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Une loi antiterroriste

Le 3 juin dernier, l’Assemblée nationale a adopté le projet de loi relatif à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement.

Programmé de longue date, le projet de loi renforçant les mesures antiterroristes et le renseignement a été finalement annoncé fin avril dans la foulée de l’attentat contre une fonctionnaire de police de Rambouillet (Yvelines). Le texte qui met en œuvre une série de mesures largement inspirées de l’Etat d’urgence a été adopté en première lecture à l’Assemblée par 87 voix contre 10 et 4 absentions. Pour le Gouvernement, ce texte doit permettre de faire face à un terrorisme qui « mute comme un sale virus » selon les mots du Garde des Sceaux, Eric Dupond-Moretti. « Il est tout à fait normal que nous suivions ces évolutions » a-t-il ajouté. Le texte poursuit le ministre de la Justice concilie « vigilance » et « protection des libertés », dans l’espoir d’éviter une censure du Conseil constitutionnel.

Le texte entérine quatre mesures expérimentales de police administrative de la loi sécurité intérieure et lutte contre le terrorisme (SILT) prises en 2017 : périmètres de sécurité, fermeture des lieux de culte, mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (Micas) et visites domiciliaires. Ces mesures avaient été prises lors de l’Etat d’urgence et mises en œuvre pendant deux ans après les attentats de Paris et Saint-Denis du 13 novembre 2015.

Mais ce qui a fait la trame de ce texte et qui inquiète au plus haut point les spécialistes de l’anti-terrorisme, c’est bien la question de la libération des détenus condamnés pour actes de terrorisme. Le projet de loi tel qu’adopté par les députés insiste sur les mesures individuelles de contrôle administratif et de surveillance (MICAS) en les allongeant jusqu’à deux ans cumulés pour certains détenus condamnés pour terrorisme et libérés. Est également prévu l’alignement des sanctions encourues en cas de violation des obligations de la mesure de sûreté sur celles encourues en cas de violation d’une MICAS (trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende). Le texte prévoit encore l’interdiction pour une personne sous surveillance et assignée dans un périmètre de résidence, de se trouver à un événement exposé à un risque terroriste particulier.

Un autre volet de ce texte de loi concerne l’aspect Renseignement et tient compte des évolutions technologiques et juridiques de ces dernières années. L’article 7 par exemple encadre la transmission de renseignements entre services et la communication d’informations aux services de renseignement et dispose notamment qu’une autorité administrative refusant de transmettre un renseignement aux services concernés devra motiver sa décision. Il est également acté la suppression de la distinction entre captation d’images et de sons et l’institution d’une durée de conservation unique de 120 jours pour ces deux types de données. Après avoir prévu l’élargissement du champ de réquisition des opérateurs de communications, l’article 11 du projet de loi prévoit l’expérimentation d’une technique d’interception des communications satellitaires. Il établit une liste des services de renseignement habilités à mettre en œuvre la technique, soit : les services spécialisés dits du « premier cercle » (DGSE, DGSI, DRSD, DRM, DNRED et TRACFIN), ainsi que certains services du « second cercle » déterminés par décret, au regard de leurs missions. Après avoir pérennisé les dispositions encadrant le recours à la technique dite de l’algorithme qui permet d’analyser des données de navigation sur Internet fournies par les opérateurs Telecom, l’article 13 du texte prévoit l’extension de leur champ aux URL et l’article 14 porte extension du champ du recueil des données de connexion en temps réel aux URL et durée de conservation des URL.

Le projet de loi prévoit aussi le renforcement du contrôle parlementaire du renseignement avec : l’élargissement du champ d’action de la délégation parlementaire au renseignement, l’extension de son droit à l’information, et le renforcement de son pouvoir d’audition. L’article 18 encadre le recours à des dispositifs de brouillage radioélectrique à l’encontre des aéronefs circulant sans personne à bord présentant une menace et l’article 19 encadre l’accès aux archives publiques.

Sans surprise, si LREM a trouvé ce texte « utile et équilibré », l’opposition a été pour sa part partagée et le projet de loi n’a pas fait l’unanimité. Loin de là. La droite a bien tenté d’en durcir les mesures, en vain, avant de finalement le voter « par esprit de responsabilité ». Mais il reste aux yeux des députés Les Républicains « une occasion manquée » comme l’a indiqué Eric Ciotti (LR, Alpes-Maritimes) qui regrette en outre, « la faiblesse de nos outils par rapport à la gravité de menaces » des « bombes humaines qui vont sortir de prison ». A gauche, les Insoumis ont bataillé tout aussi vainement en déposant sans succès une motion de rejet, jugeant qu’avec ce texte, « nous glissons vers un régime de plus en plus autoritaire » s’emporte Ugo Bernaclis (LFI, Nord) qui s’est dit « pas d’accord pour mettre des privations de liberté sur des personnes qui n’ont pas commis d’infractions ». Les Socialistes qui se sont montrés sceptiques avaient toutefois la liberté de vote. Marietta Karamanil (Soc. et App., Sarthe) a notamment fait part de ses réserves sur son « efficacité » pour laquelle il n’y a « aucune certitude ». Le texte doit maintenant passer au Sénat. 

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