Print this page

David Cameron : la victoire de la société civile

Par Eudoxe Denis et Gaspard Koenig, président du think-tank GenerationLibre

 

 

Les réformes efficaces se préparent dans la période d’opposition

L’image de campagne choisie par le parti conservateur représentait une route droite vue depuis le siège du conducteur, avec cette phrase : « restons sur le chemin d’une économie plus forte » (1). Le message était simple et clair : continuer la voie poursuivie depuis cinq ans et qui incontestablement porte ses fruits, puisque le Royaume-Uni est en Europe un des pays dont la croissance est la plus forte, et le taux de chômage le plus bas.
La victoire de David Cameron en 2015 s’inscrit donc dans la continuation de son programme de 2010, dont la genèse mérite d’être rappelée. David Cameron avait en effet bénéficié du travail réalisé dans l’opposition par deux équipes : celle composée de membres du Trésor et cornaquée par George Osborne, qui deviendra son Chancelier, et l’équipe de policy unit dirigée par Oliver Letwin, futur Secrétaire d'État au Cabinet Office. Un « business plan » avait été préparé pour chaque département, détaillant les actions à entreprendre une fois au pouvoir. Les think tanks avaient aussi été mis à contribution : Policy Exchange pour les free schools, le Center for Social Justice pour l’Universal Credit, Res Publica pour la Big Society. Les politiques britanniques prennent les idées très au sérieux.
C’est grâce à ce travail de préparation que Michael Gove a pu disposer d’un projet de loi avant l’été 2010 pour sa réforme de l’éducation. Comme le souligne l’historien Anthony Seldon dans l’ouvrage qu’il a dirigé sur le bilan de la coalition au pouvoir, durant les premiers mois d’exercice de cette dernière, « le rythme des réformes était frénétique ». Il tranche dans tous les cas avec la timidité de nos gouvernements successifs, qui s’explique largement par la tradition d’impréparation et d’improvisation des partis français.

L’austérité paie, pourvu qu’elle soit appliquée avec détermination

Dans le débat sur « l’Europe de l’austérité », le Royaume- Uni offre le contre-exemple fascinant d’un gouvernement ayant annoncé et exécuté une politique d’austérité brutale, et ayant été triomphalement réélu en promettant de la poursuivre (avec une majorité absolue, le Parti Conservateur a remporté sa plus large victoire depuis 1992). En annonçant en 2010 un effort de consolidation budgétaire qui se présentait alors comme « l’effort d’austérité le plus important depuis la période d’aprèsguerre », le gouvernement britannique s’était attiré les cris d’orfraie d’une grande partie des économistes.
Aux Etats-Unis, Paul Krugman en a fait une affaire personnelle ; en avril 2013, l’économiste en chef du FMI, Olivier Blanchard, accusait George Osborne de « jouer avec le feu » en lançant de nouvelles mesures d’austérité.
Face à ces critiques, qui ne sont pas sans rappeler l’hostilité à laquelle avait dû faire face Margaret Thatcher en 1981, le gouvernement britannique n’a pas cédé. S’il a su faire preuve de souplesse en étalant dans le temps les nouvelles mesures d’austérité, l’ensemble des coupes budgétaires contenues dans la spending review de 2010 ont été mises en oeuvre.
Des réductions budgétaires extrêmement sévères, allant jusqu’à 50% dans certaines administrations, ont permis de réduire les dépenses publiques de 45% à 40% du PIB ; cinquante milliards de coupes supplémentaires sont prévues d’ici 2018, dans le but de retrouver l’équilibre budgétaire. Près de 800 000 emplois publics ont été supprimés ou transférés vers le secteur privé.
Depuis, la croissance britannique est revenue – à 2,8% l’année dernière, elle place même le Royaume-Uni en tête des pays du G7 – et le FMI a fait amende honorable. C’est, comme l’a conclu l’historien Niall Ferguson, la défaite du néo-keynésianisme, bien représenté par le programme interventionniste classique du Labour d’Ed Miliband. Le Royaume-Uni est en passe de réformer radicalement l’Etat-Providence.

Réduire le poids de l’Etat s’inscrit dans un projet philosophique, et non comptable

Un contresens répandu consiste à penser que les Britanniques, pragmatiques, feraient le choix d’un programme économique fade mais raisonnable. Au contraire, l’austérité, loin de se limiter à une vision comptable, représente un choix de société : la libération de la société civile. La finalité de la Big Society théorisée en 2010 par les think-tanks, ou de l’ « Etat maigre » invoqué par Cameron en 2013, est de réduire le rôle du pouvoir central pour laisser fleurir les initiatives locales.
C’est ainsi qu’en cinq ans, le paysage éducatif britannique a été entièrement transformé. Les free schools – ces établissements ouverts par des groupes de parents d’élèves ou d’enseignants, des associations caritatives ou religieuses, financés par des fonds publics et respectant un programme commun, mais autonomes dans leur gestion et dans leur pédagogie – ainsi que les academies, qui résultent de la conversion d’établissement publics existants mais fonctionnent sur le même modèle, ont bondi de quelques centaines à plus de 4 000. La révolution de l’autonomie scolaire concerne désormais près de trois millions d’élèves.
De manière moins spectaculaire mais tout aussi déterminée, l’ensemble des services publics ont été réformés. Dans un contexte de rigueur budgétaire, le gouvernement a souhaité privilégier une réflexion stratégique sur le périmètre adéquat de l’Etat à la logique de rabot qui prévaut chez nous, ce qui l’a conduit à externaliser certaines missions à des prestataires externes comme l’accompagnement des chômeurs de longue durée ou la réinsertion des prisonniers.
Cette logique d’externalisation s’est accompagnée de la généralisation des mécanismes de paiement au résultat, qui permettent de favoriser l’innovation chez les prestataires tout en s’assurant de leur efficience – notamment à travers les social impact bonds, une manière ingénieuse de mettre les mécanismes financiers au service des projets sociaux. Le gouvernement britannique a également encouragé les fonctionnaires à restructurer leurs services pour se constituer en « mutuelles de service public ». Le fait que leur contrôle soit assuré par les employés joue un rôle crucial dans leur développement. Le coup de force des Conservateurs britanniques aura été de recycler la vieille idée française d’autogestion pour la retourner contre l’Etat central, au bénéfice de tous.
Enfin, sur le plan sociétal, notons que David Cameron a su imposer à son propre parti des réformes telles que le mariage homosexuel, adopté sans trop d’émoi. Malgré leur nom, les Conservateurs ont su trouver des accents progressistes.

Changer de modèle de société suppose de s’appuyer sur une nouvelle base sociale

En cherchant à réduire le périmètre de l’Etat social, David Cameron ne s’est pas seulement attaqué aux effectifs des fonctionnaires. Il a entrepris de lutter contre les abus et les dérives de l’Etat-Providence, en instaurant pour les prestations sociales des limites plus strictes (le fameux benefit cap), et en commençant à rationaliser l’écheveau des allocations (avec l’universal credit).
L’opposition travailliste s’est donc empressée de voler au secours des « victimes de l’austérité budgétaire ». Cette stratégie correspondait à un autre siècle. Car derrière le miracle de l’emploi britannique, si l’on trouve certes des contrats « zéro-heure » (2,3% de la population active), ce sont surtout de nouveaux emplois indépendants qui ont émergé (un peu plus de la moitié des emplois créés depuis la crise). L’erreur des travaillistes aura été d’assimiler les seconds aux premiers, sans comprendre le réel désir d’autonomie qui avait poussé les intéressés à se mettre à leur compte. Loin de se résumer au précariat, le travail indépendant reflète un nouveau système de valeurs.
Le nombre de travailleurs indépendants devrait dépasser dans un avenir proche au Royaume-Uni celui des agents publics. David Cameron a peut-être trouvé ici une nouvelle base sociale sur laquelle les Conservateurs pourront appuyer leurs réformes : l’alliance entre les créateurs d’entreprise, les entrepreneurs sociaux et des travailleurs indépendants, bref, entre tous ceux qui veulent s’émanciper du salariat et de notre société bloquée.
Le Royaume-Uni est aujourd’hui un laboratoire politique de première importance pour l’Europe, et singulièrement pour la France. Les 300 000 Français qui y ont émigré pourraient en témoigner. Espérons que nos politiques sauront s’en inspirer.

(1) “Let’s stay on the road to a stronger economy”

* Eudoxe Denis est l’auteur de Royaume-Uni, l'autre modèle. La Big Society de David Cameron est ses enseignements pour la France (Institut de l'entreprise, 2014) ; Gaspard Koenig est l’auteur de Le Révolutionnaire, l’Expert et le Geek (Plon, 2015)