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“Sous cette mandature, l’Assemblée a pleinement exercé ses prérogatives”

Devant l’Association des Journalistes Parlementaires (AJP), le président de l’Assemblée nationale, Richard Ferrand a dressé un bilan de la législature et esquissé des pistes de réforme pour améliorer encore le travail parlementaire.

“Oui, j’ai la conviction que sous cette mandature, l’Assemblée nationale a pleinement exercé ses prérogatives” s’est félicité le président de l’Assemblée nationale invité par l’Association des Journalistes Parlementaires fin février en clôture de la législature. Richard Ferrand (LREM, Bretagne) a par exemple tenu à rappeler que le nombre d’amendements avait bondi sous ce quinquennat avec plus de 200 000 examinés. Une hausse de plus de 77 % par rapport à la législature précédente qui, entre 2012 et 2017 avait vu seulement 112 700 amendements déposés. Pour autant, amendements déposés ne veut pas dire amendements votés. En cinq ans, seuls 16 084 ont été adoptés en séance publique, soit une baisse de 14,6 % par rapport à la législature précédente. Les amendements adoptés ont été plus nombreux en commissions avec plus de 17 800 qui ont été adoptés par leurs soins (+10 %). Certains esprits critiques se sont toutefois demandés si cette explosion d’amendements ne pouvait pas aussi être le fruit d’une quête au bon classement sur des sites comme « nosdeputes.fr »… Seuls les dépositaires pourraient répondre.

« Le nombre de rapports, de missions d’information, de travaux d’évaluation, de commissions d’enquête a atteint une intensité jusque-là inégalée » a poursuivi Richard Ferrand et comme le montrent les chiffres. Sous cette législature, 25 commissions d’enquête ont pu mener leurs travaux contre 17 sous la précédente mandature. Ceci s’explique aussi par le nombre record de groupes politiques sous la Vème République (1), chaque groupe ayant droit à la création d’une commission par an. Les sujets de fond (indépendance du pouvoir judiciaire…) comme les sujets d’actualité (Lactalis, chlorodécone…) ont ainsi fait l’objet de commissions d’enquête. Une seule n’est pas allée au bout, la commission d’enquête sur l’affaire Benalla en 2018 ; son corapporteur Guillaume Larrivé (LR) en ayant démissionné après avoir dénoncé « une parodie ».

Le droit des oppositions renforcé

« Grâce aussi à la réforme du règlement que j’ai proposée et qui a été adoptée par cette Assemblée, le droit des oppositions a été considérablement renforcé » a déclaré avec satisfaction le président Ferrand : « Le nombre de questions au gouvernement (QAG) a doublé pour les oppositions et a précisément diminué de moitié pour la majorité ». « De même, nous avons fait en sorte que lorsqu’une commission d’enquête est décidée, le groupe qui en est à l’origine a le droit de choisir la fonction clé de rapporteur, celui qui tient la plume, plutôt que celle de président ». Enfin, il a également souligné le fait qu’il ne puisse plus y avoir à l’égard des propositions de loi « des motions de rejet préalable ou des renvois en commission ».

« Il me semble que tout cela a densifié le travail des parlementaires » a défendu le président de l’Assemblée selon qui, « les grands engagements pris par la majorité parlementaire ont été tenus » même « si tout n’a pas été fait » nuance-t-il. Si « seuls » 134 projets de loi ont été adoptés par le Parlement et 106 propositions de loi, soit un recul de 11,6 % pour les projets de loi et de 3,6 % pour les propositions de loi par rapport à la dernière législature, cela s’explique par un ordre du jour largement monopolisé par l’épidémie de Covid-19 et ses textes d’urgence sanitaire et économique.

Réinterroger le cumul des mandats

« Amateurs, godillots, arrogants », « toutes ces critiques contre les députés de la majorité sont injustes » a corrigé Richard Ferrand qui admet humblement une certaine forme d’arrogance à leur début : « le succès crée parfois l’arrogance. C’est le propre de toutes les majorités débutantes ». Il s’est surtout élevé contre la critique d’amateurisme que l’on a accolée à la majorité présidentielle à son arrivée. « C’est scandaleux. On ne peut pas à la fois se réjouir que des citoyens qui n’ont pas 20 ans de pratique politique s’engagent et décident du plus grand renouvellement de la majorité depuis 1958 et leur reprocher ensuite qu’ils ne savent pas faire. Comme tout le monde, ils apprennent le travail et ils l’ont bien fait ». « La mandature a démontré leur engagement, leur assiduité et ils ont accompli un remarquable travail dans le dialogue et l’unité » a-t-il tenu à faire reconnaître. Le président de l’Assemblée nationale a toutefois admis qu’il pouvait y avoir eu de la part de quelques-uns de ses collègues une « certaine insatisfaction ». « Beaucoup venant de l’action concrète, parce qu’issus de la vie professionnelle ou parce qu’élus avaient une attente de faire plus concret. Or, ici à l’Assemblée, ce que l’on fait peut parfois paraître abstrait. Si nous produisons des dispositions qui ont certes des effets concrets, cela ne se voit pas immédiatement sur le terrain. Alors, oui, il peut y avoir une certaine insatisfaction mais elle est aujourd’hui parfaitement assumée et intégrée ».

Pour l’élu de Bretagne, cette façon d’appréhender le travail parlementaire soulève aussi la question de l’interdiction de cumul avec des exécutifs locaux. « Peut-être faudra-t-il réinterroger cela ? » comme le fait que « l’on puisse être aujourd’hui maire, président d’agglomération et vice-président d’un conseil régional ». « On voit bien qu’il s’est fait un déséquilibre sur l’action territoriale entre des parlementaires interdits d’exécutifs locaux et des cumuls importants de fonctions locales » estime-t-il. Tout en ne se déclarant pas pour « la réinvention du député-maire ou du député-président », Richard Ferrand trouve légitime de se réinterroger sur « la capacité pour un parlementaire de faire partie d’un exécutif local sans en être à la tête ». Une réflexion qu’il espère voir mise à l’étude à l’occasion de la prochaine législature.

Renforcer les liens entre les citoyens et les politiques

Interrogé sur ce qui pourrait être envisagé pour que le Parlement soit plus représentatif, le président de l’Assemblée a d’abord répondu sur la proportionnelle reconnaissant que c’était « une proposition du candidat Macron restée à quai avec la réforme constitutionnelle ». Favorable à une dose de proportionnelle dans le mode de scrutin, Richard Ferrand se demande toutefois si elle garantit vraiment la représentativité des sensibilités lorsque les candidats sont désignés par les partis. Et puis la proportionnelle « à quelle dose ? Tout cela mérite un travail en profondeur » tempère Richard Ferrand. Il juge par ailleurs que toucher au scrutin « crée toujours un soupçon. Et vue l’ambiance générale qui est au soupçon, en ajouter un autre n’est pas forcément ce qu’il y a de plus urgent à traiter ».

Pour rapprocher le parlementaire des citoyens pendant toute la durée du mandat, Richard Ferrand milite pour un « grand débat permanent ». « Si, sur un texte de loi, on pouvait nommer suffisamment en amont les rapporteurs, les orateurs des groupes parlementaires, il pourrait alors être intéressant qu’ils partent en mission pour rencontrer les acteurs des territoires ; qu’ils fassent un tour de France pour être au contact de la population et qu’il y ait de vrais débats sur la législation du quotidien et non pas seulement sur les sujets polémiques ».

Enfin, Richard Ferrand dit « avoir beaucoup travaillé avec le président Bernasconi pour voir comment le CESE pourrait davantage être saisi de textes d’enjeux et comment il pourrait accueillir plus de pétitions » avant de conclure lucidement « la clef de tout ça est la qualité de l’offre politique et de ceux qui l’incarnent »

(1) Au début de la législature, l’Assemblée comptait 7 groupes (contre 6 en 2012) : LREM et MoDem pour la majorité, LR, UDI, PS, PCF et LFI pour l’opposition. En 2018 est créé le groupe « Libertés et territoires ». En mai 2020, le groupe « Ecologie Démocratie Solidarités » (EDS) est formé avec d’ex-LREM. Création aussi du groupe « Agir ensemble ». En octobre 2020, EDS disparaît.

L’Assemblée nationale a enregistré plus de 6 070 heures de séance publique depuis juin 2017 contre 5 293 heures sous la précédente législature. Soit 10 % de journées de séances supplémentaires (728 jours contre 664).

Plus de 200 000 amendements déposés sous ce quinquennat (contre 112 700 entre 2012 et 2017). Seuls 16 084 ont été adoptés en séance (-14,6 %).

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