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Mayotte : l’urgence sécuritaire

Un rapport sénatorial de la Commission des Lois* montre à quel point Mayotte est en proie à une violence endémique. Le département est aussi victime d’une très forte immigration irrégulière. Le tout formant un cocktail explosif. La mission sénatoriale fait seize propositions pour tenter d’apporter des réponses à un département français dépassé.

Le 27 septembre dernier, la mairie de Koungou été incendiée. Aussi symptomatique que peut être cet énième incident, il n’est pourtant que le triste reflet d’une violence quotidienne subie et dénoncée par les Mahorais. « La situation sécuritaire à Mayotte est extrêmement préoccupante » souligne diplomatiquement l’un des rapporteurs de la mission Stéphane Le Rudulier. Avec ses collègues, il n’a pu que constater la très forte augmentation des faits de délinquance dans l’archipel depuis plusieurs années. Malgré une sous-évaluation chronique des faits de délinquance, qui s’explique notamment par une méfiance envers les forces de l’ordre et la propension à régler des conflits hors de l’institution judiciaire par un dédommagement financier ou le recours à la violence, « Mayotte a connu depuis 2008 une augmentation de la délinquance enregistrée sans commune mesure avec celle de sa population » déplorent les sénateurs. « Plus inquiétant, ce bilan quantitatif montre une augmentation très nette du niveau de violence » poursuit Stéphane Le Rudulier face à ses collègues en commission. Les chiffres sont sans appel : entre 2008 et 2019 : + 263,8 % de vols violents, +175,5 % de violences sexuelles, +153,5 % de coups et blessures volontaires sur personnes de 15 ans ou plus.

Prévenir, empêcher et mieux traiter les faits de délinquance

Avec l’aide des forces de l’ordre et des autorités judiciaires, la mission s’est attachée à caractériser cette violence qui a plusieurs traits distinctifs. Elle est d’abord juvénile. Les faits sont nettement plus souvent commis part des mineurs que dans l’hexagone ou dans d’autres territoires ultramarins. Cette délinquance est aussi particulièrement brutale. Bien que commis au moyen d’armes par destination généralement rudimentaires, les faits commis peuvent être particulièrement violents. Enfin, le recours à la violence ne trouve au surplus pas nécessairement de justification économique ; « ses motifs sont incertains, voire gratuits » notent les élus qui ont été alertés par leurs interlocuteurs sur « une délinquance de bandes, faite d’affrontements sans autre motivation apparente que celle de conjurer l’ennui et le désoeuvrement ».

« Obérant l’activité économique, diminuant l’attractivité du territoire, la situation sécuritaire engendre un sentiment de ras-le-bol des Mahorais, qui s’est particulièrement exprimé lors des grèves de 2018, et nourrit les flux migratoires de ceux-ci à destination de La Réunion ou de l’hexagone » conclut la délégation sénatoriale.

« La nécessité de la réponse au défi sécuritaire est urgente » embraye François-Noël Buffet, le président de la Commission et co-rapporteur de la mission. Réponse qui passe, selon les sénateurs par trois séries d’actions : prévenir, empêcher et mieux traiter les faits de délinquance.

Fatigués d’attendre une réponse des pouvoirs publics, nombreux sont les Mahorais à avoir lancé des groupes d’autodéfense visant à prévenir les actes de délinquances. Ce qui aux yeux des élus n’est pas une solution : « leur développement doit être maîtrisé » expliquent-ils. Ils suggèrent plutôt que soient encouragées les initiatives déjà existantes telles que les dispositifs des « élèves-pairs » et des classes « défenses et sécurité globale » dans le milieu scolaire visant à retisser les liens entre population et forces de l’ordre ; et le régiment du service militaire adapté (RSMA) reconnu comme efficace.

Pour ce qui est « d’empêcher », si les sénateurs reconnaissent sans difficulté qu’en la matière, il n’y a pas de « solution miraculeuse », ils insistent pour que soient octroyés « aux forces de l’ordre les moyens de leurs missions ». Si la police a procédé à sa réorganisation en unifiant l’ensemble de ses directions sous une seule direction territoriale, une même réflexion pourrait être engagée pour la gendarmerie. Au-delà des moyens matériels demandés par la police (fourrière, commissariat, etc.), la mission sénatoriale pointe surtout la difficulté des moyens humains. « Il est primordial d’améliorer l’attractivité des affectations à Mayotte pour les fonctionnaires d epolice » jugent les élus. S’agissant de la gendarmerie, « l’opportunité de la création d’un peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG) au sud de Grande Terre pourrait être étudiée » ajoutent-ils. La mission suggère aussi « un déploiement plus large de la vidéosurveillance et l’amélioration de l’éclairage public, équipements qui relèvent des compétences des collectivités mahoraises ».

Ensuite, l’autorité de l’institution judiciaire à Mayotte doit également être renforcée jugent encore les sénateurs. « Ne nous trompons pas de débat relève avec insistance Stéphane Le Rudulier : la réponse pénale est à Mayotte, autant qu’il lui est possible de l’être à la hauteur. Il n’en demeure pas moins que les moyens humains et matériels de la justice à Mayotte sont faméliques ». Un rattrapage des moyens est donc nécessaire. « En amont du prononcé de la peine, les moyens dont dispose la juridiction doivent donc être accrus sur le plan humain, par le renforcement des équipes du parquet al création de cabinets de juge des enfants et de juge d’instruction supplémentaires » insistent-ils, le tribunal judiciaire doit être relocalisé à Mamoudzou et remis aux normes, une Cour d’appel de plein exercice doit être créée. Et en aval du prononcé de la peine, la question de la surpopulation carcérale doit être traitée par la création d’un centre de détention au sud de Grande terre. « Afin de rendre pérenne le désengorgement de l’institution carcérale à Mayotte, il est nécessaire d’ouvrir les possibilités d’aménagement de peines, aujourd’hui très réduites, en créant un centre de semi-liberté ainsi qu’un centre éducatif fermé » propose encore la mission.

Un lien de causalité entre le niveau élevé de délinquance et la situation migratoire exceptionnelle

Pour les sénateurs, il leur est apparu « particulièrement pertinent d’approfondir l’étude du lien de causalité entre le niveau élevé de délinquance et la situation migratoire exceptionnelle dans laquelle se trouve Mayotte ». Selon l’insee, sur une population totale estimée à 256 000 habitants, on dénombre 48 % d’étrangers, soit 123 000 individus. Et sur ce nombre, la moitié serait des illégaux. Et encore, ces chiffres ne seraient que partiels tant il est difficile de recenser précisément la population mahoraise dans son ensemble. « Les clandestins à Mayotte sont-ils 50 000 ou 150 000 ? personne ne le sait » déplore Alain Marc, corapporteur. On estime encore à environ 40 000 le nombre de mineurs nés à Mayotte de parents étrangers. Et 4500 mineurs non accompagnés et livrés le plus souvent à eux-mêmes sont également pointés. Enfin, les femmes étrangères, essentiellement Comoriennes sont à l’origine de « trois quarts » des naissances dans l’île. Leur taux de fécondité est de « 6 enfants par femme en 2017 contre 3,5 pour les femmes natives de Mayotte ». Ce sont « environ vingt-cinq enfants [qui] naissent chaque jour à la maternité de Mamoudzou » poursuit François-Noël Buffet.

« Ce lien entre insécurité et immigration irrégulière est établi de longue date par les Mahorais » indique le sénateur de l’île Thani Mohamed Soilihi qui note que le statut administratif irrégulier des clandestins, leurs conditions de vie précaires les font plus facilement basculer dans la délinquance. La part importante de mineurs dans la population irrégulière contribue aussi au contexte sécuritaire dégradé.

Si le renforcement des moyens attribués à la lutte contre l’immigration clandestine, notamment s’agissant des capacités d’interception, a « produit des effets tangibles », il faut aller encore plus loin. « L’assouplissement des conditions d’interception des « kwassas » (canots de pêche rapides qui assurent la traversée de clandestins entre Anjouan et Mayotte), la restriction des conditions d’accès à la nationalité et au séjour régulier ainsi que l’approfondissement de la difficile coopération diplomatique avec l’Union des Comores doivent être envisagés » suggère fermement la délégation sénatoriale.

Enfin, un accompagnement des collectivités territoriales à la hauteur de leur engagement dans la lutte contre l’insécurité est également nécessaire. La poursuite, avec le concours de l’État, des efforts engagés par celles-ci dans l’amélioration de l’éclairage public, du recensement, ou encore de l’aide sociale à l’enfance constitue l’une des clés pour la réussite de la lutte contre une délinquance qui exaspère depuis trop longtemps les Mahorais.

« Même si des efforts indéniables ont été faits », selon François-Noël Buffet « la réponse des pouvoirs publics à l’insécurité à Mayotte doit être à la hauteur de la dégradation de la situation, liée à une délinquance très violente essentiellement juvénile. Elle doit se traduire par des renforcements des moyens à court terme, mais aussi par une vision à long terme, qui fait encore défaut. » 

*Une délégation de la commission des lois s’est rendue à Mayotte du 7 au 9 septembre 2021, conduite par François-Noël Buffet (LR, Rhône) et composée de Stéphane Le Rudulier (LR, Bouches-du-Rhône), d’Alain Marc (Les Indépendants, République et Territoires, Aveyron) ainsi que Thani Mohamed Soilihi (Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants, Mayotte).

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