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Marseille en Grand : le législateur devra intervenir pour réformer la Métropole Aix-Marseille-Provence

Par Baptiste Larseneur, Chargé d’études développement des territoires à l’Institut Montaigne

Le déplacement du Président de la République à Marseille était attendu depuis plusieurs mois. Retardé à cause des mutations perpétuelles d’une crise sans précédent, c’est finalement le 2 septembre dernier, depuis le palais du Pharo, qu’Emmanuel Macron a présenté ses ambitions pour bâtir le Marseille de 2030.

Durant une longue allocution, le chef de l’État a rappelé l’urgence sécuritaire, sociale, économique et sanitaire ainsi que « le devoir de la Nation d’être aux côtés des Marseillaises et des Marseillais ». Si le Président de la République s’est dit prêt à engager un financement à hauteur d’1 milliard d’euros pour régler les difficultés les plus urgentes et « débloquer la situation », il a enjoint les élus du territoire à régler les problèmes d’organisation et de gouvernance, comme « condition préalable et indispensable » à un engagement de l’État.. Alors qu’un nouveau déplacement du président de la République est programmé à Marseille en octobre prochain, les élus du territoire ont donc quelques semaines pour réfléchir aux fondements d’une Métropole refondée et renforcée en mesure d’atteindre des objectifs ambitieux à l’horizon 2030.

Marseille concentre en son sein les principales difficultés auxquelles doit faire face la Métropole Aix-Marseille-Provence.

Sa dimension, son poids démographique, son positionnement géographique stratégique ouvert sur la Méditerranée, confère au territoire Aix-Marseille Provence un potentiel hors normes. Pour autant, ce territoire concentre des difficultés endogènes qui ne permettent pas à ce potentiel de suffisamment s’exprimer.

Aix-Marseille-Provence est l’une des métropoles les plus inégalitaires de France - le revenu moyen des 10 % les plus riches y est 8,4 fois plus élevé que le revenu moyen des 10 % les plus pauvres -. Elle concentre des poches de grande pauvreté et il s’est développé en son sein un phénomène de « ghettoïsation ». A titre d’exemple, Marseille compte 236 000 habitants vivant en quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), soit 27 % de la population de la ville, contre seulement 7 % pour la ville de Paris.

Le nombre de logements indignes est cinq à dix fois plus élevé sur le territoire Aix-Marseille Provence que dans les autres métropoles françaises. Sur les 377 000 résidences principales que compte la ville de Marseille, 13 % du parc sont des logements potentiellement indignes. Les effondrements d’immeubles de la rue d’Aubagne du 5 novembre 2018 ont tristement rappelé que la misère, souvent invisible, persistait au cœur de la deuxième ville de France. Par ailleurs, l’état du bâti scolaire est indigne de notre République : 174 écoles présentent des défauts d’entretien majeur (présence de nuisibles, suspicion d’amiante, problème de chauffage, etc.) et sont considérées comme étant dans un tel état de délabrement que l’apprentissage n’y est plus possible.

Sans le soutien de l’État, la Ville de Marseille et la Métropole Aix-Marseille Provence, aux finances exsangues, ne peuvent répondre aux besoins de leurs administrés.

La situation financière et budgétaire constitue une difficulté considérable pour les élus du territoire, et en premier lieu pour la principale entité qui compose la Métropole, la Ville de Marseille.

Bien que la dette de la Ville de Marseille ait considérablement reculé ces dernières années - après avoir oscillé entre 1 800 Me et 1 900 Me sur la période 2008-2016, la dette est d’environ 1 600 Me aujourd’hui -, le niveau actuel d’endettement et le poids des intérêts de la dette dans les dépenses de la Ville rendent le recours à l’emprunt impossible. La dette de Marseille représente environ 1 900 e par habitant - quand la moyenne nationale est d’environ 1 100 e - et la Chambre régionale des comptes Provence-Alpes-Côte d’Azur soulignait, en 2017, que les frais financiers de la dette payés par la Ville de Marseille étaient plus élevés que le cumul de frais financiers réglé par six des plus grandes villes de France.

Aujourd’hui la capacité d’investissement de la ville de Marseille est donc quasi-nulle. L’audit réalisé par le cabinet Deloitte, commandé par la nouvelle municipalité, révélait que la capacité d’autofinancement de la Ville de Marseille n’était pas supérieure à 13 millions d’euros, soit une capacité d’investissement de 15 euros par an et par habitant.

Impossible, dans ces conditions, pour la Ville de Marseille de répondre par exemple à l’urgence de dégradation du bâti scolaire, dont nous avions estimé le coût dans le rapport Construire la métropole Aix-Marseille Provence de 2030, publié en novembre 2020 par l’Institut Montaigne, entre 600 millions et 1 milliard d’euros. La situation contraint donc l’État à agir. D’aucuns pourront y voir un précédent dangereux, une prime à la mauvaise gestion, puisqu’à la fin l’État se substitue à des exécutifs défaillants. Ici l’action de l’État semble justifiée par l’urgence de la situation.

Comme la majorité des métropoles françaises à la suite de l’entrée en vigueur de la loi MAPTAM, la métropole Aix-Marseille Provence, a vu ses dépenses augmenter de façon conséquente. L’endettement d’AMP n’a cessé d’augmenter pour atteindre environ 2 750 Me et le recours à l’emprunt contribue déjà à financer près de 60 % des dépenses d’investissement.

C’est tout l’objet de la concertation qui s’engage sur le territoire et qui doit permettre une évolution de la gouvernance de la Métropole. L’issue de la concertation, impulsée par le Président de la République, n’est nullement évidente. En effet, l’équilibre politique issu des dernières élections a contribué à renforcer l’opposition au projet métropolitain.

L’évolution institutionnelle, financière et démocratique de la Métropole Aix-Marseille-Provence est un impératif.

La création en 2016 de la Métropole Aix-Marseille-Provence avait fait naître l’espoir d’une mise en cohérence d’un espace politique et économique jusqu’ici très fragmenté. Si elle a réussi à initier plusieurs projets structurants, l’émergence d’un véritable « intérêt général » métropolitain ne s’est pour autant pas concrétisé. L’organisation de la Métropole continue de favoriser la juxtaposition de projets locaux et la pérennisation des anciennes stratégies locales.

Plusieurs évolutions sont envisageables pour permettre l’émergence d’un véritable projet métropolitain et permettre à la Métropole de disposer de marges de manœuvre financières suffisantes pour réaliser des projets structurants à l’échelle du territoire. Elles sont d’ordre institutionnel, financier et démocratique :

La suppression des conseils de territoires pourrait permettre de replacer le centre de décision au niveau du conseil métropolitain, tout en élargissant les compétences des communes, dans une logique de proximité plébiscitée par les concitoyens.

Le plafonnement des attributions de compensation, qui grèvent de manière trop importante la capacité d’investissement de la Métropole, pourrait permettre dans le cadre d’une évolution ambitieuse d’augmenter considérablement le budget d’investissement de la Métropole.

Enfin, l’évolution vers une élection au suffrage universel direct des 240 membres du conseil métropolitain pourrait être discutée. Au-delà des questions relatives aux modalités du scrutin, une élection des conseillers métropolitains au suffrage universel direct doit permettre aux élus d’incarner l’intérêt métropolitain, et non plus les intérêts communaux au sein de la métropole.

Le rayonnement de la ville de Marseille est consubstantiel d’un projet de développement ambitieux à l’échelle de la métropole. La Métropole Aix-Marseille-Provence se situe à un moment décisif de son histoire. De sa capacité à se réinventer, dépendra le niveau d’engagement financier de l’Etat. A l’issue de la concertation qui s’est engagée, il appartiendra vraisemblablement au législateur d’envisager les évolutions institutionnelles nécessaires qui permettront à la deuxième ville de France, et plus largement à l’ensemble du territoire Aix-Marseille-Provence, non pas simplement de rattraper son retard mais de devenir une référence à l’échelle nationale, voire internationale. L’œuvre qui s’ouvre, à condition que l’ensemble des acteurs souhaite y prendre part, est donc immense.