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2022, un budget aux fondements fragiles

Par François Facchini, Professeur agrégé des Universités, Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Centre d’Economie de la Sorbonne

Le projet de loi de finances (PLF) pour l’année 2022 est marqué par la pandémie du COVID 19. Dans ses attendus, le gouvernement justifie ses choix de 2022 par la qualité de ses choix sanitaires et budgétaires.

Le contexte de croissance soutenue de l’année 2021 et de l’année 2022 qui vient serait le résultat de la bonne gestion sanitaire de la pandémie et de la mise en œuvre au niveau européen et national d’un vaste plan de relance au service de la transition écologique, de la compétitivité des entreprises et de la cohésion sociale et territoriale. Le gouvernement justifie les déficits et le creusement de la dette publique par la pandémie et la nécessité de réduire son impact économique et social.

Une telle défense par le gouvernement de ses choix de politique publique est normale et d’autant plus normale qu’il s’agit d’un PLF pré-électoral ; le gouvernement cherchant à défendre son budget pour éviter un vote sanction sur son bilan sanitaire, économique et budgétaire.

Cette tribune estime, pourtant, que les fondements cognitifs de ce budget sont fragiles. Elle avance trois arguments en ce sens. Elle rappelle, tout d’abord, que des pays comme les Pays-Bas, le Danemark, la Suède ou l’Irlande ont été beaucoup moins dépensiés que la France et que cela n’a pas affecté leurs résultats en matière de gestion de pandémie (1). Elle conteste ensuite l’idée que pour gagner les élections il faut éviter l’austérité (2). Elle avance, enfin, un certain nombre d’arguments qui viennent mettre en doute l’efficience des plans de relance et leur capacité à replacer la France sur un chemin de croissance durable (3).

La diversité des choix budgétaires dans les pays de la Zone Euro

Face à la crise COVID 19 comme face aux questions budgétaires, il y a en Europe deux grands groupes de pays, les pays qui ont une culture du déficit public et ceux qui au contraire cherchent du mieux qu’ils peuvent à s’approcher de l’équilibre.

La France est parmi les pays qui ont une culture de la dette et des déficits publics. Son niveau d’endettement est deux fois supérieur aux critères de Convergence qu’elle s’est engagée à tenir par référendum et la progression de son ratio d’endettement lors de la crise sanitaire est l’une des plus élevée de l’Union européenne avec un écart de 18 points entre le début de la crise COVID et septembre 2021 (Voir tableau).

Comparatifs des performances budgétaires, économiques et sanitaires dans l’Union Européenne
PaysDette 2020Q1Ecart 2020Q1-2021Q2Croissance moyenne 2019Q3-2021Q2Décès COVID pour un million d’habitant
Irlande 58,8 1,7 2,65 1045,37
Norvège 41,3 1,7 0,17 155,52
Suède 35,7 4,6 0,15 1458,74
Bulgarie 20,1 5 0,15 2970,86
Pays-Bas 49,3 5,6 0,087 1080,59
Finlande 64,4 5,9 0,062 192,67
Luxembourg 22,2 5,9 0,65 1315,35
Danemark 33,2 7,5 0,216 454,13
Latvia 37,1 8,6 0,23 1437,65
Estonie 8,9 9,6 0,95 1014,2
Allemagne 60,9 10,2 -0,25 1113,33
Roumanie 37,4 10,2 0,46 1899,91
Slovaquie 49,5 10,8 -0,07 2306
Pologne 47,5 11,6 0,36 1999,42
Czechia 32,4 11,7 -0,37 2839,56
Lithuanie 33,0 12,6 0,55 1826,49
Autriche 73,1 14,3 -0,17 1212,97
Belgique 103,4 15,2 0,042 2196,81
Hongrie 65,8 15,2 0,467 3129,59
Slovénie 68,9 17,1 0,47 2182,59
France 100,8 17,2 -0,09 1734,38
Portugal 119,2 18 -0,17 1765,75
Italie 137,8 22,2 -0,22 2165,02
Espagne 99,1 26,1 -0,37 1844,66
Grèce 180,7 28,6 0,15 1415,42

Sources : Ratio Dette publique sur PIB, Eurostat (General government gross-debt-quarterly data). PIB Trimestriel (PIB réel à prix constant moyenne sur troisième trimestre 2019 au deuxième trimestre 2021 OCDE. Nombre total de mort du COVID 19 par million d’habitant (au 26 septembre 2021 (Cumulative confirmed COVID 19 death per million people - total deaths per 1 M). Lien : https://ourworldindata.org/covid-deaths, consulté le 27/09/2021. La France a un nombre de décès du COVID 19 légèrement supérieur à la moyenne des pays européens cité dans le tableau.

Ce qui frappe aussi, lorsque l’on compare les chiffres d’endettement (ratio dette publique sur PIB) des pays de l’Union européenne, c’est que ce sont les pays qui étaient les plus endettés en janvier 2020 qui ont en général le plus creusé leur déficit pour gérer économiquement la pandémie. On retrouve les pays du sud de l’Europe et la Grèce en particulier qui malgré la crise de 2010 a vu son ratio d’endettement augmenté de plus de 28 points. C’est comme si la pandémie était utilisée par certains gouvernants pour renouer avec leurs anciennes pratiques budgétaires. La conséquence de ces deux cultures est que de nombreux pays, et la France en particulier, ont vu leurs situations financières se détériorer beaucoup plus fortement que des pays traditionnellement rigoureux comme le Danemark, l’Irlande, la Suède ou les Pays-Bas.

La contrepartie pourrait être une croissance plus soutenue et de meilleures performances en matière sanitaire. Ce n’est pas le cas. Le Danemark, l’Irlande, la Suède, et les Pays-Bas ont de fait une croissance moyenne du troisième trimestre 2019 au deuxième trimestre 2021 supérieure (Tableau 1) à la France avec un nombre de décès du COVID 19 pour un million d’habitants inférieurs. Cela signifie que ces pays ont mis en œuvre des politiques sanitaires (nombre de décès), économiques (taux croissance) et budgétaires plus performantes que la France ou mieux adaptées à leur situation. Une analyse plus fine de ces constats bruts devrait être conduite afin d’en tirer toutes les conséquences pour les choix de politiques publiques en ces domaines. Ces constats permettent, cependant, de questionner les propos du gouvernement sur l’effet budgétaire de la crise sanitaire.

Moins de dépenses publiques est en fait synonyme de succès électoral

L’une des explications souvent avancées par l’économie politique de la dette est le fait que les gouvernants croient que l’austérité leur ferait prendre le risque de perdre les élections. Cette croyance n’est pourtant pas juste. Il est constaté que les gouvernements qui ont choisi l’austérité ont gagné les élections (Alesina et al. 20192), mais aussi que les électeurs ne sont pas hostiles à la réduction des dépenses publiques et des dépenses affectées aux emplois publics en particulier (Kirk Bansak et al. 20213). Ce second résultat repose sur l’analyse de données d’enquêtes provenant de cinq pays européens (Italie, Espagne, France, Grèce et Royaume-Uni) sur la période 2015 et 2019, (2015 pour la France). Il est d’autant plus intéressant que ce soutien à la baisse des dépenses va d’une majorité simple dans certains pays à plus de 75 % des électeurs français. Les électeurs de droite sont les plus favorables à ce type de choix budgétaire, mais une majorité des électeurs de gauche s’y rallie. Austérité n’est donc pas synonyme de défaite électorale.

Et les excédents budgétaires favoriseraient le retour de la croissance

L’autre croyance à l’origine de cette culture de la dette est l’existence supposée d’une relation toujours positive entre dépenses publiques, dette et croissance économique. Cette croyance est pourtant largement erronée. D’une part, parce qu’au-delà d’un certain niveau de dette publique –entre 75 % et 100 % -, la dette publique entretient plutôt une relation négative avec la croissance. D’autre part, parce qu’au-delà d’un certain niveau les dépenses publiques n’ont plus l’effet d’entrainement qu’elles peuvent avoir initialement (4). L’effet de la dépense publique est dans ces conditions plutôt négatif sur la production et l’emploi. Enfin, parce que les pays qui ont choisi des politiques d’excédents budgétaires via la réduction des dépenses publiques ont eu de meilleurs résultats économiques (production et emploi) que les pays qui ont augmenté les impôts et/ou mis en œuvre des plans de relance (5). Ce qui explique ce résultat est i) une réduction des coûts de l’intervention publique et ii) une baisse de l’épargne induite par des anticipations favorables sur l’évolution des impôts (baisse).

Le budget 2022 est donc un budget de campagne et de relance, mais qui est vraisemblablement mal fondé. Il peut provoquer la défaite du sortant, car les électeurs attendent une baisse des dépenses publiques, et n’aura pas les effets annoncés en termes de croissance économique. Si la croissance revient ce sera essentiellement à cause du retour de la croissance mondiale et de la qualité de la vision des affaires des entrepreneurs qui dirigent les entreprises du pays. 

1. Projet de loi de Finances (PLF) 2022. Document en ligne. Lien : https://www.budget.gouv.fr/documentation/documents-budgetaires/exercice-2022 ?sort_bef_combine=created %20DESC&sort_by=created&sort_order=DESC

2. Alesina, R., C., Favero and F., Giavazzi 2019. Austerity : when it works and when it doesn’t, Princeton University Press.

3. Bansak, K., M.M., Bechtel, Y., Margalit 2021. Why Austerity ? The Mass Politics of a Contested Policy, American Political Science Review, 115 (2), 486 - 505

4. Facchini, F., 2021. Les dépenses publiques en France, Bruxelles, De Boeck (Chapitre 5).

5. Voir l’ouvrage d’Alesina et al. 2019 cité en note 5.