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“De notre souveraineté, dépend notre avenir agricole”

Par Julien Denormandie, Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation

Depuis le milieu du XXème siècle, l’agriculture paysanne et traditionnelle, qui avait subsisté durant l’entre-deux-guerres, a peu à peu laissé place à une agriculture moderne, fondée sur la qualité de ses productions. C’est ce modèle, qui a fait de la France la première puissance agricole européenne, que nous devons continuer de renforcer avec force et détermination.

Trop peu le savent, mais notre secteur est l’un de ceux qui a le plus évolué au cours des soixante-dix dernières années. Les agriculteurs sont devenus ces « entrepreneurs du Vivant qui nourrissent le peuple », comme j’aime les qualifier. Ils vivent de leur passion pour la Nature et de la noble mission de nourrir leurs concitoyens, qui leur a été confiée à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Au lendemain de ces années difficiles, l’objectif était double puisqu’il fallait à la fois subvenir aux besoins des Français, mais aussi conquérir notre autonomie alimentaire. Pour ce faire, l’agriculture française a opéré de profondes mutations, en augmentant notamment ses productions. Toujours plus innovante et en pointe, elle a saisi les multiples opportunités offertes par l’essor de la mécanisation puis, un peu plus tard, par l’émergence de l’agro-chimie.

Cependant, notre agriculture doit aujourd’hui faire face à de nouveaux défis. Car si nous avons bâti un modèle agricole solide, nous avons, dans le même temps, rendu notre agriculture plus vulnérable. Certaines de nos fragilités se sont d’ailleurs révélées de manière exacerbée ces derniers mois. Ces fragilités, ce sont nos dépendances : aux marchés extérieurs d’abord, mais aussi aux intrants ou encore aux aléas climatiques. Il nous faut agir car ces dépendances questionnent notre souveraineté agro-alimentaire.

Or, il ne peut y avoir de France forte sans une agriculture forte. Regagner en souveraineté agro-alimentaire constitue donc le principal défi que nous devons relever en ce début de XXIème siècle.

Regagner en souveraineté, c’est d’abord adopter une vision politique pour sortir de nos dépendances, avec en premier lieu notre dépendance aux importations. C’est d’ailleurs tout l’objet de mon combat, qui est aussi celui du président de la République, pour bâtir l’autonomie protéique de notre pays. Le plan protéines, présenté en décembre dernier, apporte des réponses concrètes pour relever ce défi. Notre pays se mobilise et investit plus de 100 millions d’euros pour relocaliser la production de protéines végétales sur notre territoire. Avec ce plan protéines, nous agissons donc très concrètement en faveur de l’environnement, car en réduisant nos importations, nous luttons dans le même temps contre la déforestation et contre la destruction de biodiversité. Nous agissons aussi pour nos agriculteurs, qui n’auront plus à subir la fluctuation des cours mondiaux, et in fine pour notre souveraineté.

Et ce combat est d’autant plus important qu’il permet de mettre fin à un système organisé comme tel depuis de nombreuses années, qui nous rendait dépendants d’importations venues de pays aux normes environnementales bien moins-disantes que nous. Nous ne pouvons accepter cette dépendance à des systèmes de production qui ne respectent pas les mêmes règles que nous. Et c’est un sujet européen pour lequel je me suis battu et pour lequel je continuerai à me battre. L’Europe nous protège au travers de la Politique Agricole Commune (PAC). Demain, cette PAC sera à la fois plus verte et plus juste pour nos agriculteurs, notamment grâce l’instauration d’écorégimes obligatoires pour tous les Etats membres. Mais nous devons aller encore plus loin, en refusant d’importer des produits qui ne respectent pas les standards sur lesquels les pays membres se sont accordés. C’est une vraie question de souveraineté que nous porterons lors de la présidence française de l’Union européenne en janvier 2022. Si je suis attaché à une agriculture forte et ouverte sur le monde, je suis également convaincu que l’Europe doit exporter ses normes et non se faire imposer celles des autres.

Sortir de nos dépendances, c’est aussi adapter notre agriculture aux aléas climatiques. L’épisode de gel qui a frappé notre pays en avril dernier nous rappelle d’ailleurs à quel point le vivant est complexe. Pour affronter cette complexité, il nous faut d’abord accélérer l’investissement dans du matériel de protection et d’adaptation. C’est ce que prévoit le plan France Relance avec une enveloppe de 200 millions d’euros. Mais cela passe aussi par une refonte totale du système d’assurance récolte, sur laquelle nous travaillons en concertation avec les filières. Enfin, il nous faut également trouver les moyens d’avancer sur la question de l’eau. Ce sera tout l’objet du Varenne agricole de l’Eau et du Changement Climatique, qui a été lancé fin mai, et qui doit nous permettre d’aboutir à une politique durable de gestion de l’eau en agriculture.

L’agriculture est évidemment victime du changement climatique, mais elle possède aussi la capacité de le combattre. Après la mer, c’est bien dans le sol que l’on capte le plus de CO2. Il faut le dire et il faut valoriser cette action de captation de dioxyde de carbone, au travers de crédits carbone, comme nous avons su le faire pour la forêt. N’oublions jamais que nos agriculteurs vivent de cet environnement qu’ils chérissent : ils sont des acteurs de la lutte contre le changement.

Regagner en souveraineté alimentaire, c’est mieux valoriser la qualité de notre agriculture. Aujourd’hui, toutes les études le montrent : l’agriculture française est l’une des plus durables au monde. Notre modèle agricole est fondé sur la qualité, avec des exploitations familiales et des normes exigeantes. Cette exigence et cette qualité, nous devons les maintenir, en accélérant notamment les transitions que nous avons déjà engagées. Les transitions doivent se faire avec nos agriculteurs, jamais contre. C’est pourquoi l’Etat accompagne les agriculteurs au travers du plan France Relance en leur permettant d’investir dans des agroéquipements favorables à la transition agro-écologique, mais en favorisant également la création de valeur économique associée à la création de valeur environnementale. Nous croyons en la force de notre agriculture pour se renouveler et relever pleinement le défi de la transition agro-écologique.

Pour relever ces défis, l’agriculture française peut compter sur la qualité de sa recherche agronomique et sa capacité à innover. Depuis toujours, notre secteur sait se saisir des possibilités qui lui sont offertes. Nul doute que le XXIème siècle verra naître des inventions qui lui permettront de prendre le virage de la transition écologique et d’accroître sa résilience. Plus encore que par le passé, l’agriculture continuera d’être un secteur d’innovation, à la pointe de la technologie. Nous allons continuer à investir à travers le Plan d’Investissement d’Avenir (PIA 4). Mais nous devons également nous battre en nous reposant davantage sur la raison et sur la science. L’exemple le plus criant est celui de la sélection variétale et des « new breeding techniques » (NBT). A l’heure où nous sommes confrontés à l’intensification et à la multiplication des aléas climatiques et où nous devons nourrir la planète tout en réduisant la pression sur l’environnement, il nous faut regarder au-delà des dogmes et considérer les avantages indéniables de ces techniques. Ayons le courage de remettre la raison scientifique au cœur du débat, pour faire de notre résilience et de notre souveraineté agro-alimentaire notre horizon de demain.

Enfin, et c’est sans doute la première étape pour assurer notre souveraineté agro-alimentaire, il nous faudra assurer le renouvellement des générations. Les nombreux agriculteurs qui partiront à la retraite devront être remplacés. Car c’est peut-être une force de l’évidence, mais s’il n’y a pas de pays fort sans une agriculture forte, il ne peut y avoir non plus d’agriculture sans agriculteur. Et à ce sujet, notre enseignement agricole fait notre force. Nous savons former les futurs agriculteurs aux défis qui les attendent. Mais il nous faut aller plus loin et susciter les vocations.

Cette question est évidemment liée à celle de la rémunération. Pour que des jeunes acceptent de s’engager dans cette belle voie de l’agriculture, il est impératif que nos agriculteurs puissent gagner décemment leur vie. L’enjeu est à la fois de créer de la valeur, mais aussi de mieux la répartir tout au long de la chaîne. La loi EGAlim a déjà permis des avancées. Nous continuerons à œuvrer dans ce sens avec une proposition de loi, portée par le député Grégory Besson-Moreau, et qui reprend les principales recommandations formulées par la mission de Serge Papin. Mais le consommateur a également un rôle à jouer : en renforçant sa vigilance face aux prix pratiqués, en préférant les produits frais et les produits locaux et en accompagnant nos agriculteurs dans les transitions par le biais de son acte d’achat. Notre agriculture repose sur la qualité, et c’est cette qualité que nous devons veiller à rémunérer à sa juste valeur. La compétitivité de notre modèle agricole en dépend !

Depuis toujours, le progrès de nos sociétés est fortement lié au développement de l’agriculture. Celle-ci n’a jamais cessé d’évoluer et a opéré, au fil du temps, toutes les transitions que nous lui avons imposées. Désireuse d’accroître sa résilience, notre agriculture continuera d’évoluer avec son temps et de se renouveler pour relever cet immense défi de la souveraineté. En tant que Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, j’y mets toute mon énergie. Toute mon action est tournée vers cet objectif : reconquérir notre souveraineté alimentaire. 

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