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“Touche pas à ma ville”

L’image d’une ville relève de la plus haute importance pour ses habitants et ses élus. C’est même souvent un enjeu économique. C’est ce que démontrent plusieurs exemples récents de villes ayant fait l’objet de critiques publiques et médiatiques provoquant de vives réactions.

 

Le film « La Tête haute » présenté en ouverture du festival de Cannes, par son actrice principale Catherine Deneuve est devenu l’emblème d’une rébellion dunkerquoise. Dans un entretien, l’actrice évoque la « tristesse » de la ville portuaire où, selon elle, « ce qui marche vraiment, ce sont les cigarettes et l'alcool ». Le maire de Dunkerque Patrice Vergriete s'est dit « blessé » par les propos de l’actrice, « C'est la tête basse que Catherine Deneuve devrait monter […] les célèbres marches du festival de Cannes » avait lancé le maire avant la projection du film. En réaction, de nombreux internautes ont même créé leurs propres pages Facebook pour prendre la défense de la ville du Nord-Pas-de-Calais, qui rappelons-le fut victime à 80% des bombardements pendant le dernier conflit mondial. Face à l’ampleur de la mobilisation, l'actrice a en définitive reconnu que Dunkerque était habitée par « un certain charme... Un charme très très mélancolique ». Dunkerque serait-elle la seule visée par la critique ? Pas vraiment. Pour les acteurs et scénaristes de la série « Plus belle la vie », envoyer ses enfants en voyage à Charleville-Mézières, revient à « de la maltraitance ». Des propos qui ont fait bondir le maire Boris Ravignon (Les Républicains) qui avait appelé, dans la foulée, ses habitants à se « mobiliser » via les réseaux sociaux pour défendre l’image de leur commune, haut lieu des Ardennes.

Quelques mois plus tôt c’est Saint-Etienne qui était l’objet de la critique dans un article du quotidien du soir Le Monde daté du 9 décembre 2014, qualifiant le chef-lieu de la Loire de « capitale des taudis ». Des critiques que les habitants n’ont pas hésité à décrire comme « hâtives » et « délibérément orientées ». La journaliste Sylvia Zappi avait en effet décrit Saint- Etienne comme une ville « frappée par la crise industrielle » et dont le centreville est « miné par la pauvreté ». L’article faisait encore mention d’un urbanisme « délabré qui donne le bourdon » et de « bâtisses qui tombent en ruine ». De quoi irriter le maire Gaël Perdriau (Les Républicains) qui s’est dit « scandalisé comme de nombreux Stéphanois parce que c'est en décalage total avec la réalité ».

Et oui, en France, on ne touche pas impunément aux communes. C’est d’ailleurs l’idée que défend Jean-Michel Stèbé, sociologue et spécialiste de l'urbanisme, «En s'attaquant à l'image d'une ville, on s'attaque à son économie, aux potentielles installations d'entreprises, à son attractivité et à son tourisme». L'enjeu est également symbolique: « Critiquer une ville, c'est s'en prendre indirectement à son management et donc à son maire », poursuitil « Les habitants se sentent visés. On touche en quelque sorte à leur identité, leurs habitudes, leur point de vie ». Pour expliquer ces réactions épidermiques, il faut aussi regarder du côté de la culture du local, très prégnante en France. Un phénomène « touche-pas-à-ma-ville » qui caractérise l’attachement des citoyens à l’encrage local et identitaire.

 

 

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