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Quand la religion s’invite en entreprise

La 8ème édition de l’étude de l’Institut Montaigne* consacrée à la religion au travail montre une hausse des comportements rigoristes en 2020-21.

Le fait religieux en entreprise n’est pas un phénomène nouveau. En 2012, date de lancement du Baromètre, 44 % des encadrants déclaraient déjà faire face à des faits religieux en situation de travail rappelle l’Institut Montaigne. En 2021, ils sont 66,5 % à observer, occasionnellement ou régulièrement, ce type de faits. Or, s’il n’est pas nouveau, le fait religieux est toutefois révélateur de l’état de la société et de ses évolutions. Et donc ici de la place de la religion dans l’entreprise.

Si le fait religieux en entreprise concerne toutes les religions comme tient à le préciser l’étude, la religion la plus fréquente est l’islam qui est citée dans 73 % des situations observées. Le catholicisme est présent dans 20 % des situations, le judaïsme dans 15 % et la religion évangélique dans 13 % des situations observées. « Les faits religieux musulmans se caractérisent par une variété et une hétérogénéité plus forte, ainsi que par une dimension dysfonctionnelle plus importante » précise pudiquement l’auteur de la note, Lionel Honoré, professeur des universités à l’IAE et directeur de l’Observatoire du Fait religieux en entreprise.

Le fait religieux se retrouve dans toutes les entreprises, de toutes tailles même s’il est plus marqué dans l’industrie, le transport et la logistique, le BTP ainsi que le commerce et la grande distribution. L’étude détaille aussi le profil des personnes dévoilant leur pratique religieuse au travail sont des hommes et des femmes entre 20 et 50 ans. « Plus de la moitié des situations repérées impliquent à la fois des femmes et des hommes. Dans 32 % des situations, l’expression religieuse est exclusivement le fait d’hommes, et dans 16 % exclusivement le fait de femmes » indique l’étude. Ces personnes sont majoritairement des employés (39 %) et des ouvriers (34 %), et minoritairement des cadres (6 %) et des dirigeants (5 %). « Ce sont principalement les hommes jeunes, d’un niveau socio-professionnel relativement bas, qui déclenchent des situations de blocage ou de conflits telles qu’identifiées par les managers, comme le refus de travailler avec une femme, le refus de réaliser certaines tâches liées au poste, parmi d’autres » souligne l’auteur de l’étude.

Toutefois et « contrairement aux idées reçues, le fait religieux n’est pas, dans la grande majorité des cas, une cause de tensions sur le lieu de travail » insiste Lionel Honoré qui assure qu’aujourd’hui « le fait religieux en entreprise est de plus en plus accepté. Les managers sont plus habitués à le gérer, les salariés en parlent mieux ». Un constat confirmé par l’enquête qui montre que 70 % des comportements des salariés pratiquants sont perçus comme « peu perturbateurs, ne gênant pas la bonne réalisation du travail ». 76,5 % des demandes liées à l’expression du fait religieux sont perçues comme raisonnables par les répondants. Une réalité qui doit cependant cohabiter avec des situations beaucoup plus conflictuelles. « Dans une minorité des cas, le fait religieux en entreprise devient problématique. 19,5 % des situations qui nécessitent une intervention managériale (54 %) sont qualifiées de problématiques » indique l’étude. L’enquête montre également que l’apparition des tensions et conflits liés à la religion est « significativement plus fréquente dans les situations marquées par une densité religieuse forte ».

Point saillant de l’étude : l’augmentation des comportements rigoristes (12 %) parmi les 66,7 % de faits religieux repérés en entreprise, on compte 12 % de comportements rigoristes. Ils n’étaient « que » de 8 % en 2019. A noter encore : la part des conflits et blocages afférents a augmenté par rapport à 2019 (16 % des cas en 2020-2021, contre 12 % en 2019). Enfin, fait significatif : la montée en puissance des comportements négatifs et problématiques à l’égard des femmes comme le refus de travailler avec une femme, sous les ordres d’une femme ou de leur serrer la main (13 % des faits religieux repérés). Des comportements qui ne sont pourtant pas tolérés par la quasi-totalité des répondants (de 92 % à 96 %).

Face à cette situation, les managers cherchent à s’adapter. De plus en plus d’entreprises incluent des dispositions relatives aux faits religieux dans leur règlement intérieur et mettent en place un certain nombre d’outils, notamment depuis la loi travail de 2016 qui donne la possibilité aux entreprises de préciser les circonstances et les conditions dans lesquelles elles peuvent imposer une neutralité religieuse à leurs salariés. Sont également de plus en plus présents dans les entreprises des chartes et des guides ou encore des formations sur le fait religieux et son management. « L’essentiel pour les entreprises est avant tout de se placer dans une position plus proactive sur ces questions. Le règlement intérieur est en cela central. Il définit les frontières ’dures ’ des pratiques » reconnaît Hugo gaillard, membre de l’AGRH et de l’Observatoire Action Sociétale-Action Publique (ASAP) cité par le Figaro. Mais cela n’est sans doute pas suffisant. Pour l’Institut Montaigne, « des efforts sont encore à consentir, tant par les pouvoirs publics que par les entreprises pour mieux cadrer ce phénomène et surtout mieux accompagner le management de proximité dans la gestion de situations liées à l’expression du fait religieux au sein de leurs équipes »


*Religion au travail : croire au dialogue – Baromètre du fait religieux en entreprise 2020-2021 - Institut Montaigne – mai 2021

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