougansk et leur occupation par les troupes russes.

L’engrenage était en place. Mais au moment de leur présentation en commission, l’offensive en Ukraine n’avait pas été lancée et les députés ne pouvaient alors que faire ces quelques constats et évaluer les risques d’escalade. Mais il ne faisait cependant aucun doute que tout cela allait déboucher sur un conflit armé. Avec les activités en mers Noir et d’Azov, en mer Baltique, une politique de surmilitarisation de Kaliningrad, le retrait du traité sur les forces nucléaires intermédiaires, du traité sur les forces conventionnelles en Europe et du traité « Ciel ouvert », l’intégration croissante de la Russie et de la Biélorussie sur le plan militaire, l’invasion de l’Ukraine n’était que « le prolongement logique et prévisible, qui s’inscrit dans une stratégie globale de la Russie pour étendre son influence et retrouver le prestige et la puissance qu’elle estime avoir perdue depuis la chute de l’URSS ». « En l’occurrence, les démocraties occidentales ont manifestement sous-estimé la détermination de Poutine, à la fois conscient du déclin de son pays et désireux de retrouver les frontières de l’ancienne URSS. Il est regrettable en particulier que le processus de Minsk n’ait pas été poursuivi. Nous avons également fait preuve de faiblesse en ne réagissant pas à l’annexion « de facto » de la Crimée » commentait en entretien Charles de la Verpillière.

Alors pourquoi ne pas être intervenu plus tôt pour désamorcer la situation se demande-t-on ? « Il est toujours facile et tentant après coup de dire ou d’écrire qu’un évènement était prévisible. L’histoire nous enseigne cependant qu’un dictateur est toujours enclin – ou contraint dans une forme de fuite en avant – à poursuivre son avantage tant qu’on ne lui résiste pas : c’est la « stratégie de la baïonnette » évoquée dans le titre du rapport. Les démocraties se trompent lorsqu’elles croient amadouer un dictateur en lui faisant des concessions : c’est l’esprit de Munich, dénoncé par Churchill. « Vous aviez le choix entre la guerre et le déshonneur. Vous avez choisi le déshonneur et vous aurez la guerre ! » » nous avait répondu Charles de la Verpillière. Celui qui n’avait pas souhaité se représenter plaidait alors pour que « l’effort de réarmement des démocraties » soit « poursuivi et amplifié » et pour que les sanctions ne soient pas levées « avant l’achèvement des négociations et l’évacuation du territoire ukrainien par les troupes russes »


*Rapport d’information n°5113 en conclusion des travaux d’une mission d’information sur les enjeux géopolitiques et de défense en Europe de l’Est – 23 février 2022


(1) Charles de la Verpillière, député de la 2ème circonscription de l’Ain, était élu depuis 2007. A 68 ans, il a souhaité passer la main. Jean-Charles Larsonneur a été réélu député de la deuxième circonscription du Finistère, Brest-centre.

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