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La situation économique et budgétaire de la France

Par Christian Saint-Etienne, Economiste Universitaire*

L’affaiblissement économique de la France, liée à sa désindustrialisation accélérée depuis vingt ans, et sa position budgétaire délicate à l’automne 2021 sont liés. D’autant plus que la dépense publique doit être financée par des prélèvements sociaux et fiscaux écrasants.

Selon la loi de Finances 2022, la dépense publique en pourcentage du PIB va revenir de 60,8 % en 2020 à 55,6 % en 2022, contre 53,8 % en 2019, soit 1,8 % du PIB de plus qu’en 2019. La dépense publique en France est supérieure de près de 9 % du PIB à la dépense publique moyenne dans les dix-huit autres Etats de la zone euro, cette sur-dépense ne produisant pas une croissance supérieure à celle de nos voisins.

Le problème central de la dépense publique en France, outre son poids, est son inefficacité. Si, en lien avec notre dépense publique, nos performances en termes de croissance économique, de Recherche et Développement (R&D), de formation ou de sécurité étaient exceptionnelles, on pourrait considérer que la France aurait inventé un modèle économique de prospérité exemplaire. Mais quand nous accumulons un endettement colossal avec une croissance économique médiocre, un commerce extérieur massivement déficitaire, 12 % des jeunes sortant du système éducatif sans diplôme et sans formation, et une insécurité croissante sur le territoire, il apparaît que notre modèle sociétal dilapide les ressources et ralentit l’essor de notre économie.

Sur les trois années 2020-2022, l’économie française devrait croître de 2 % en cumul contre près de 3 % dans la zone euro hors France. Le déficit public français devrait atteindre 5 % du PIB en 2022, avec le revenu d’engagement, contre 2,5 % du PIB en Allemagne. La dérive des finances publiques françaises portant la dette publique à 114 % du PIB fin 2022 contre 72 % en Allemagne fait peser un risque sur la croissance future en cas de remontée des taux d’intérêt.

L’inefficacité de nos dépenses publiques aggrave la situation créée par la désindustrialisation du pays.

La France est le pays développé qui s’est le plus désindustrialisé depuis vingt ans. La part de l’industrie manufacturière dans le PIB a baissé de 14 % à 10 % de 2000 à 2019, contre 20 % en Allemagne. En euros, la valeur ajoutée manufacturière de la France est tombée à un peu plus du tiers de la valeur ajoutée allemande.

En lien avec la chute de notre industrie manufacturière et sur la même période, notre part dans les exportations mondiales de biens et services a chuté de 40 % et la part des exportations de la France dans les exportations de la zone euro a chuté de plus de 20 %. C’est l’explication principale de l’écart entre l’excédent commercial allemand de 228 milliards d’euros et le déficit français de 82 milliards d’euros en 2020.

En résumé, la part de l’industrie manufacturière française a baissé de 20 % dans les exportations de la zone euro, de 30 % dans le PIB de la France et notre part dans les exportations mondiales de biens et services a baissé de 40 % au cours des vingt dernières années. C’est un effondrement historique, sans équivalent en temps de paix depuis le début de l’industrie il y a deux siècles et demi. La France qui fut en pointe des révolutions industrielles des années 1780 aux années 1980 est devenue un nain industriel en trois décennies.

Les économies des pays développés ont un secteur des services qui représente plus de 80 % de leur PIB, sauf en Allemagne où ce secteur se situe autour de 75 %. On ne peut comprendre l’importance de l’industrie si l’on ignore ce que j’appelle « le paradoxe des deux fois 80 % ». Alors que nos économies sont à plus de 80 % des économies de services, près de 80 % des exportations mondiales de biens et services, hors matières premières et énergie, sont des exportations de produits manufacturés. De plus, on insiste sur l’importance de la recherche et développement (R&D) pour rester à la pointe des transformations globales. Or l’industrie effectue plus de 80 % de la R&D mondiale. Pour dire les choses avec la force nécessaire, « pas d’industrie = pas de R&D et pas d’exportations ».

Il faut également comprendre qu’un pays qui rate une révolution industrielle entre en sous-développement relatif et s’appauvrit rapidement. désindustrialisation de notre pays a entraîné la désertification des territoires qui ont vu leurs usines fermer, raison clé de l’apparition des « gilets jaunes ».

Dans la « Nouvelle révolution industrielle » de l’informatique, comme science et technologie, et du numérique pour les applications qui transforment les usages des consommateurs dans les nouveaux écosystèmes de produits et services, il n’y a pas d’autre façon de survivre et de créer des emplois que de numériser et robotiser l’appareil de production, et de développer l’intelligence artificielle en lien avec la 5G et bientôt la 6G dans le basculement programmé vers l’informatique quantique, ce qui exige des investissements publics et privés élevés.

Alors que la France dépense 33 % du PIB sur sa protection sociale et moins de 2 % du PIB pour sa politique publique de R&D et de réindustrialisation, saura-t-elle basculer 1 % du PIB de l’une à l’autre dans les trois ans à venir, tout en entamant la consolidation de ses finances publiques ?

Une véritable réforme des retraites portant l’âge de départ à 64 ans et la durée de cotisation à 44 ans permettrait d’économiser 26 milliards d’euros au bout de six ans. Une consolidation du bloc communal permettrait une économie d’une quinzaine de milliards supplémentaires. Il faut dans le même temps que les 1200 bassins de vie dans notre pays construisent des plans stratégiques de développement à six ans, mis à jour tous les trois ans, concernant l’économie, le logement, les transports, l’éducation, la santé et les loisirs, afin de redynamiser les territoires.

Ces plans seraient coordonnés par les départements dont le nombre serait divisé par deux. La dépense de protection sociale peut revenir rapidement vers 30 % du PIB, ce qui resterait très supérieur à la moyenne de 25 % du PIB dans l’Europe de l’Ouest.

Une dépense publique tendant vers 52 % du PIB, grâce à une accélération de la croissance à 1,8 % par an et aux restructurations esquissées ci-dessus, dont 30 % pour la protection sociale, permettrait de réduire le déficit en-dessous de 1,5 % du PIB au cours du prochain quinquennat, tout en investissant fortement sur l’éducation, la R&D, les infrastructures durables et la réindustrialisation durable du pays.

Rien de tel n’est proposé dans la loi de Finances 2022 qui, au contraire, continue d’accompagner doucement le déclin du pays et l’appauvrissement de sa population dont le niveau de vie a baissé de 10 % par rapport au niveau de vie allemand depuis dix ans. 


*Auteur du Libéralisme stratège aux Editions Odile Jacob, septembre 2020