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L’Élysée à la plage - Dans l’intimité de nos présidents en vacances

De Brégançon à l’île Maurice, de la Bretagne au Congo, en passant par Hossegor ou le cap Nègre, Pierrick Geais nous fait revivre les étés des présidents de la Vème République. Si leurs vacances s’apparentent à une mise en scène de leur vie privée, elles exposent aussi leur vision du pouvoir. Ainsi, Georges Pompidou, tout juste élu, décide d’abandonner la dolce vita de Saint-Tropez, pour s’afficher en chef d’État travailleur et proche de sa famille. Nicolas Sarkozy, lui, en s’échappant à Wolfeboro, donne le ton d’un quinquennat « bling-bling ». Ces cartes postales estivales sont l’occasion de relater des épisodes croustillants : les soirées du général de Gaulle devant Intervilles, les safaris de Valéry Giscard d’Estaing, les escapades secrètes de Jacques Chirac, la maison cachée de François Mitterrand, la parfaite maîtrise du jet-ski d’Emmanuel Macron... Une excursion dans les lieux de villégiature présidentiels, entre anecdotes légères, moments d’intimité et crises gouvernementales. Quand les petites histoires croisent la grande. © Editions du Rocher

Pierrick Geais*

*Pierrick Geais est journaliste à Vanity Fair.

Le général de Gaulle

[… ] Même en congés, les journées du Général sont très réglées, et laissent peu de place à l’imprévu. Dès le matin, il s’enferme dans son cabinet de travail. Assis derrière son bureau en bois laqué, il rédige lui-même ses discours mais aussi quelques écrits, dont ses Mémoires de guerre. Les feuilles raturées s’accumulent, jusqu’à former des monticules. Le Général est un auteur minutieux : il écrit, efface, corrige. [… ] Le président ne lève le nez de son labeur que pour déjeuner, à 12 h 15 exactement. « On mangeait en fonction des horaires du Général. Et on passait rarement plus de quarante minutes à table. Il ne supportait pas les repas qui s’éternisent », raconte Jacques Vendroux. Après un café, le Général ne tarde pas à retourner au milieu de ses livres pour travailler. Il consacre de nouveau une grande partie de son après-midi à l’étude.

Dehors, les enfants jouent. Le jardinier leur a gonflé une piscine, mais à force de plongeons, celle-ci, peu solide, finit toujours trouée avant que ne se termine l’été. Il leur a aussi tracé un terrain de tennis sur la terre battue, mal entretenu. [… ]

Vers 16 heures, le moment du chocolat chaud pour les plus jeunes – « le meilleur du monde », selon les souvenirs de Jacques Vendroux – et du thé pour les adultes, le président sort enfin de son bureau. La soirée se déroule dans le calme, entre les jeux de cartes et la lecture. Le président délaisse parfois les oeuvres de Péguy ou de Chateaubriand, pour feuilleter un Tintin ou un Astérix, abandonné sur une table par un enfant.

De Gaulle tient à dîner à 19 heures précises, pour pouvoir regarder le journal télévisé qu’il ne peut manquer. Même au fin fond de la Haute-Marne, il se tient informé, en épluchant aussi la presse nationale chaque matin.

Georges Pompidou

[… ] Qu’il s’installe à Brégançon, Cajarc ou Fouesnant, Georges Pompidou observe toujours le même rituel au premier jour de ses vacances : il convie quelques journalistes, pour se prêter à une interview, à une séance photos, voire à un reportage filmé. « C’était une conversation à bâtons rompus, avec des questions anodines du genre : “Président, vous êtes content d’être en vacances ?” », se souvient Alain Pompidou. Après s’être plié à ce point presse, le président referme les portes de son intimité. Il considère qu’il a rempli son devoir médiatique et qu’il n’a plus à être dérangé. Il ne tolère de nouveau les journalistes durant ses congés que si un événement majeur se produit. [… ]

Ces reportages auxquels il se soumet au début de ses congés marquent une véritable révolution de communication pour la présidence. Son prédécesseur, le général de Gaulle, n’avait jamais autorisé un quelconque objectif à Colombey-les-Deux-Églises, sauf une seule fois, pour Paris Match en 1954, mais il n’était pas alors au pouvoir. Pompidou, lui, pose les bases de ce qui sera nommé beaucoup plus tard la « peoplisation » des politiques, devenue même « peopolitisation », mais le terme est un peu tiré par les cheveux. [… ]

Valéry Giscard d’Estaing

[… ] Le fringant Giscard se fantasme en Kennedy à la française. Ses vacances seront toujours l’occasion de faire la couverture de Paris Match ou l’ouverture du journal télévisé. En 1976, les caméras d’Antenne 2 sont d’ailleurs conviées pour son arrivée dans le Var, au fort de Brégançon. Il conduit encore une fois son auto lui-même, Anne-Aymone à ses côtés, comme le citoyen lambda qu’il veut représenter. Ébloui par les flashes des photographes, le président est à l’aise. Il jouit sans s’en cacher de sa popularité nouvelle. Quand, chaque dimanche, il se rend à la messe de Bormes-les-Mimosas, il prend le temps de saluer la foule et de signer des autographes. « Les gendarmes locaux nous frayaient une piste ondoyante vers la voiture dont je gardais ensuite la fenêtre ouverte, pour ne pas insérer un écran de glace entre les visages bienveillants et curieux, et le personnage que j’étais devenu pour eux, rendu mystérieux et comme inaccessible par sa fonction », écrit-il dans ses Mémoires. Il ne chasse pas non plus les médias, bien au contraire, quand il s’octroie son premier bain de mer de la saison. Les Français ne se lassent visiblement pas de voir barboter leur président. [… ]

François Mitterrand

[… ] De refuge intime, Latche devient rapidement un symbole politique. [… ] Si Mitterrand choisit de ne pas passer ses congés dans un des lieux de villégiature mis à disposition du chef de l’État – il délaissera totalement le fort de Brégançon –, il donne à Latche un rôle quasi officiel. Ainsi, en plus des médias, il y reçoit régulièrement des homologues étrangers, pour des sommets improvisés au vert. Mário Soares, Premier ministre portugais, Felipe Gonzales, chef du gouvernement espagnol, Willy Brandt, ancien chancelier fédéral d’Allemagne, puis ses successeurs Helmut Schmidt et Helmut Kohl iront ainsi régler des questions de politique internationale dans ce cadre à l’origine familial. Car pendant que des dirigeants décident de l’avenir du monde, assis sur des chaises de jardin, Danielle, la Première dame, bronze dans un transat, et les enfants jouent au ballon. Vie privée, vie publique, tout vient à se mélanger à Latche. Certainement pour renforcer les liens. Ainsi, Gilbert Mitterrand, le cadet, se souvient de Mikhaïl Gorbatchev, président de l’URSS, chantant à tue-tête Le Temps des cerises après un repas landais trop arrosé. [… ]

Jacques Chirac

Pour le président, le Royal Palm (Île Maurice) était assurément la définition même du paradis terrestre. Certes trop loin de Paris – 9 500 kilomètres tout de même – pour s’y rendre tous les week-ends, mais dès qu’il le pouvait, été comme hiver, il s’y échappait. [… ]

Chaque fois qu’ils s’y rendaient, le président et la Première dame retrouvaient leurs chaises longues attitrées et leur parasol de palmes, réservés d’une année sur l’autre. Jacques Chirac n’aime rien de plus que bronzer. Il peut passer des journées entières à se dorer la pilule en maillot de bain sur un transat. Une heure sur le ventre, une heure sur le dos, et ainsi de suite, jusqu’à griller comme un steak. Le président bulle, somnole, un livre glissant de ses mains. Il se plonge parfois dans un ouvrage sur l’art asiatique, sa passion longtemps inavouée, ou dans quelques polars et romans d’espionnage. Inconditionnel des SAS – la fameuse série littéraire de Gérard de Villiers mettant en scène un prince autrichien également agent de la CIA –, il en possédait toute la collection, soit pas moins de deux cents ouvrages. De son côté, la Première dame préfère barboter. Bernadette Chirac peut nager durant des heures, dans cette eau dont la température ne descend jamais en dessous des vingt-huit degrés. Parfois, elle s’éloigne tellement du rivage, que Jacques ne la distingue plus que comme un petit point à l’horizon. [… ]

Nicolas Sarkozy

Le 9 mai 2007, seulement trois jours après le second tour de la présidentielle dont il est sorti victorieux, Nicolas Sarkozy bulle sur le bateau de Vincent Bolloré, au nord de Malte. On le sait, ce petit séjour à bord du yacht de son ami milliardaire a fait scandale, mais le président juste élu, et pas encore investi, n’a, semble-t-il, aucun autre endroit où aller. Il est en effet sans domicile, puisqu’il a vendu son appartement de l’île de la Jatte, a quitté le logement de fonction du ministère de l’Intérieur et ne peut pas encore s’installer à l’Élysée tant que les Chirac n’ont pas déménagé.

Mais pourquoi n’enverrait-il pas ses cartons à La Lanterne ? L’idée lui trotte dans la tête. Il en rêve secrètement depuis des années. Il a eu l’occasion d’y aller une ou deux fois, notamment quand il n’était qu’un jeune loup de la politique et que Claude Chirac, fille de Jacques, y organisait quelques sauteries. Mais il en a surtout entendu vanter les charmes, à maintes et maintes reprises. La Lanterne a la réputation d’être une maison du bonheur. En train de bronzer sur le pont du bateau de Bolloré, il décroche donc son téléphone pour déranger Bruno Le Maire, chef de cabinet de Dominique de Villepin, futur ex-Premier ministre. Celui-ci est surpris que Nicolas Sarkozy n’attende pas une petite semaine, et son investiture, pour se soucier du lieu où il pourra passer les week-ends durant son mandat, mais il écoute tout de même sa requête. L’ancien maire de Neuilly lui assure qu’il a un besoin pressant de La Lanterne, ajoutant que son épouse, Cécilia, y tient beaucoup. Le Maire est aussi étonné qu’embarrassé par ce caprice, mais en avertit tout de même son supérieur, à savoir Dominique de Villepin. Ce dernier en est encore plus déconcerté. Surtout, il avait promis à son épouse, Marie-Laure, qu’ils passeraient encore un samedi et un dimanche, ensemble avec leurs trois enfants, dans cette demeure où tous les tracas du brouhaha politique s’évanouissent. Il n’y avait qu’à La Lanterne qu’elle pouvait retrouver un semblant de vie de couple, depuis longtemps anéantie par les ambitions de son époux. Au téléphone, Mme de Villepin refuse de céder à Nicolas Sarkozy, ennemi juré de son mari. Mais a-t-elle vraiment le choix ? Si Dominique de Villepin tente d’obtenir quelques jours de sursis, le futur président ne veut rien entendre : non, c’est non, il lui faut La Lanterne maintenant. Dominique rappelle alors Marie-Laure, la priant de bien vouloir faire ses valises sur-le-champ. En fin de journée, La Lanterne devra être complètement vidée de tous ses effets personnels. Accompagnée de son officier de sécurité, l’épouse du dernier Premier ministre à avoir habité cet endroit « rassemble les chaussures de jogging, les raquettes, les livres des enfants, les pulls et les bottes ». Cet épisode, qu’Émilie Lanez nomme justement la « Prise de La Lanterne », illustre toute la vanité de la vie politique. « Il t’a piqué le meilleur du job », dira Jean - Pierre Raffarin à François Fillon, juste arrivé à Matignon. [… ]

François Hollande

Peut-être inspiré par son homologue germanique, François Hollande a lui aussi voulu prendre des vacances qui sembleraient ordinaires. Le 2 août 2012, le président et la Première dame attendent patiemment leur train gare de Lyon, direction Toulon puis Brégançon. Dans leurs bagages, pas de Canard Enchaîné qui vient de révéler l’affaire dite des coussins, mais quelques livres et beaucoup de travail. Quelques heures plus tôt, François Hollande a même été aperçu flânant dans le rayon DVD de la FNAC Montparnasse, rue de Rennes. Son choix se serait notamment porté sur Black Swan de Darren Aronofsky, qui a valu à son interprète Natalie Portman un Oscar en 2011. Du cinéma de qualité donc.

Sur le quai de la gare, le président ne se fait pas prier pour signer quelques autographes et prendre quelques selfies. L’Élysée a même averti les photographes de presse de l’heure du départ en vacances pour que le « président normal », dans sa parfaite mise en scène, soit immortalisé. Derrière lui, Valérie Trierweiler, en robe noire à manches longues et lunettes de soleil vissées sur le nez, ne veut pas participer à cette grande représentation. La Première dame se tient en retrait, et ne peut masquer sa tête des mauvais jours. « Je dois subir la comédie de notre départ en train [… ] Je trouve ça ridicule, je déteste cette exhibition. Je n’ai été prévenue qu’à la dernière minute », expliquera-t-elle plus tard. [… ]

Quelques jours après leur arrivée, le président et la Première dame descendent sur la plage de Cabasson, au pied du fort, pour se mêler à la foule de vacanciers en maillot de bain. François Hollande, en baskets et polo trois fois trop grand, slalome entre les serviettes pour serrer quelques mains. Valérie Trierweiler suit derrière, toujours peu affable. Le 10 août, le magazine VSD publie d’autres clichés du couple présidentiel à la plage. Rien de très glamour : François Hollande nage plus dans son short de bain que dans le bleu de la Méditerranée, tandis que la Première dame, en bikini, s’accroche désespérément à son bras afin qu’il l’accompagne dans l’eau. « Entre bain de mer et bain de foule, le président et sa compagne soignent surtout leur image d’aoûtiens lambda », commente le cinglant hebdomadaire. [… ]

Emmanuel Macron

« Emmanuel Macron tente de résoudre tous les problèmes du monde, assis sur son jet-ski », titre ironiquement le Sunday Times, le 12 août 2020. Au coeur de l’été, le président français ne veut pas se faire oublier et est bien décidé à ce que l’on parle de lui, aussi bien dans la presse nationale qu’internationale.

Depuis le fort de Brégançon, devenu assurément son Élysée d’été, il est sur tous les fronts. Cette pause estivale ne ressemble d’ailleurs plus vraiment à des congés, mais plutôt à un simple changement de décor pour l’exercice du pouvoir. Dans le Var, il travaille tout autant qu’à Paris. Des vacances « studieuses », comme a désormais l’habitude de les qualifier l’Élysée. Seul son bureau est différent. La terrasse du belvédère, au sommet du fort, qui surplombe la Méditerranée, offre un cadre plutôt idyllique pour traiter les piles de dossiers, tout en bronzant. Le président peut ainsi se féliciter d’avoir un teint joliment hâlé, alors que jamais il ne prend le temps de s’allonger sur un transat. De là, il surveille son épouse, Brigitte, qui nage avec ses petits-enfants dans une crique de rochers, protégée des regards curieux. Son téléphone n’arrête pas de sonner. [… ] Même à Brégançon, Emmanuel Macron ne déroge pas à un agenda rigide, qu’aucun de ses prédécesseurs ne s’était imposé durant l’été. Il travaille toute la matinée, jusqu’à midi environ. Il s’interrompt alors pour une séance de sport : de la boxe ou un jogging sur les hauteurs de Bormes-les-Mimosas, avec ses gardes du corps. Ces derniers, athlètes surentraînés, font suer le président sur pas moins de douze kilomètres, à l’heure où le soleil est le plus haut. « Macron souffre mais relève le défi tous les deux jours », raconte le directeur de la rédaction de Paris Match, Olivier Royant, qui a rendu visite au président sur son lieu de vacances, pour le traditionnel reportage estival publié en couverture de l’hebdomadaire. Après le déjeuner, il se remet à son bureau, en extérieur ou en intérieur, tout dépend de la force du mistral, avant de descendre enfin, vers 17 heures, pour faire quelques brasses et plongeons, en famille. Emmanuel Macron ne résiste jamais à une sortie en jet-ski, son joujou préféré, qu’il enfourche à chacun de ses séjours dans le Var. « Il confie aimer la vitesse sur l’eau, même si ses cervicales en sortent parfois endolories »

L’Élysée à la plage - Dans l’intimité de nos présidents en vacances - Pierrick Geais – 224 pages

© Avec l’aimable autorisation des Editions du Rocher

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