Print this page

Institutions : le statut quo n’est plus possible

Par Olivier Rouquan, politiste, constitutionnaliste, chercheur associé au CERSA*

Dans un contexte où la culture démocratique vacille parfois (multiplication des états d’urgence, perte de sens des fondamentaux et fake news), il serait opportun de rééquilibrer notre régime politique, afin de jouer sur la variable institutionnelle pour consolider l’ancrage de la France dans le camp des démocraties et états de droit.

D’une part, au titre de la visibilité et de la responsabilité, un objectif serait d’en finir avec le quinquennat ; d’autre part, de placer sous contrôle la concentration décisionnelle présidentialiste. Car finalement, surgit un paradoxe de légitimité : ce président moins longtemps au pouvoir a renforcé sa suprématie sur l’administration, alors que ses décisions suscitent de plus en plus controverses et de colères collectives, le tout dans un jeu politique désorganisé - état problématique pour assurer la pacification des conflits.

En finir avec le quinquennat

Le président Macron, lors de son allocution télévisée du 09 nov. 2021, a évoqué une énième loi sur la sécurité, mais il a surtout mis un terme à la réforme des retraites et renvoyé au débat public - sous-entendu à la présidentielle – les suites à donner en la matière… Le temps du quinquennat a raccourci celui de l’action à 4 ans ; en fait moins, si est considéré qu’avec l’affaiblissement des partis, des équipes peu aguerries parviennent au pouvoir et ont besoin d’un temps d’apprentissage non négligeable... Il faut aussi intégrer les lenteurs de l’administration à concrétiser les réformes.

La perception des résultats par l’opinion est encore plus décalée. Ainsi, le quinquennat introduit un paradoxe au cœur même de la logique du résultat, d’ailleurs revendiquée pour l’instaurer : devant agir vite, le pouvoir présidentiel court après le temps et est peu assuré d’être crédité des gains obtenus… La décrue du chômage a commencé en 2015 ; elle devient perceptible à partir de 2018. F. Hollande disait qu’il travaillait pour son successeur : cruel aveu qui fait sens.

Au temps de la visibilité instantanée, le chef de l’Etat est donc dans l’obligation de déterminer au jour le jour la conduite de la Nation, ce qui le positionne dans le champ constitutionnel du Premier ministre. Le chef d’Etat gaullien incarnant la continuité et l’unité du pays au-dessus de la conjoncture peut moins, sinon dans des postures mémorielles, figurer la longue durée. Certes, le Plan a été rétabli et les incantations à un retour à l’Etat stratège se multiplient, … mais l’ajustement tactique des réformes est constant ; les lois sont bavardes et mal appliquées.

Ainsi, le flou sur le qui fait quoi au sommet s’installe ; la distribution des responsabilités entre président et chef du gouvernement varie davantage en fonction de la conjoncture. La concordance des temps entre présidentielle et législatives ajoute à la confusion, puisque la légitimité propre aux députés et donc indirectement au premier ministre responsable, s’estompent : beaucoup procède du chef de l’Etat. Pour autant, ce soi-disant « hyper-président » amputé de 2 ans de mandat, a moins de temps qu’un élu local pour mener à bien son mandat. D’ailleurs, depuis 2005, aucun n’a utilisé les prérogatives constitutionnelles qui font sa marque sous la Vème République : référendum et dissolution tombent en désuétude.

L’équation mise en place par le quinquennat accentue les défauts du régime et nous prive de ses qualités : entre les lignes constitutionnelles, le président gouverne, le gouvernement fait la loi, le parlement la vote formellement, l’ensemble au service d’une communication de l’instant. Y compris l’idée que le mandant doit rendre des comptes s’évapore, un sujet chassant l’autre à l’aune du sensationnalisme. Transparait ainsi l’illogisme d’un quinquennat mis en place au nom de la responsabilité et de l’efficacité, et qui contribue à accroître la fracture politique.

Le cœur de la Vème République reposait donc sur l’arythmie entre mandat présidentiel et mandat des députés. Elle permettait d’offrir un espace qu’il a perdu, au couple gouvernement-parlement. Depuis le quinquennat, le président est donc moins un pôle de stabilité commandant aux destinées de la Nation ; il est moins arbitre du fonctionnement régulier des pouvoirs publics et il n’entretient le fameux lien direct avec les Français, qu’en cas de nouvelle candidature - ce qui lors des deux derniers quinquennats n’a pas permis d’assurer la continuité...

Clarifier le paysage institutionnel pourrait redonner un peu confiance aux électeurs. Si revenir au septennat semble désuet, un président élu pour 6 ans - une assemblée pour 4 ans, nous permettrait de retrouver l’arythmie constitutive de la Vème. Ou alors, il s’agirait d’aller vers un régime sans droit de dissolution, ni motion de censure et sans Premier ministre : soit un régime pleinement présidentiel. Ou alors, sans toucher au quinquennat mais en inversant l’ordre électoral (législatives avant la présidentielle), de faire du Premier l’homme fort de l’exécutif et du président, un symbole. Un jour, les électeurs devraient pouvoir arbitrer une telle clarification pour savoir si oui ou non, le chef de l’Etat doit rester le maître des horloges – et si oui, quel contrôle politique (responsabilité) doit-on lui appliquer ?

Contrôler le présidentialisme décisionnel

Ce dernier importe particulièrement. En effet, tout se déroule comme si le chef de l’Etat, privé de deux ans de mandat, avait compensé par un surinvestissement administratif sans pouvoir subir la moindre sanction politique directe celle d’un référendum, ou celle indirecte, celle de législatives en cours de mandat. Dès lors, l’hubris technocratique peut guetter le pouvoir élyséen. D’autant que l’environnement lui donne de plus en plus l’occasion de décider de façon discrétionnaire : la gestion des états d’urgence, et particulièrement celle liée à la crise de la Covid-19, indique en effet à quel point l’exercice solitaire du pouvoir singularise notre pays. L’affaiblissement politique du collectif gouvernemental et de la fonction de ministre, ainsi que la création de structures ad hoc, ajoutent à la présidentialisation hors contrôle des décisions exécutives.

Or, l’efficacité obtenue est-elle à la mesure d’une telle concentration ? Nous pouvons en douter : réformes lentes et inabouties (éducation, compétitivité, retraites, travail,…) ; choix stratégiques délétères (externalisations incessantes de services publics, finalement problématiques en termes de coûts économiques et sociaux) ; et surtout, incapacité à anticiper les enjeux forts – grand âge, fait migratoire, climat… Dans le même temps, rien n’est mis en place pour exercer un contrôle sur une telle concentration personnelle des prérogatives. Des rapports parlementaires et enquêtes journalistiques offrent quelques éclairages ; mais leur discussion dans le débat public reste limitée.

Dans notre démocratie d’opinion, cet aspect est déterminant. Il faut probablement renforcer l’indépendance des médias et mieux garantir la sécurité offerte au travail journalistique. Les concentrations capitalistiques et les textes adoptés sur la fragilisation pénale des journalistes, font douter de la volonté de conforter le pluralisme. Il s’agit d’un problème. L’incapacité depuis 2000 à réviser la Constitution afin de garantir l’indépendance du Parquet en est un autre, qui nous singularise via à vis d’autres démocraties européennes. Remarquons cependant le progrès d’une meilleure protection du lanceur d’alerte.

Politiquement, serait-il opportun d’obliger le chef de l’Etat dans le cadre d’un mandat de 6 ans à organiser un référendum entre la 4ème et la 5ème année ? Qu’elle soit d’initiative parlementaire ou présidentielle, une telle consultation conduirait-elle le président à davantage rendre des comptes ? Encourt-on le risque d’un vote forcément dégagiste et/ou populiste manifestant mécontentement et colère ? Il faut dans tous les cas affermir le contrôle parlementaire sur le gouvernement et imposer un droit de suite des rapports d’information et commissions d’enquêtes et aussi, refaire des députés en lien avec les citoyens, les fabricants de la loi. L’administration d’état n’est pas la clé unique de la réussite des politiques publiques. Nous devons abandonner sa sacralisation, et rouvrir le jeu de la négociation collective.

Souvent assimiler à tort à la doctrine néo-libérale, le terme de gouvernance induit une telle pratique plus ouverte de la construction de l’action publique. Sans doute, en décentralisant davantage, en érigeant des pouvoirs régionaux plus autonomes et responsables, et des intercommunalités plus démocratiques, parviendrait-on à redonner du souffle à la légitimité politique et de proche en proche, à l’attachement républicain. Car la proximité reste la base de la confiance. 


*Auteur de En finir avec le président, Paris, éd. Pérégrines, 2017