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Les Français et l’Assemblée nationale

Les conclusions de la grande enquête « Les Français et l’Assemblée nationale. Perception du mandat et du travail des députés »* ont été rendues publiques le 23 novembre dernier. Les résultats ont été décryptés par la Fondation Jean Jaurès et la Fondation pour l’innovation politique.

Il aura fallu attendre 36 ans pour que l’Assemblée nationale interroge à nouveau les Français sur ce qu’ils pensent de l’institution et des députés qui la composent. La dernière enquête sur l’Assemblée nationale remonte en effet à 1985. Depuis les choses ont bien changé. « Il était donc indispensable de rafraîchir nos connaissances » reconnaît Richard Ferrand, le président de l’Assemblée nationale, inquiet toutefois de ces résultats qu’il juge « préoccupants ». Et ce d’autant plus que l’on vit une période compliquée avec une « remise en cause profonde de la démocratie représentative » (injures, violences, abstention record…). Mais comme l’a dit Jean Jaurès cité par Richard Ferrand, qui est à l’origine de cette enquête, « le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ». « Ignorer les résultats eut été irresponsable » a-t-il ajouté devant un petit parterre de députés présents à l’Hôtel de Lassay pour entendre ce que les Français pensent d’eux.

Plusieurs chiffres sont alors à retenir. Interrogés, les Français ont en effet répondu à 44 % qu’ils n’avaient pas confiance dans l’Assemblée nationale, loin derrière les institutions incarnant l’autorité et l’ordre (police, gendarmerie, armée). Premier choc. Premiers brouhahas. Et si 59 % déclarent que l’Assemblée nationale est utile, 4 Français sur 10 la jugent néanmoins « pas utile ». Mais « le comparatif par rapport à l’enquête de 1985 est particulièrement douloureux, puisqu’ils étaient 80 % en 1985 à reconnaître l’utilité du rôle de l’Assemblée nationale » précise sans plaisir Julie Gaillot, qui a coordonné l’enquête pour l’Institut CSA. Est-ce parce que 61 % d’entre eux se disent « mal informés » sur l’Assemblée nationale ? Peut-être. 50 % admettent ensuite connaître leur député (62 % en 1985) contre 49 %, dont 23 % que ne le connaissent pas et en prime qui ne souhaitent pas particulièrement en entendre parler. En 1985, 62 % déclaraient le connaître. Pour autant, « 50 % c’est une bonne nouvelle » rassure Gilles Finchelstein, directeur général de la Fondation Jean Jaurès… si l’on tient compte de l’abstention en forte hausse et d’un désintérêt déclaré pour la politique en générale (48 % des sondés disent ne pas s’intéresser à la politique). A noter également que les DROM (à part la Réunion) font montre d’une meilleure connaissance de leur député (jusqu’à 67 % en Guyane). Comme en 1986, un tiers des Français ont été en contact avec leur député, avec une proximité plus élevée dans les communes rurales (34 %). « La place de l’Assemblée nationale dans le débat public s’est érodée » constate amèrement Gilles Finchelstein.

Si le député apparaît comme le 2ème élu préféré des Français (35 %) derrière le maire (61 %, + 10 points), ce chiffre est en très net recul par rapport à 1986 (54 %). Enfin, la moitié des Français se déclarent satisfaits du travail des députés (50 %), mais assez étonnement, ce sont les jeunes qui se déclarent les plus satisfaits : 61 % dans la tranche 18-24 ans.

Autre choc pour l’institution, l’information délivrée par l’enquête selon laquelle, 13 % des Français approuvent les comportements violents à l’égard des députés et de leurs collaborateurs ; 60 % comprennent le mécontentement, sans pour autant cautionner la violence.

Un autre chapitre de l’enquête traite ensuite des attentes des Français vis-à-vis des députés. Un tiers des Français veut que les députés aient davantage de pouvoir. Mais c’est surtout un ancrage local qui est principalement attendu des députés, encore plus qu’en 1985. Les Français veulent à 70 % (vs 58 % en 1985) que le député s’occupe des problèmes de son territoire d’élection contre 29 % des problèmes nationaux. Ils sont également 40 % à vouloir que le député aide ses électeurs dans leurs vies quotidiennes. « Débattre et voter des lois dans l’Hémicycle de l’Assemblée nationale » n’apparaît qu’ensuite. Ils veulent aussi voir leur député, qu’il soit plus visible sur le terrain, dans la rue, les centres-villes, les marchés, etc. (51 %) et qu’ils tiennent plus régulièrement des réunions publiques. Ce qui est assez paradoxal quand on sait que de telles réunions n’ameutent jamais foule. Mais attention, pointe l’enquête, cet ancrage de proximité exigé par les Français ne signifie pas pour autant revenir sur le non-cumul des mandats pour les députés. 73 % pensent que le non-cumul est une bonne chose puisqu’il permet à l’élu de se concentrer sur son seul mandat national. Plus d’implication locale, plus de présence dans son territoire mais pas de cumul… Pas simple. « La demande des Français semble conduire au retour de la figure traditionnelle de l’élu député-maire dont ils disent ne pas vouloir le retour » résume alors Dominique Reynié, directeur général de la Fondation pour l’innovation politique. « Ainsi à la lecture de ces résultats, le défaut du député apparu au fil du temps, sa faiblesse est d’être accaparé par des tâches à la fois nationales et législatives, soit une activité éloignée de la plupart des Français, socialement distincte de presque tous et d’une utilité trop générale pour être intelligible » juge le chercheur. « Les Français sont en train de changer la politique. La politique va devenir autre chose. Les Français demandent une politique à la fois plus proche, une politique de soutien et de service. Ils demandent de la proximité et de l’efficacité » ajoute-t-il. Et de conclure : « il appartient aux élus de résoudre les contradictions de leurs concitoyens ».

Reprenant la parole en fin de présentation, le président de l’Assemblée nationale a expliqué ne pas vouloir attendre « 35 ans, c’est à dire 2056, pour actualiser cette étude ». Richard Ferrand propose que ce type d’enquête soit mené tous les deux ans, histoire de « renouer les liens de confiance entre les électeurs et leurs représentants »

*L’enquête a été réalisée par l’Institut CSA entre le 13 octobre et le 13 novembre auprès de 4 512 Français âgés de 18 ans et plus, dont 3 508 résidant en France Métropolitaine (y compris en Corse) et 1 004 dans les territoires ultra-marins (La Réunion, Mayotte, Guadeloupe, Martinique et Guyane)

Questionnaire auto-administré en ligne pour les Français résidant en France métropolitaine (hors Corse) et par téléphone pour les Français résidant dans les DROM et en Corse.

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