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Une politique industrielle diversifiée est nécessaire

Par Daniel Labaronne, Député (LaREM, Indre-et-Loire), Membre de la commission d’enquête sur la relocalisation de l’industrie en France

Partout en France, la crise économique née de l’épidémie de Covid-19 a très vite posé la question des approvisionnements de notre économie aux approvisionnements de pays étrangers dans des secteurs stratégiques. La question de la relocalisation d’activité est alors réapparue au premier rang des préoccupations de l’action publique.

Le constat d’une désindustrialisation de notre système productif est connu. Il nous impose de rebâtir notre souveraineté stratégique pour relocaliser certaines activités industrielles et produire davantage en France.

Un rapport récent de France Stratégie (1) soulignait que la France est parmi les grands pays industrialisés celui qui a subi la plus forte désindustrialisation durant les dernières décennies. Notre déprise industrielle a eu de nombreuses conséquences : une perte massive d’emplois dans les branches industrielles qui ont perdu, depuis 1980, prés de la moitié de leur effectifs (2,2 millions d’emplois) ; un recul de la part de l’industrie dans le PIB de 10 points sur la même période en s’établissant à 13,4 % en 2018, contre 19,7 % en Italie ou 25,5 % en Allemagne. Une chute des exportations industrielles françaises dont le volume a chuté de près de 40 % entre 2010 et 2019 (2) : Un impact négatif sur l’évolution de la productivité et de la rémunération des facteurs de production tout comme sur le développement technologique puisque les branches industrielles réalisent une part importante de la R & D privée.

Au delà de ces tendances lourdes, il convient de d’évoquer des points qui relativisent ce constat. Sur une étude de 5 000 produits importés en France, c’est « seulement » 1 % de ces importations qui représentent un caractère de vulnérabilité, c’est-à-dire une dépendance de sa production nationale vis-à-vis des approvisionnements depuis l’étranger. En nombre de produits, la France se situe donc à des niveaux de vulnérabilité inférieurs à ses voisins européens que sont l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne ou encore les Pays-Bas (3). Il faut aussi garder en tête que l’Union européenne représente la source directe des intrants étrangers pour plusieurs des puissances économiques européennes que sont la France, l’Allemagne et l’Espagne. Enfin, il convient de rappeler que la délocalisation de notre production a eu de nombreux bénéfices, comme le renforcement du pouvoir d’achat pour nos consommateurs, qui ont pu accéder à des produits moins coûteux. En parallèle, cela a permis à notre économie de se tourner vers des activités à plus haute valeur ajoutée.

Pour autant, ces constats ne doivent pas faire oublier que la situation reste aussi imparfaite qu’insatisfaisante, notamment en situation de crise. En effet, parmi les secteurs de vulnérabilité de notre économie, on retrouve certaines industries chimiques et pharmaceutiques ou encore des produits électroniques tels que les lampes LED et les fameux semi-conducteurs, dont le risque de pénurie est régulièrement évoqué dans les médias.

Il n’est pas envisageable de revivre les ruptures de matériel de santé que nous avons subies au plus fort de la crise et il n’est pas possible de demeurer dans une situation où l’approvisionnement dépend encore trop largement des relations internationales, notamment sino-américaines. Alors, comment permettre le développement d’une industrie française résiliente dans la chaîne de valeur intégrée et fragmentée que nous connaissons aujourd’hui ?

En tant que professeur d’économie mais aussi, depuis 2017, représentant de la Nation, je suis convaincu que notre politique économique sur le sujet doit être ancrée dans la réalité de nos territoires, pour accompagner un retour de notre industrie de façon pragmatique. La résilience industrielle ne peut pas uniquement se traduire par l’implantation d’usines sur notre territoire, par souci d’efficacité économique notamment. Il convient de poser les jalons d’une véritable stratégie industrielle : c’est l’ambition de la commission d’enquête sur la désindustrialisation à laquelle je participe, qui est chargée d’identifier les facteurs qui ont conduit à la chute de la part de l’industrie dans le PIB de la France et de définir les moyens à mettre en œuvre pour relocaliser l’industrie et notamment celle du médicament.

Notre stratégie nationale doit donc trouver son fondement dans un schéma de diversification qui permettra d’assurer notre souveraineté industrielle. J’identifie six piliers à développer pour assurer un avenir durable à notre industrie : le retour des industriels grâce à une politique nationale ancrée dans les territoires, une politique de l’offre en faveur des entreprises, une collaboration européenne pour sécuriser notre industrie, le développement de talents dans le secteur industriel, et la nécessaire anticipation de l’industrie du futur.

Premièrement, la mesure la plus évidente est celle de l’implantation d’industries sur notre territoire : elle est synonyme de création de nouveaux emplois et de dynamisation des territoires. C’est la trajectoire qu’entend poursuivre le gouvernement avec le plan de relance. En septembre 2021, la relocalisation de la production dans les secteurs critiques était soutenue par France Relance à hauteur de 2,4 Mdse (4).

Ensuite, ce retour de l’industrie doit passer par les territoires, notamment ruraux. En cela, je me réjouis que l’initiative Territoires d’Industrie, lancée en 2018, permette de soutenir les territoires dans leurs projets de reconquête industrielle. Les territoires ont bien compris cet enjeu : c’est pour cela qu’un appel à projets pour soutenir la relocalisation d’industriels a été mis en place par la région Centre-Val de Loire avec la Banque des territoires. Doté de 300 000 euros, cet appel permettra de développer le secteur industriel, qui représente pas moins de 22 % du bassin d’emplois privés.

Le retour de nos industriels doit aussi passer par une politique de l’offre : c’est ce que nous avons fait avec la libéralisation du marché du travail, la réforme de la fiscalité du capital, les mesures fortes en faveur de l’innovation, la baisse des impôts de production. Pour attirer les industriels et les inciter à s’installer, le « Pack Rebond » que le gouvernement déploie depuis 2020 propose aussi des solutions pour soutenir la reconquête industrielle, avec des sites clés en mains pour les entreprises ou encore le financement de solutions de transport pour accéder aux zones industrielles. Des questions restent en suspens, notamment en ce qui concerne l’artificialisation des sols face au besoin des industriels de disposer de place pour s’implanter sur nos territoires. Une partie de la solution repose sur l’utilisation d’anciennes friches, dont l’appropriation est encouragée par le fonds friches, doté de près de 650 Me dans le cadre de France Relance. Je crois aussi qu’il faut trouver un équilibre entre aménagement du territoire, développement de l’emploi et préservation de nos paysages.

Notre stratégie industrielle doit ensuite reposer sur la diversification de nos fournisseurs et la constitution de stocks de précaution : ici, c’est l’échelon européen qui doit nous permettre d’assurer une résilience industrielle commune. Je pense par exemple au renforcement de la réserve rescEU, qui a permis la distribution de 3,5 millions d’unités de matériel durant la crise sanitaire (5).

Le levier de la réindustrialisation passe également, selon moi, par le capital humain. Trop longtemps, nous avons méprisé les métiers industriels (6), alors que le secteur est intrinsèquement innovant et est porteur d’emplois. Intelligence artificielle, évolution des procédés logistiques, enjeux de transition écologique : tous les sujets qui passionnent notre jeunesse sont liés à l’industrie. Alors, donnons-nous les moyens de les y intéresser, en soutenant les initiatives telles que la Semaine de l’Industrie, qui a pris place en novembre dernier, et qui était tournée vers le recrutement des talents de demain.

Enfin, comment ne pas évoquer les enjeux de transition écologique, énergétique et numérique de notre industrie ? Si nous souhaitons développer une industrie commune résiliente, il faut orienter nos compétences et notre savoir-faire vers des industries qui ont de l’avenir, en faisant émerger des marchés qui ne sont pas déjà dominés par d’autres puissances étrangères. C’est pour cela que je soutiens les initiatives de ma circonscription, le Grand Est Touraine, qui se positionnent sur ces secteurs innovants et bâtissent leur industrie sur les enjeux de demain, à l’image du développement de l’hydrogène par Powidian à La-Ville-aux-Dames et du système de recyclage Emb-i-pack à Sublaines. En la matière, la Banque des territoires propose un accompagnement pour développer des productions d’énergie renouvelable et locale pour l’industrie, notamment avec l’hydrogène et les réseaux de chaleur.

Plus globalement, avec le plan d’investissement France 2030, annoncé en octobre par Emmanuel Macron, c’est un plan d’investissement de 30 Mdse sur cinq ans pour décarboner et moderniser notre industrie. C’est le lancement d’un appel à manifestation d’intérêt pour identifier les industries de demain. Surtout, c’est un nouvel élan pour l’économie et l’industrie françaises, dont nous devons nous saisir dès aujourd’hui ! 

1. https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-2020-ns-politiques-industrielles-decembre.pdf

2. https://lecercledeseconomistes.fr/cahier-reindustrialiser-la-france/

3. https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/511478e4-5fb3-48a6-afbc-edc5186be04c/files/e1968df8-f94a-4718-bbeb-992db19864e6

4. https://www.economie.gouv.fr/plan-de-relance/france-relance-un-an-soutien-secteur-industrie

5. https://ec.europa.eu/echo/what/civil-protection/resceu_fr

6. https://www.banquedesterritoires.fr/desindustrialisation-et-relocalisation-en-france-quels-enseignements