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“Bouts de France… atouts pour la France !”

Par Philippe Folliot, Sénateur du Tarn, Membre du Conseil consultatif des TAAF*

Voir un lever de soleil, seul, dans le frimas de l’île Haute aux Kerguelen, fut pour moi un moment unique pour ne pas dire magique. Ces îles australes ont quelque de chose de si particulier… Depuis 250 ans et leur découverte par le chevalier de Kerguelen, toutes celles et ceux qui les ont approchées et parcourues ont éprouvé ce sentiment de différence mais aussi de plénitude qui les caractérise.

À l’époque déjà, ce n’était pas le « troisième monde » et le chevalier ne fut pas un nouveau Christophe Colomb, ni même un nouveau Jacques Cartier découvrant un autre Canada, tant ces terres lui parurent inhospitalières. Éole est roi en son monde et il décoiffe autant qu’il fascine.

Habitées épisodiquement, comme nous le rappellent les vestiges de « Péjida » (port Jeanne d’Arc), ces terres sont restées à l’écart du monde. Elles sont une forme de sentinelle écologique des temps anciens, où la main de l’Homme n’a agi qu’avec parcimonie.

Cependant, comme la nature, la géostratégie et la souveraineté ont horreur du vide. C’est pour remédier à cela que fut votée à l’unanimité, le 14 avril 1949, une loi pour pérenniser la présence française sur leur sol, suivie quelques mois plus tard par le début de la construction de la base scientifique de Port-aux-Français. Puis, en 1955, fut créée l’administration des Terres australes et antarctiques françaises (Kerguelen, archipel des Crozet, Saint-Paul et Amsterdam) auxquelles ont été adjointes en 2007 les îles Éparses et Tromelin.

Au-delà de la fierté légitime de voir le drapeau tricolore flotter sur ces contrées, les TAAF constituent près du quart de notre zone économique exclusive, la plus importante au monde avec les États-Unis. Cela permet à notre pays de pouvoir afficher « à bon compte » d’impressionnantes superficies et de beaux pourcentages d’aires marines protégées, tant il est plus facile de le faire dans ces mers lointaines et peu fréquentées que dans le golfe de Gascogne ou du Lion !

L’intérêt écologique de ces terres et mers éloignées est évident et l’idée d’un développement économique ou plutôt d’une certaine valorisation responsable des ressources ne devrait pas être taboue, à l’instar de la légine des Kerguelen ou de la langouste d’Amsterdam. Ne pourrait-on pas imaginer pour les Kerguelen un agneau bio de l’île Longue, une algue appellation d’origine protégée du Golfe du Morbihan, ou un whisky IGP made in La Possession, sans parler du prometteur gaz de Juan de Nova ?

En fait, ces « bouts de France » sont une chance et un atout exceptionnels pour notre pays. Mais aussi, ce réseau de bases scientifiques constitue un formidable outil au service de la recherche et du progrès des connaissances. Dans un monde toujours aussi incertain et dangereux, ces points d’ancrage confortent plus encore la vision d’une France, non européenne et continentale, mais mondiale et maritime.

Il y a peu, avec deux de mes collègues, Annick Petrus et Marie-Laure Phinera-Horth, dans le cadre de la Délégation sénatoriale aux outre-mer, nous avons rendus un rapport intitulé « Les outre-mer au cœur de la stratégie maritime nationale » et les TAAF font pleinement partie des enjeux et préoccupations de cette stratégie.

Cependant, si j’ai bien un regret à exprimer, pour ne pas dire une colère, c’est que les autorités françaises dédaignent toujours autant l’homologue pacifique des TAAF qu’est l’île de La Passion-Clipperton. Pourtant cet atoll est au cœur d’un océan qui va cristalliser de nombreux enjeux géostratégiques au cours du XXIème siècle.

Transposer le modèle des TAAF sur cette île n’est pas un luxe mais une impérieuse nécessité et j’espère que le récent vote, à mon initiative, d’un article dans la loi dite « 3DS » permettra enfin d’esquisser des perspectives à son sujet.

Ces laboratoires de préservation d’écosystèmes originaux et singuliers que sont les TAAF et l’atoll de la Passion-Clipperton, sont évidemment à préserver. Mais pour que cela dure, il faut que les terres australes se méritent et puissent rester un de ces derniers endroits au monde inaccessibles en avion, afin que s’y rendre demande ce quelque chose de si précieux dans notre monde à la course effrénée : le temps ! 


*Auteur de « France-sur-Mer, un empire oublié », Les Éditions du Rocher, 2009 et de « La Passion-Clipperton : l’île sacrifiée », La Bibliotèca, 2018.

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