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“La réduction des émissions de CH4 est d’autant plus intéressante que solutions et technologies existent, pour un coût économique faible ou négatif”

Par Philippe Bousquet, Université de Versailles Saint Quentin (UVSQ), Philippe Ciais, Centre de l’Énergie Atomique et des Énergies renouvelables (CEA), et Marielle Saunois, Université de Versailles Saint Quentin (UVSQ) - Laboratoire des Sciences de l’Environnement et du Climat

Lors de la COP26, Etats-Unis, Union Européenne et plus de 100 pays (REF), ont annoncé leur volonté de collectivement réduire les émissions mondiales de CH4 d’au moins 30 % d’ici à 2030 par rapport à 2020.

Le CH4 est le second gaz à effet de serre responsable du réchauffement climatique après le dioxyde de carbone (CO2) : ses émissions ont contribué à 1/3 du réchauffement planétaire (IPCC 2021). Son pouvoir de réchauffement est 28 fois plus fort que celui du CO2 sur un horizon de 100 ans. En raison de sa durée de vie d’une dizaine d’années, le CH4 est une cible de choix pour atténuer rapidement le réchauffement. Le CH4 a aussi un impact sur la pollution atmosphérique, notamment l’ozone. Réduire ses émissions éviterait décès et pertes de rendement agricole (GMA, 2021). La réduction des émissions de CH4 est d’autant plus intéressante que solutions et technologies existent, pour un coût économique faible ou négatif.

Le CH4 est produit lors de la décomposition de la matière organique par des micro-organismes en l’absence d’oxygène (marécage, lac, rivière, rizière, ruminants, déchets), lors de la combustion de biomasse, et il est présent dans les couches géologiques renfermant les combustibles fossiles (charbon, pétrole, gaz). Ses émissions sont évaluées à 580 Millions de tonnes par an (MtC a-1) (Saunois et al., 2020) dont 60 % dues aux activités humaines : essentiellement l’agriculture (élevage ~110Mt/a et rizières ~30Mt/a – 40 %), puis l’exploitation des combustibles fossiles (~130Mt/a – 35 %) et les déchets (~65Mt/a – 20 %).

Le plus fort potentiel de réduction à l’échelle mondiale se situe dans le secteur des énergies fossiles (GMA, 2021) : récupérer et valoriser le CH4 des mines de charbon (potentiel de ~12-25Mt/a), traiter les fuites de l’industrie du pétrole et du gaz (potentiel de ~29-57Mt/a). Ensuite, il s’agit d’interdire les décharges massives existantes dans de nombreux pays et de valoriser le biogaz récupérable (potentiel de ~29-36Mt/a). Réduire les émissions du secteur agricole est plus difficile (pratiques culturales plus sèches pour le riz, alimentation judicieuse des ruminants). La valorisation des déchets agricoles dans des bio-digesteurs est une option mais requiert d’éviter fuites et accidents. Augmenter le potentiel de réduction des émissions de l’agriculture nécessite d’en limiter la demande (moins de gâchis alimentaire, moins d’aliments d’origine animale).

Une réduction de 130 (22 %) à 230 (40 %) Mt/an des émissions mondiales en 2030 correspond aux scénarios d’émissions alignés avec les objectifs des accords de Paris (GMA, 2021). Si l’objectif du pacte sur le CH4 (moins 30 % en 2030) est atteint, il permettra de réduire de 0,2°C le réchauffement en 2050s. Cet objectif mondial (et non national) est accepté par des pays émettant environ 50 % des émissions mondiales. Les premiers émetteurs de CH4 (Chine, Russie et Inde représentant 1/3 des émissions de CH4) n’ont pas (encore) signé ce pacte. Cependant la Chine s’était engagée à réduire ces émissions dans une déclaration conjointe aux US en Avril 2021 dans laquelle le CH4 est explicitement visé. Cet objectif semble donc réalisable en allant au-delà de 30 % pour les fuites des industries fossiles et pour les déchets, pour équilibrer la plus lente réduction de la source agricole.

Ces engagements doivent être suivis de plans d’action adaptés à chaque pays comme l’ont fait l’Europe et les Etats-Unis avec des stratégies par secteur et le Nigeria visant directement le secteur pétrole et gaz. Le lancement de l’Observatoire International des Émissions de Méthane (IMEO) par les Nations Unies lors de la COP26 va fédérer les efforts de vérification des émissions et de détection des fuites du secteur d’exploitation des hydrocarbures, pour s’assurer de réductions effectives et pas seulement déclaratives. En France et en Europe, le CNES ainsi que le programme Européen Copernicus sont déjà prêts et disposent de données pertinentes issues de mesures satellites du CH4.

Ces actions doivent être mises en œuvre rapidement car 2030 c’est demain et l’année 2020 a vu une croissance record du méthane dans l’atmosphère, la plus forte augmentation depuis les années 80. 

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