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La France au rendez-vous de l’innovation en santé

Par Vincent Diebolt, Directeur de F-CRIN (French Clinical Research Infrastructure Network)*

A peine plus de neuf mois se sont écoulés entre l’identification de la 1ère victime française de la COVID-19 à Bordeaux, au service d’infectiologie du CHU, le 21 janvier 2020, et l’annonce par le laboratoire Pfizer d’un vaccin efficace à 90 % à partir d’une technique nouvelle, l’ARN Messager, le 9 novembre 2020. Merveille de la science. Victoire de l’innovation sur la fatalité.

La formule est trop emphatique et réductrice. Le processus d’innovation mérite d’être commenté et explicité.

Le terme « Innovation » issu du bas latin « innovare » exprime l’introduction d’une chose nouvelle prenant la place de quelque chose d’ancien qu’il s’agisse d’une pratique, un usage, un modèle scientifique. Il n’a pas d’emblée cette valeur morale positive que l’on retrouve aujourd’hui, tout ce qui étant innovant, qu’il s’agisse d’une technique de vente, d’un produit cosmétique ou de santé, bénéficiant d’un a priori favorable, au risque d’être galvaudé à force d’être utilisé à tort et à travers. Il tend à se substituer dans l’imaginaire collectif à celui de progrès au sens où l’entendaient les Lumières, largement déconsidéré aujourd’hui. La notion est intégrée en science économique, les travaux de Joseph Schumpeter, ceux du post-keynésien Nicholas Kaldor, faisant dépendre la croissance de la combinaison de trois variables, l’offre, la demande et l’innovation, qui peut être destructrice ou créatrice d’emplois.

Notion floue et « attrape-tout », l’innovation fait peur et suscite des réactions de rejet comme l’illustre les mouvements technophobes ou, pour coller à l’actualité, les « anti-vaccs ». Peur de la nouveauté ? Ambivalence de l’innovation dont on ne connaît, ni ne maîtrise, les effets et les éventuels dommages collatéraux ? L’effet de crainte et de répulsion est amplifié par l’accélération du processus, une course poursuite haletante et sans fin (le caractère innovant étant éphémère) étant engagée au plan micro économique entre les entreprises dont il va de la survie, et au plan global entre les pays pour éviter le déclin et la relégation, un impératif matraqué à longueur de campagnes publicitaires et dans les médias. Nous n’avons pas d’autres choix que d’être innovants.

L’innovation ne relève pourtant pas à la génération spontanée. Elle est l’aboutissement d’un processus long et incertain qui partant de l’acquisition de savoir et de connaissances compte trois autres étapes. A partir de connaissances nouvelles des hypothèses sont formulées et des recherches sont menées conduisant, troisième étape à des découvertes et à des inventions. Reste à assurer leur appropriation et leur diffusion. Pour le sociologue français, Norbert Alter qui distingue l’invention comme découverte et l’innovation comme processus collectif d’appropriation, l’innovation suppose la réunion de plusieurs facteurs de management : transgression de l’ordre établi, confrontation avec l’objectif de réduction des incertitudes, passage à la diffusion collective de l’innovation. Pour en revenir par exemple à l’ARN Messager, copie de l’ADN qui assure la synthèse de protéines au sein des cellules, son rôle dans le fonctionnement cellulaire est connu depuis 1961, soit il y a tout juste 60 ans, découvert par deux chercheurs français de l’institut Pasteur : François Jacob et Jacques Monod. Le temps long s’impose donc entre la découverte et son application thérapeutique.

En santé, le processus de découvertes et d’’invention frappe par son dynamisme et sa diversité. La crise sanitaire récente a constitué à la fois un révélateur de sa diversité que ce soit au plan organisationnel, au travers de l’évolution des pratiques professionnelles avec l’accélération de l’usage de la téléconsultation et du télé travail, au plan numérique avec, pour ne citer que le domaine des troubles psychologiques et maladies mentales, l’irruption des applications digitales de suivi, de support et d’assistance, et bien entendu au plan diagnostique et thérapeutique, avec les thérapies géniques, l’immuno-oncologie, la génomique, le séquençage de l’ADN, l’application de l’intelligence artificielle à la santé. L’innovation n’est pas un simple mot.

Reste que pour passer du potentiel au réel et que l’invention acquière le statut d’innovation reconnu dans les circuits de commercialisation et de distribution et les pratiques de soins, il faut en créer les conditions et assurer un accompagnement suivi et vigilant.

A quelque chose malheur est bon, la crise sanitaire a joué de ce point de vue un rôle d’électrochoc. On assiste à une mobilisation sans précédent que ce soit au plan européen avec la mise en place annoncée pour 2023 de l’HERA (Health Emergency Response Authority) qui, à l’exemple de la BARDA américaine, vise à évaluer les risques et anticiper les crises sanitaires mais aussi à investir dans la recherche et le développement pharmaceutique, et au plan national avec le lancement solennel fin juin de « Innovation Santé 2030 ». Ce plan d’ensemble va mobiliser des fonds publics d’un montant considérable (7 milliards d’euros) investis dans des domaines stratégiques (biothérapie et bioproduction ; santé numérique ; maladies infectieuses émergentes). Il a également pour objectif d’inciter les financeurs privés à s’engager et à compléter les tours de table et, au plan organisationnel, à simplifier et dynamiser le processus de développement et reconnaissance de l’innovation, au travers par exemple de la mise ne place d’une Agence de l’Innovation en santé, véritable vigie, « tour de contrôle » et recours pour les entrepreneurs. L’engagement et l’association de ces actions complémentaires étaient nécessaires pour créer une synergie positive.

Parce que la santé est un domaine d’activité « à part », avec une part de risque plus élevé que dans d’autres secteurs, il est important de baliser le chemin qui, de la recherche va à l’innovation, pour concrétiser les espoirs de traitement, rémission et guérison que recèlent les découvertes récentes et en gestation de nos équipes de recherche. L’enjeu en vaut la peine. La France doit être au rendez-vous. 


*F-CRIN est une infrastructure d’envergure nationale en recherche clinique. Labélisée par l’ANR dans le cadre du Programme d’Investissements d’avenir, elle a pour mission de renforcer la performance de la recherche clinique française et son attractivité au plan européen et international. Infrastructure distribuée, elle compte 17 composantes, réseaux thématiques d’investigation et d’expertises, plateformes de services de pointe.


F - CRIN est la composante francaise de l’ERIC "ECRIN", réseau européen de recherche clinique.

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