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Surenchères ferroviaires…

Par Yves Crozet, Professeur à l’Université de Lyon (IEP) - Laboratoire Aménagement Economie Transports (LAET)

L’année européenne du rail se déroule dans un paysage contrasté. En écho à ses engagements climatiques, la Commission européenne affiche des objectifs ambitieux pour les trafics de voyageurs et de marchandises. En France, le gouvernement multiplie les engagements.

Le président de la SNCF veut doubler en dix ans le nombre de voyageurs. Ces ambitions, si elles se confirment après les élections, sont-elles crédibles à l’aube de ce qui pourrait être une nouvelle décennie perdue ?

Demande : vers une décennie perdue ?

Ne nous voilons pas la face, les deux premières décennies du siècle n’ont pas permis au transport ferroviaire d’acquérir la place espérée dans les livres blancs européens de 2001 et 2011.

En matière de fret, la part de marché du ferroviaire stagne en Europe depuis 20 ans. Eurostat nous apprend qu’en Allemagne, en France et au Royaume-Uni les parts de marché cumulées de la voie d’eau et du ferroviaire ont baissé depuis 2005, au bénéfice de la route, à rebours de ce qui était annoncé.

Pour les voyageurs, Greenpeace rappelait récemment que le train ne compte que pour 7 % du trafic interne à l’UE contre 71,7 % pour la voiture et 9,6 % pour l’avion. Ce dernier a progressé car il correspond à une demande autre que celle adressée au ferroviaire. Ainsi, en 2017, la desserte TGV de Rennes s’est beaucoup améliorée. Pourtant, de 2016 à 2019, l’aéroport de Rennes a accueilli 30 % de passagers supplémentaires. Le train est rarement un substitut de l’avion, avec les gares TGV dans les aéroports, il en devient le complément !

Avec la crise sanitaire, le trafic ferroviaire de voyageurs a chuté de 50 % en 2020 en Europe. Une reprise se manifeste en 2021 mais la fin de la pandémie ne provoquera pas un retour instantané à la situation antérieure. La contraction de la demande sera durable, pour la longue distance comme pour la mobilité quotidienne. Les voyages d’affaires, en baisse depuis 2008, poursuivront leur décrue. La révolution digitale au domicile incite à un desserrement urbain défavorable aux transports collectifs.

Les limites du volontarisme de l’offre

La stratégie de la Commission européenne publiée le 9 décembre 2020, accorde pourtant un rôle majeur au ferroviaire dans la transition vers la neutralité carbone, via la grande vitesse ferroviaire. Mais comme l’a rappelé la Cour des comptes européenne en 2018, l’extension du réseau européen de LGV se fait depuis le début du siècle au prix de rendements décroissants. Après un maximum de 21,9 millions (M) de passagers-km (pkm) par km de réseau, atteint en 2001, l’intensité a baissé de 50 % en 2016 suite à l’ouverture de lignes dont le potentiel est inférieur au seuil de pertinence d’une LGV (9 M de pkm par an). Avec un score de 19 M, la France fait figure de bon élève par rapport à l’Espagne (5) ou l’Allemagne (12,7). Mais chez nous aussi les trafics ne suivent pas l’accroissement de la taille du réseau. Il a atteint 2 548 km en 2017, 29 % de plus qu’en 2015. Or en 2019, le trafic des TGV n’était que de 12 % supérieur à celui de 2015, une vigoureuse accélération est nécessaire.

Pour répondre à ce défi la SNCF a modifié sa stratégie commerciale en donnant une place croissante à l’offre low-cost OUIGO. Son succès est indéniable mais problématique. Les recettes nettes d’un service OUIGO sont faibles alors qu’il cannibalise l’offre INOUI sur les lignes les plus profitables. Cela réduit les transferts nécessaires pour financer les nombreux services TGV non rentables. Le récent changement de pied du gouvernement, à savoir la relance de projets de LGV (Bordeaux-Toulouse, Montpellier-Perpignan) va donc accélérer la mutation du modèle économique de la grande vitesse. Dans le domaine des infrastructures, les 4 LGV lancées il y a 10 ans avaient déjà nécessité 50 % de subventions publiques. Ce sera 80 % pour celles que le gouvernement vient d’évoquer. Pour l’exploitation, les collectivités territoriales doivent aussi se préparer à subventionner certains services TGV, surtout si la concurrence arrive, obligeant la SNCF à réduire ses tarifs, et donc les péréquations entre services.

Le ferroviaire : plus que jamais un service non marchand

Le rapport Spinetta (2018) indiquait que le ferroviaire nécessitait 14 mds de subventions par an. Contrairement aux espoirs de la loi « Pacte ferroviaire », ce chiffre va devoir augmenter, et plus que les trafics, dans les années à venir. A cause de la reprise de 35 mds de dette ferroviaire, mais aussi du fait de l’addition de mesures qui se révéleront indispensables et non transitoires : baisse des péages pour le fret ferroviaire, voire pour certain TGV, relance des trains de nuit, soutien accru aux TER et aux TET, maintien de certains services TGV, sans oublier les énormes besoins de renouvellement, de modernisation et d’extension du réseau. L’INSEE définit un service non marchand comme celui qui est gratuit ou vendu à un prix inférieur à 50 % du coût. Le ferroviaire en fait définitivement partie. 

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