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Restitution des biens culturels spoliés : Une proposition de loi sénatoriale

Les sénateurs Catherine Morin-Desailly (UC, Seine-Maritime), Max Brisson (LR, Pyrénées-Atlantiques), Pierre Ouzoulias (CRCE, Hauts-de-Seine) et plusieurs de leurs collègues ont déposé une proposition de loi relative « à la circulation et au retour des biens culturels appartenant aux collections publiques ». Ce texte vise à rendre les décisions de restitutions de biens culturels spoliés « plus transparentes, plus collégiales, plus scientifiques » et leur permettre de « transcender les alternances politiques ».

Ces derniers temps, les restitutions des biens culturels spoliés appartenant aux collections publiques se sont multipliées : le sabre d’El-Hadj Oumar Tall rendu au Sénégal en 2019, la couronne du dais de la reine Ranavolana III à Madagascar en 2020 et récemment les 26 pièces du trésor d’Abomey au Bénin en 2021 (voir photo). D’autres devraient suivre. Sans être opposé par principe à ces restitutions, le Sénat à travers cette proposition de loi de Catherine Morin-Desailly (UC, Seine-Maritime), Max Brisson (LR, Pyrénées-Atlantiques) et Pierre Ouzoulias (CRCE, Hauts-de-Seine), souhaite remettre un peu d’ordre dans la méthode. « La manière dont ont été conduites les dernières restitutions n’a guère été satisfaisante » déplore la sénatrice qui dénonce notamment une certaine opacité dans l’instruction des demandes. L’élue pointe aussi une dépossession du pouvoir du Parlement, seul habilité à autoriser la sortie des biens culturels des collections. « Le législateur a la compétence exclusive de pouvoir faire exception au principe d’inaliénabilité des collections, principe de valeur législative » rappelle-t-elle, or ce principe a été contourné « par le biais de la remise aux pays concernés de certains biens revendiqués sous la forme d’un dépôt ». Et tout cela s’est sans compter que les pays demandeurs eux-mêmes « ne semblent pas pleinement satisfaits ». « Ce n’est pas une opposition de principe à la restitution, on ne critique pas le fond mais la méthodologie, insiste pour sa part Laurent Lafon (UC, Val-de-Marne), Président de la Commission culture au Sénat. On veut un équilibre entre les impératifs diplomatiques et les préoccupations culturelles et patrimoniales. Les restitutions ne doivent pas être le fait du prince ».

Le texte entend donc améliorer la procédure « pour ne pas faire voler en éclat le principe fondamental d’inaliénabilité des collections, ce qui suppose avant tout de répondre aux demandes de restitutions avec rigueur historique et scientifique en toute transparence ».

Constatant un manque d’allant manifesté par le Ministère de la Culture et par un grand nombre de conservateurs depuis une vingtaine d’années, la proposition de loi vise à créer dans son article 1er un conseil national de réflexion sur la circulation et le retour des biens culturels extra-européen. Cette instance, composée de personnalités qualifiées choisies pour leurs compétences scientifiques – conservateurs, historiens, historiens de l’art, ethnologues, juristes nommées par le ministre de la Culture et celui de la Recherche -, viendrait donner son avis sur les demandes de restitution « afin d’apporter aux pouvoirs publics un éclairage scientifique dans leur prise de décision ; et mener une réflexion prospective en matière de circulation et de retour des biens culturels ». En 2010, une Commission scientifique nationale des collections avait été créée à l’époque de la restitution des têtes maori à la Nouvelle-Zélande avant d’être supprimée, faute de moyens en 2020.

Or, Catherine Morin-Desailly, qui regrette que cette Commission n’ait pas été réformée, en est convaincue « la création d’une nouvelle instance scientifique pérenne apportera plus de transparence à la procédure, recentrera l’examen des demandes sur la vérité historique et garantira une plus grande permanence dans les décisions de la France malgré les alternances politiques ». En disant cela, la sénatrice vise la réflexion lancée par le Chef de l’Etat en visite au Musée du Quai Branly-Jacques Chirac en novembre dernier autour d’une loi-cadre sur les restitutions, « prenant ses ministres et ses conseillers à contrepied » indique Max Brisson, coauteur de la proposition de loi. Comment définir globalement le programme et le critères de restitutions alors même que « toute restitution constitue un cas particulier » s’interroge l’élu. « Chaque objet a une histoire propre qui ne peut se réduite à une vision globale et généraliste, insiste-t-il. On doit au respect de la vérité historique d’accomplir ce travail minutieux au cas par cas ».

L’article 2 du texte vise quant à lui à faciliter la restitution de certains restes humains conservés dans les collections publiques. Il créé pour cela une nouvelle procédure judiciaire permettant au cas par cas, l’annulation de l’acquisition par les musées de certains restes humains en vue de leur restitution. 

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