Print this page

Diplomatie : la disparition programmée des ministres plénipotentiaires

La réforme de la fonction publique portée par Amélie de Montchalin prévoit la création d’un nouveau corps des administrateurs de l’Etat qui regroupera les hauts fonctionnaires issus de corps « mis en extinction » comme les préfets, les inspecteurs généraux mais aussi les conseillers des affaires étrangères et les ministres plénipotentiaires. Une réforme qui laisse un goût amer au Quai d’Orsay.

Le ministère de la Transformation et de la Fonction publique l’assure, cette réforme vise à uniformiser les recrutements des fonctionnaires, à fluidifier les carrières et à faciliter les mobilités. La création de ce nouveau corps interministériel des administrateurs de l’Etat est par ailleurs vue par le ministère comme « la pierre angulaire de cette réforme ». Il prévoit de regrouper une grande partie des plus hauts cadres de l’Etat : préfets, diplomates, inspecteurs généraux, corps des administrateurs du Conseil économique, social et environnemental (Cese)… La réunion de la quinzaine de corps existants mais « mis en extinction » représente quelque 5600 personnes. Plus encore au Quai d’Orsay qu’ailleurs, la disparition programmée (à compter du 1er janvier 2023, il n’y aura plus aucun recrutement possible) du corps des conseillers aux affaires étrangères et de celui des ministres plénipotentiaires est très mal vécue par les diplomates. Jean-Yves Le Drian, le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères a bien tenté de s’y opposer mais c’était peine perdue contre la volonté d’Emmanuel Macron qui veut par cette réforme revenir « à l’esprit de ce qui avait été créé par de Gaulle et Debré en 1945 » avec l’ENA. Il s’agit ici d’avoir un corps d’administrateurs « plus ouvert » et « moins cloisonné » ; il doit accueillir davantage de hauts cadres par promotion interne. Une vision que dénonce un collectif de 150 jeunes diplomates dans une tribune publiée par Le Monde dans son édition du 8 novembre 2021 qui souligne que « les concours spécialisés au ministère de l’Europe et des affaires étrangères coexistent déjà avec une ouverture considérable aux profils extérieurs : le Quai d’Orsay est l’une des administrations les plus ouvertes et diversifiées (52 % des agents sont contractuels, 20 % de l’encadrement) n’est pas issu du corps diplomatique ».

Avec la suppression des voies de recrutement dédiées au Quai, les diplomates pointent également du doigt un risque de perte de compétences qui « privera le réseau diplomatique français de talents précieux ». La carrière au Quai est aussi celle du temps long permettant l’acquisition d’une expérience qui ne sera jamais celle d’un haut fonctionnaire venant d’un autre corps, aussi prestigieux soit-il. Les liens tissés, la langue locale connue ne s’apprend pas en quelques mois de formation laissent encore entendre les signataires de la tribune du Monde.

Enfin, beaucoup « d’anciens » diplomates le disent : le choix d’intégrer le Quai est d’abord et avant tout celui d’avoir une carrière diplomatique née d’une appétence certaine pour l’international, avant d’embrasser une carrière de fonctionnaire.

Pour le collectif de jeunes diplomates, cette réforme pourrait finalement signer la fin de la diplomatie française spécifique en devenant la seule puissance européenne, du G7 et du G20 à ne plus disposer d’un corps dédié de diplomates de carrière. « Notre diplomatie fait face à un risque de disparition » n’hésitent-ils pas à déclarer, inquiets. « La victime de cette réforme sera la diplomatie française et l’influence à l’international de notre pays à travers elle » écrivent-ils. Ce qui viendrait s’ajouter aux évolutions peu perceptibles mais déjà en cours comme la perte d’influence française au sein des institutions internationales et européennes. On pense notamment à la place de la langue française à Bruxelles et une présence française passée en second plan après l’Allemagne. Sans oublier le budget du Quai jugé par certains observateurs comme pas suffisant pour tenir notre rang.

Une question se pose aussi, elle l’est en tout cas par plusieurs éditorialistes, cette réforme qui doit permettre, selon les mots du chef de l’Etat, de s’attaquer au « déterminisme » et au « corporatisme », les « deux maladies » de la fonction publique, est-elle une façon de mettre aussi à bas un certain élitisme (incontestable) et répondre ainsi à une certaine exigence de l’opinion publique à la suite des « gilets jaunes » ? 

445 K2_VIEWS