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Il faut sauver le service diplomatique national

Par Olivier Da Silva, CFDT-MAE*

Comme souvent, les moyens retenus à la hussarde pour mettre en œuvre une réforme finissent par rapidement créer des difficultés bien plus aigües que celles qu’elle entendait surmonter. Menée dans le cadre de la transformation de la fonction publique, celle de la haute fonction publique n’échappe pas à cette funeste destinée. C’est particulièrement vrai de son volet diplomatique.

Désormais bien avancée, cette réforme vise en effet à fondre dans un corps unique des administrateurs de l’Etat l’ensemble des hauts fonctionnaires de l’Etat, dont ceux relevant des corps des conseillers des affaires étrangères et des ministres plénipotentiaires (soit 700 agents), promis à la mise en extinction (sic). L’objectif est que le nouveau corps constitue un vivier d’administrateurs interchangeables au service des politiques publiques, et c’est bien là que le bât blesse s’agissant des missions extérieures de l’Etat.

La diplomatie est en effet un métier à part entière, c’est une véritable activité professionnelle qui ne peut pas être exercée de façon intermittente par des administrateurs inexpérimentés ou formés en quelques semaines, quelle que soit par ailleurs la haute technicité de leur parcours ministériel, souvent étranger aux arcanes de la diplomatie. Ces parcours sont en revanche déterminants quand ils sont au service d’un domaine spécialisé : c’est bien pour cette raison que nombre de conseillers spécialisés – économie, agriculture, défense, police, justice, environnement, etc. - sont présents au sein de nos représentations permanentes auprès des enceintes européennes et multilatérales, au sein des ambassades et des services centraux au Quai d’Orsay. La même logique est à l’œuvre dans les différents ministères où se déploient, depuis des décennies, un certain nombre de diplomates.

Souvent brocardée par ignorance ou préjugé, la fluidité des parcours et l’ouverture de l’outil diplomatique national constituent une réalité documentée.

Représenter la France à l’étranger (volet politique), protéger nos compatriotes hors de l’Hexagone (volet consulaire), garantir le rayonnement et l’influence de notre langue, de nos chercheurs et de nos créateurs (volet coopération et action culturelle) : ces métiers ne s’improvisent pas, ils se construisent en suivant patiemment de longues formations, en se soumettant à d’exigeants concours de recrutement, en construisant au long cours de véritables parcours professionnels. C’est armés de ces prérequis que les diplomates, les agents consulaires et les responsables de la coopération peuvent se déployer et se confronter, dans des environnements souvent déroutants et parfois hostiles, à des interlocuteurs prompts à les jauger et à tester leur professionnalisme.

Dans le contexte du dialogue entre les Etats mais aussi avec les multiples acteurs présents sur la scène internationale –entreprises transnationales, ONG, acteurs du numérique, influenceurs, fondations, etc. - notre réforme, qu’aucune circonstance du concert international ne réclamait, envoie un bien piètre signal, celui de la fin programmée de notre service diplomatique. Nos adversaires s’en réjouiront de façon narquoise. Nos alliés –qui ont besoin d’interlocuteurs chevronnés - ne nous cachent pas leur consternation. Tous disposent d’un service diplomatique, souvent de haute qualité, au service de leurs objectifs d’influence et de négociation au mieux de leurs intérêts. Par la réforme en cours, nous diluons le nôtre, l’affaiblissons, en réduisons l’attractivité, et le condamnons à brève échéance, au moment même où a définitivement pris fin l’illusion, née en 1989, d’une victoire dominante et apaisée du monde occidental.

Il n’est pas trop tard pour garder une véritable filière diplomatique française, qui ne peut pas se résumer à une noria de hauts fonctionnaires sommés de papillonner d’un service de l’Etat à l’autre. Les diplomates –au sens large des trois missions du ministère des affaires étrangères : représenter, protéger, rayonner - sont des agents expérimentés, bien formés, dévoués et pourvus de l’esprit de mission. Ils mettent en œuvre, avec loyauté, la politique étrangère de la France sur tous les continents, dans toutes les enceintes internationales, et garantissent à notre pays une influence largement supérieure à notre poids démographique et économique.

Sauf si nos élus ont renoncé à notre place dans le concert international et à nos ambitions sur la marche du monde –auquel cas il faudra le dire -, il faut sauver le service diplomatique national. 


*Olivier Da Silva est un ancien ambassadeur. Le syndicat CFDT-MAE est majoritaire au sein du personnel diplomatique.

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